Le 500ème anniversaire de la Réforme a amené les protestants à se replonger avec bonheur dans les œuvres de Luther. Hélas, il n'est pas de montagne qui n'ait son versant d'ombre, et certains pans de son héritage réclament aujourd'hui une rigoureuse réévaluation. Ainsi, l'inimitié grandissante au fil des années du Réformateur envers le judaïsme, alimentée par son irritation devant l'attachement « opiniâtre » des Israélites à la religion de leurs pères en dépit de ses appels patients et bienveillants, pensait-il, à leur conversion, est devenue après la Shoah une écharde dans la chair des protestants.

christianisme-et-judaisme-PT-AGPour ne parler que des intellectuels allemands de l'époque nazi, si un Martin Heidegger souscrivit dès 1933 (il était alors âgé de 44 ans, dans sa maturité) à l'antisémistisme  hitlérien avec une ferveur jamais répudiée (pour preuve ses accablants "Cahiers noirs" exhumés en 2014), son contemporain Paul Tillich, théologien issu d'une lignée de pasteurs luthériens, exprima dès cette même date son aversion envers l'idéologie qui déjà annonçait et allait justifier la destruction des Juifs d'Europe.

Le mardi 30 mai 2017, au temple de la rue  Maguelone, M. André Gounelle, avec l'éloquence qu'on lui connaît, confronta ces deux destins. Deux penseurs aux antipodes, mais autant la réaction de Paul Tillich (qui fut révoqué de son poste de professeur dès 1933 et dut s'exiler aux États-Unis) était celle qu'aux yeux de M. Gounelle et aux nôtres, commandaient la simple lucidité et, penserait-on, l'humanisme le plus spontané, autant l'exaltation de Heidegger pour la mystique hitlérienne de la race et du sol, et sa haine antisémite qu'il érigea en système théologico-politique, défient notre entendement venant de la part d'un philosophe de son envergure, et nous remplissent d'autant plus d'effroi.

M. Gounelle possédait son sujet : il publie aux éditions Labor et Fides un recueil de conférences (traduites par ses soins) que donna Paul Tillich entre 1938 et 1959 et regroupées sous le titre Christianisme et judaïsme.  M. Gounelle est aussi l'auteur d'une biographie de Paul Tillich (Ed. Olivétan, 2013).
Le théologien allemand s'attache à démontrer que d'une part judaïsme et christianisme sont intrinsèquement solidaires et indissociables l'un de l'autre, étant issus de la même Révélation, et d'autre part qu'en Abraham, en qui « toutes les nations de la terre seront bénies » (Gn 12,3; etc.), le judaïsme est porteur d'un message essentiel pour l'humanité. On ne saurait mieux justifier la nécessité de lire et s'approprier la Bible dans son entier, Ancien et Nouveau Testaments.

Quand le pays qui avait vu naître le Réformateur qui, plus que tout autre avant lui, avait fait resplendir la révélation de la grâce salvifique de Dieu, se livra par un funeste suffrage entre les mains des exterminateurs du peuple élu, vivant témoin de ce Dieu, Paul Tillich, en se rangeant sans hésiter du côté des Juifs persécutés, obéit à son héritage luthérien dans ce qu'il avait de plus inspiré.

Notre reconnaissance va, pour finir, à Monsieur Gounelle qui, sans faire sentir un instant l'austérité et la solitude de l'immense travail fourni, a su nous ouvrir des fenêtres de réflexion mais aussi des motifs d'espérance.


Texte : Ève Lurbe