Dépenaillé, hirsute, ses pieds nus marqués d'ampoules, Junio entre un peu vacillant, dès le portail ouvert avec son copain Claudio dans un même état. Très vite, assis à une table,  devant les plateaux débordants, on entend les deux Roumains plaisanter avec leur nouvel ami Catalan.

La file qui s'allonge est bousculée par le fidèle Kristof,  notre peintre Polonais encombré de son vélo et de son énorme sac à dos. Une fois installé il annonce tout heureux qu'il a vendu quelques portraits 20 € sur Antigone, et son Consulat va l'aider à obtenir l'Allocation d'Adulte Handicapé, l'AAH, qu'il espère depuis si longtemps.


Assise un peu à l'écart le visage chiffonné de Marie José s'éclaire quand elle parle de sa jeunesse, de ses sorties avec les jeunes protestants de Ganges où elle est née. "Eh oui, je me suis mariée protestante ! Le Pasteur aux cheveux longs nous avait invités chez lui, comme des parents ! " Heureuse de nous avoir découverts au printemps dernier, elle redoute l'expulsion de son vieux logis devenu invivable. À 63 ans elle se sent bien seule.

De l'autre côté de la table, un nouvelle, coiffée d'un bibi à l'ancienne, nous écoute : France a 60 ans et vient de la Paillade, depuis la rentrée. Elle aussi en souci car sa retraite a pris deux mois de retard en raison de lettres égarées.
Un petit groupe silencieux s'est installé au soleil et déploie son propre pique-nique à côté de nos plateaux. Le regard clair, les cheveux et la barbe blanche, Alex est Hongrois, de Budapest. Il s'est exilé en 1985 pour venir à Paris, puis quelques années plus tard a émigré à Barcelone. Venu visiter le sud avec sa fille et son gendre, leur vieille guimbarde de 30 ans vient de rendre l'âme. Heureusement son patron a du travail pour lui et ils vont repartir.

Souriante, discrète et au langage châtié, Awa ("C'est Eve, que ma mère adoptive m'a appelée") est née au Sénégal. Dans le design de vêtements, elle a perdu son travail à la suite d'un burn-out. Elle postule en téléprospection et propose même son aide à Babel café.

À la table du fond on entend des jeunes discuter joyeusement en allemand autour de Liana, jeune fille volubile aux lèvres ourlées de piercings. depuis leur squat de l'Avenue de Lodève; squat de 120 personnes; isolées ou en famille qui s'autogère bien d'après les nouvelles.

Un homme âgé les a accompagnés : Vernon ne parle qu'anglais. Il est de San Antonio, au Texas,, USA. Grand voyageur, homme de culture nous échangeons aussi bien sur José Bové et le démontage du Mac'Do, qu'il désapprouve que sur la beauté de la Cathédrale du 11ème siècle de Koutaïssi, fondée par le Roi David de Géorgie qui l'a émerveillé.
Arrivé d'Arménie il y a 6 mois et demandeur d'asile, Yerish est un Yézide, comme plusieurs à Montpellier. Il vit en squat avec sa femme et leur fils de six ans. Il s'est proposé comme bénévole et nous confie qu'il est psychologue et diplômé de sociologie d'Erivan . En fin de matinée, posté à l'entrée à laver les plateaux, il voit entrer deux jeunes anglaises tenant en laisse deux chiens puissants. Elles détonnent, fraîches et pétillantes, attirant les regards.

Une douce musique d'ambiance baigne les invités et, comme des fleurs sonores, les mots de tous les pays s'épanouissent et vibrent fraternellement dans l'air.

 

De l'eau fraîche pour celui qui est épuisé, telle est la bonne nouvelle... "      (Proverbes 25-28)

texte : RN (5-10-2014)
Le site du Babel Café.