Au forum régional « Parole et œuvres – les défis de la diaconie » à la maison du protestantisme à Nîmes le 14 mars 2015, Révaz Nicoladzé, administrateur de l'Association Familiale d'Entraide Protestante (AFEP) a parlé de « Ensemble, vivre la fraternité ». Voici sa conférence en intégralité.

Dans son introduction au synode 2009 de nos Eglises, Isabelle Grellier écrivait déjà : "Dans un monde marqué par l'individualisme et la compétition, où les perdants, les personnes non "rentables", les différents pauvres - personnes âgées, immigrés, handicapés, chômeurs etc. - sont souvent rejetés au bord de la route parce que notre société refuse de regarder l'image de fragilité qu'ils renvoient, il est essentiel que des hommes et des femmes s'engagent pour faire entendre qu'il n'y pas de vie humaine sans acceptation de ses limites et de se fragilités et pas de société sans solidarité et sans recherche de justice."
Cinq ans après, la brutalité économique, sociale, écologique n'épargne aucun pays de la planète, ni aucune catégorie sociale, creusant encore plus les inégalités et augmentant la pauvreté, dont la spirale infernale est l'exclusion, la perte de repères et la déchéance d'êtres humains de plus en plus nombreux.
babel2-oct2014La Diaconie est bien pour nous l'Evangile annoncé; elle est, aujourd'hui, plus que jamais à l'ordre du jour. Ciblée et centrée autour de l'amour de Dieu et du prochain dans les premiers temps de l'Eglise, elle était l'un des 4 ministères définis par Calvin.
Au 19 ème Siècle industriel la lutte des chrétiens contre l'injustice fut motivée par le spectacle affligeant des populations ouvrières d'Angleterre, combat qui essaima rapidement en France.
- Ainsi le Pasteur Booth créa-t-il en 1881 l'Armée du Salut en France qui compte aujourd'hui plus de 3000 bénévoles et près de 2000 salariés.
- En 1887 le Révérend Mac All fonda à Belleville le Christianisme Social, un mouvement des Eglises pour sortir des murs, s'engager dans les réalités du monde, s'aventurer sur le terrain social - et par là même politique - en pratiquant "une théologie de l'action de l'action de la grâce dans le concret du monde"(une Théologie de la Libération avec un siècle d'avance !)
Réactivé en 1945 le mouvement vient de renaître; avec à la Fédération de l'Entraide Protestante et les Missions Populaires il s'agit de "confronter la foi chrétienne avec son environnement social, économique, politique, culturel et écologique et poser des paroles et des gestes de libération."

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Au 20 ème Siècle le combat continua :
- En 1911 à Paris à l'Oratoire du Louvre Wilfred Monod fondait en plein cœur du quartier des Halles pour "la blême population de surmenés qui s'y bousculent", une "modeste maison familiale" La Clairière. Il écrivait à l'époque, ce qui résonne encore juste aujourd'hui : "Trop de misères et de scandales serpentent encore sous les pommiers fleuris de Normandie !". Sa définition de l'Evangile Intégral s'adressait à tout l'homme, à ses besoins spirituels mais aussi matériels, un Evangile qui ferait descendre le Ciel sur la Terre selon l'écriture :
"Ainsi parle l'Eternel,
Eloigne de moi le bruit de tes cantiques,
Je n'écoute pas le son de tes luths,
Mais que la justice jaillisse comme un fleuve qui ne tarit jamais !"
Un Evangile ouvert à tous donc : "Nous ouvrirons nos portes à 2 battants, après avoir invoqué l'esprit de sagesse, de courage et de charité, et ne serons pas préoccupés de savoir si les hommes qui répondent à notre appel sont protestants, catholiques, juifs, musulmans ou spirites."
En cent années ce modeste Patronage traditionnel connut des mutations incessantes : après la guerre de 14/18 avec l'Aide aux parents, les Consultations d'enfants, le Soutien scolaire; pendant la dernière guerre, s'ajoutèrent un refuge pour enfants juifs du quartier, une boite aux lettres pour la Résistance. Les années 50 virent sa transformation en Centre Social d'aide aux familles en difficulté; les années 60 la création d'un Centre de prévention de la délinquance dans le nouveau quartier des Halles; enfin, l'Institutionnalisation des différents services agréés par l'Etat fit cohabiter efficacement des paroissiens bénévoles avec le soutien fidèle d'un Pasteur et des salariés professionnels choisis par leurs soins.
