Contribution par Joëlle Nicolas, en réaction à l'article d'Elian Cuvillier, professeur à l'Institut de Théologie Protestante de Montpellier, et de l'echo de Daniel Constantin, président de GAMMES, parus récemment dans Vibrations (n° 11, mars 2015, page 4-5).

resurrection 2015-1J'aimerais réagir, avec tout le respect possible, à la fois à l'article sur la Résurrection, écrit par le Pr Elian Cuvillier et à l'écho que lui donne  Daniel Constantin, rédacteur en chef du numéro de Vibrations, Pâques 2015.

Je ne peux qu'acquiescer à la démonstration d'Elian Cuvillier, liant étroitement la crucifixion et la résurrection, comme le fait toujours l'apôtre Paul. Cependant le tout dernier paragraphe me dérange profondément, en particulier la formulation : « une Résurrection qui soit autre chose qu'un fantasme infantile d'immortalité et de toute puissance mais le pari qu'une vie imprenable est encore possible ». Outre l'imprécision de l'expression « vie imprenable », surtout lorsqu'on est plongé dans un deuil insoutenable ou conscient de vivre sa dernière heure,  cette phrase témoigne d'une sorte de mépris pour tous ceux qui, comme moi, ne « croient » pas en la Résurrection mais « espèrent » avec Paul et toute une nuée de témoins, en la Résurrection des morts, à la suite de celle de Jésus. Fantasme infantile ? Ou expérience existentielle profonde qui bouleverse complètement la vie de celui qui a rencontré le Christ vivant, qui a répondu à son appel ? Paul a vécu cette expérience fondatrice de tout son apostolat. Il ne cesse de proclamer  l'espérance d'une Vie avec le Christ, après la mort physique, espérance qui donne pleinement sens à sa vie d'ici et maintenant. Et à la nôtre. Désir d'immortalité ? Sans doute pas, puisque je dois passer pour y arriver par l'agonie et la mort physique, rupture inéluctable. Toute puissance ? Encore moins, puisque cette Vie promise ne l'est qu'en communion avec le Christ, le Serviteur souffrant, le Très-Bas, dans un Royaume où les premiers seront les derniers.... Et c'est tout ce que je puis en connaître, humblement mais joyeusement.
E.C. se sert paradoxalement de la citation de Paul : « Si nous espérons en Christ pour cette vie seulement, nous sommes les plus malheureux de tous les hommes » (1 Co 15,19)   pour étayer sa vision de la résurrection, où il réduit notre horizon et notre espérance au seul « bout de notre chemin ici-bas ». Ce faisant, il condamne ceux qui espèrent en une résurrection ouvrant sur une autre vie après la mort,  à n'être que des enfants rêveurs, d'une naïveté qui ne devrait plus avoir cours, après plus d'un siècle d'exégèse historico-critique. Pour moi, je serai plutôt fière d'appartenir à la classe d'âge « infantile », lorsque mon Maître, me dit « Si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume de Dieu »…  
Resurrection-RembrandtL'espérance des premiers chrétiens, n'était pas basée sur les textes que nous connaissons presque par coeur et lisons à chacun de nos cultes, écrits beaucoup plus tard.  Elle  se nourrissait des nombreux témoignages concordants sur un « événement » récent qui avait bouleversé la vie de ces hommes et femmes et allait modifier le sens de l'histoire : Jésus, crucifié à Jérusalem en l'an 30, s'était montré à eux de nouveau vivant. Il avait vaincu la mort, il était donc le Messie, et il devait revenir prochainement pour les faire participer eux aussi au Règne de Dieu. Cette victoire de la vie sur la mort, mystérieuse, incroyable, mais attestée par de nombreux témoins indépendants,  était l'assurance de leur propre espoir de résurrection,  si fort qu'il entrainait dès ici-bas, la possibilité d'une vie nouvelle en communion avec Dieu, avec son Fils et avec son prochain. Fantasme collectif rendu possible par la culture de l'époque ? Peut-être mais fantasme drôlement opérant !
Car si a résurrection n'aurait pas de sens sans la crucifixion, que serait la crucifixion sans la résurrection ? L'échec d'un rabbi juif s'étant pris pour le Messie. En quoi cela me concernerait-il ? Sans cette espérance, folle aux yeux du monde et des savants, sur quoi, vingt siècles plus tard,  appuierais-je mon désir « d'ouverture à l'altérité », et la possibilité de « faire surgir la vie de mes échecs » ? Et surtout comment ne pas me laisser à la révolte et à la colère devant l'absurdité de la violence qui sévit dans le monde et du mal innocent touchant les plus petits d'entre nous ?  Comment accepter sereinement de traverser les deuils, les tempêtes et les renoncements dus à la maladie ou à la vieillesse ?  Comment sans cette espérance, rester vivante jusqu'au bout alors que le mourir s'accompagne d'un lot de souffrances et d'angoisses impossibles à soulager sans une « sédation profonde et continue »? Le débat actuel sur l'euthanasie et le suicide assisté montre bien combien la pulsion de mort est forte lorsqu'aucune espérance ne permet d'apaiser l'angoisse.  Alors oui, Jésus, le Crucifié, pleure avec nous, souffre avec nous,  nous tourne vers le prochain, donne sens à notre vie et nous accompagne jusque dans la mort quand vient notre heure.  Mais si Jésus le Vivant n'est pas là aussi pour nous relever, nous guérir et nous attendre au seuil de la Vie éternelle, le  jour où nous mourrons, où est la possibilité de vie « imprenable » qu'E.C. nous propose ?  S'il est Vivant, s'il est vraiment le Ressuscité, alors moi aussi, je peux rester vivante jusqu'au bout, je peux accepter la fragilité, la douleur, la mort et la finitude PARCE QUE j'espère ressusciter avec lui, dans cette vie ET dans l'autre, après ma mort physique. « Soyez toujours prêts à justifier votre espérance devant ceux qui vous en demandent compte ». 1 Pierre 3/15… C'est ce que j'essaie de faire avec douceur et respect, dans ma vie de tous les jours, avec l'aide de l'Esprit Saint.