Ainsi par étapes se sont ouverts des chemins défrichés depuis la Clairière pour aboutir en 2011 à 5 grands pôles d'activités, répartis en 6 lieux avec 20 activités différentes mais toutes complémentaires, menées avec 2 Directeurs, 42 salariés et 160 bénévoles majoritairement des paroissiens, et. La Clairière touche aujourd'hui un public de 2000 personnes pour un budget global de 2.4000.000 €. J'ai tenu à donner ces précisions pour montrer combien la parole inspirée de Wilfred Monod en 1911 a généré d'actions au service de l'humain tout en ayant préservé son esprit pionnier et évangélique.
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Revenons à notre Région, à Montpellier on note en 1853 la création d'une ENTRAIDE PROTESTANTE DE MONTPELLIER, mais c'est surtout après 1946 qu'apparaitra une ASSOCIATION FAMILIALE PROTESTANTE de MONTPELLIER-HERAULT pour
-Traiter chaque cas de détresse dans tous ses aspects grâce à son Service Social, avec des secours d'urgence et les efforts de reclassement des coreligionnaires.
- Et le souci d'assurer une liaison avec les autres œuvres sociales protestantes, ce qui, peu d'années plus tard formera l'ASSOCIATION DU DIACONAT DE MONTPELLIER (13.6.1949), avec 10 organismes : Le Comité des Dames Visiteuses, les Ouvroirs Paroissiaux, les Comités d'Accueil, l'AFP, Le Comité de l'Asile de Vieillards,, le Comité du Foyer de la Jeune fille, les Travailleurs sociaux de l'Espoir, les Comités de Secours Mutuels, la Croix Bleue et enfin le Comité des Amis de La Force, C'est montrer l'imagination à l'oeuvre au sortir de la guerre.
- Un second souffle la réanima entre 1968-1972, lorsque plusieurs personnes venant des divers horizons du protestantisme montpelliérain voulurent trouver une "réponse aux besoins nombreux de personnes en difficulté, dans le désert social de Montpellier". Leur groupe de travail aboutira au constat que les Associations historiques ayant presque totalement cessé leurs activités, elles devaient se regrouper, en CENTRE SOCIAL PROTESTANT-ESPOIR DE MONTPELLIER, 1976, avec une nouvelle équipe de militants engagés qui viendront s'installer dans une partie de l'Ecole protestante du Temple de Brueys .
"La Diaconie fait partie de la mission de l'Eglise, elle est le relais de la prédication, à la fois parole et action de service. C'est à nous de produire les signes du Royaume, avec l'aide de l'Esprit." André Bost 1983.
Hélas, en 1996, les Assemblées générales des 2 Associations, Entraide et CSP mettront fin à leur collaboration, modifieront leurs sigles et leurs statuts, et créeront L'AFEP, ASSOCIATION FAMILIALE D'ENTRAIDE PROTESTANTE qui assurera le volet bénévole de la Diaconie allant jusqu'à 101 membres actifs mais s'étiolera au fil des ans devant l'efficacité de l'UNION DES ASSOCIATIONS DU CSP ESPOIR de Montpellier qui réunira les activités sociales, médico-sociales, sanitaires et de formation des Sept associations quasi professionnelles qui la composent et qui, en 2004, deviennent GAMMES GROUPEMENT d'ASSOCIATIONS MUTUALISEES en ECONOMIE SOCIALE qui, à l'heure actuelle, avec 1.200 salariés, dont presque 500 en insertion, 75 bénévoles, agit auprès de 14.000 bénéficiaires avec un budget annuel de près de 20 millions d'Euros (19.787.917 en 2012).
Ce ne sera qu'en 2010 , après presque 20 ans de léthargie que renaîtra l'AFEP, Association familiale d'entraide protestante de Montpellier, véritable phénix, en ouvrant un CENTRE DE LOISIRS pour "donner du sens au temps libre de vos enfants !", en relançant l l'AIDE aux Familles et en créant BABEL CAFE :
Des petits déjeuners dominicaux pour les SDF, Précaires et exclus de la Cité grâce à plus de 50 paroissiens bénévoles, auxquels s'ajoutent régulièrement de nouveaux volontaires venant d'horizons divers.