resurrection 2015-2En réponse à la note de Daniel Constantin, juste un  mot sur les « représentations  artistiques, réductrices du contenu de la Résurrection,  à l'origine de beaucoup de confusions et d'incompréhensions, » que le texte d'E.C. nous inviterait à dépasser… Je sais bien que les protestants se sont toujours méfiés des images, obéissant ainsi au 2è commandement sur l'interdit des idoles. Je sais aussi que beaucoup d'oeuvres d'art, au Moyen âge  et à la Renaissance ont présenté le jugement dernier et les différentes strates du paradis et de l'enfer de manière si culpabilisantes qu'elles ont permis l'emprise morale et économique du clergé et de l'Eglise sur un peuple illettré et vivant dans la terreur d'une damnation éternelle… Mais  tous les artistes ne sont pas à jeter aux orties. Il n'est qu'à contempler les mosaïques du IVè siècle du mausolée de Galla Placidia à Ravenne, ou la fresque de l'Anastasis, dans la petite église de Saint Sauveur in Chora à Istambul, peinte par un artiste inconnu du 12è siècle, pour comprendre que l'art est capable parfois de dépasser tous les pauvres mots humains et nous faire accéder de plain pied dans l'univers poétique et onirique des grands prophètes inspirés de la Bible,  que soit Ezéchiel, Daniel, Paul, Jean de Patmos et… Jésus. Oui l'art, à condition d'en apprendre le langage des signes et des symboles, peut nous toucher au delà de tout discours, lorsqu'il s'appuie sur l'interprétation inspirée des Ecritures, comme l'ont  enseigné les Pères de l'Eglise et les grands iconographes des premiers siècles de l'ère chrétienne. Les mots d'E.C. réduisent la résurrection à nos pauvres tentatives de résilience après un échec, et à la durée d'une vie terrestre, faite de joies, d'amours et de découvertes, certes, mais surtout de conflits, d'épreuves, de deuils et de renoncements souvent écrasants. Les mots de l'Evangile, les lettres de Paul et des autres apôtres, les couleurs et les formes de certaines œuvres d'art, les beautés de la nature ou l'intemporel de la musique de Pergolèse, de Bach ou de Mozart, la main tendue d'un ami ou d'un inconnu au milieu de l'épreuve, ouvrent sur l'Invisible, sur l'action de Grâce et l'espérance d'une Eternité de communion avec Dieu…

JNR (mars 2015)