"Ce nom de Babel café nous est venu dès la 2ème journée d'ouverture en constatant combien de nationalités étaient présentes, combien on avait besoin d'interprètes : roumain, espagnol, polonais, anglais, allemand, arabe, italien... C'est donc un symbole de la diversité mais aussi un contre exemple du récit biblique, en ce sens que nous essayons de nous comprendre et de travailler ensemble. Plus de 35 pays sont ainsi présents chez nous."
Pendant 42 dimanches, sur l'année 2014, ont été servis de très copieux "brunchs" à 6.515 personnes avec une moyenne de 149 par matinée grâce à la participation de 15 à 18 bénévoles. Ont ainsi été distribuées 12.200 Kg. de denrées alimentaires. Notre modeste "salon du petit déjeuner du dimanche" fait maintenant partie du cycle de vie de cette population fragilisée, dépendante et souffrante. Pour nous mêmes c'est l'équivalent du Culte; rappelons qu'il y a cent ans Wilfred Monod avait instauré un repas pour les pauvres de la Clairière chaque fois que la Cène avait lieu au Temple de l'Oratoire.
Car ce n'est pas seulement de pain que ces personnes ont besoin, mais d'un accueil empathique, d'une écoute disponible, de regards ouverts, de calme et même de silences partagés.
Notre Préau, maintenant coquettement meublé par un don généreux, voit ainsi tous les dimanches se côtoyer, dans le calme et le respect réciproque :
-des mères africaines, avec leurs nouveau-nés et leurs très jeunes enfants,
-des jeunes vagabonds polonais,
-un vieux musicien anglais,
-des espagnols en quête de travail,
-des hommes et des femmes préretraités de notre Région,
-des mères de famille Rom et leurs enfants,
-des Bulgares et des Roumains dans la force de l'âge tout juste débarqués,
-d es retraités marocains venus de leurs foyers sordides,
-des groupes de jeunes marginalisés mais souriants,
-des vieux Arméniens épuisés,
- et tant d'autres, et tant d'autres...
Ces instants fugaces mais intenses que nous avons le privilège de partager avec eux ne sont - ils pas un avant-goût du Royaume où "Le loup et l'agneau auront un même pâturage" ?


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Car pour vivre la fraternité il est nécessaire d'OUVRIR LES YEUX. Le constat actuel : Les inégalités sociales se creusent, semblant revenir aux débuts du XXème siècle. Apparaissent ainsi de nos jours des failles "invisibles, secondaires, qui révèlent de nouveaux problèmes et font émerger de nouveaux acteurs" F. Dubet, à l'origine de dégâts collatéraux, secondaires mais mortifères que la crise économique et la réduction des moyens de l'Etat protecteur aggravent chaque jour.
Le visible, quantitatif est à peu près bien connu :
- 9 millions de pauvres,
- 5 millions de chômeurs, plus de 10 % de la population active,
- 3 millions de mal-logés
- 2 millions de mineurs vivant sous le seuil de pauvreté
- 150.000 sans abri dont 30.000 enfants
En 10 ans l'Association Emmaüs a constaté une augmentation de 50 % de ces chiffres.
L'invisible, qualitatif, est lui, très préoccupant, touchant tous les âges :
-Des nouveau-nés et bébés de mères clandestines, sans papiers, vivant dans des squats
-Des familles avec jeunes enfants vivant d'hôtel social en hôtel social,/L'Observatoire du Samu Social de l'Ile de France révèle en octobre 2014 que "29 % n'ont pas de toilettes ou de douche dans leur chambre, que 41% des enfants doivent partager le même lit qu'un de leurs parents, que 21% ne peuvent pas cuisiner, que 86% sont en insécurité alimentaire. 550 familles sont dans ce cas depuis plus de 5 ans."iv
-Des jeunes errants, étrangers sans papiers, livrés à eux mêmes...
-Des jeunes 18/25 ans français nouvelle génération, "tombés du nid familial" comme l'écrit la journaliste, "Demain c'est leur visage qui sera celui de l'époque !" Dans la région parisienne ils représentent 13% des appels au 115 pour se loger d'urgence, 2 fois plus qu'il y a 7 ans.
-Des demandeurs d'asile refusés, en attente d'appels et de refus probables (82 %),
-Des préretraités au chômage, incapables de faire face aux charges d'habitation et aux nouveaux loyers - parfois même des propriétaires - amenés à vivre dans leurs voitures immobilisées,
-Des femmes seules, survivant avec le RSA mais abandonnées par leurs enfants,
-Des routards, chemineaux d'antan, épris de liberté tel J.M. qui persiste à monter et démonter chaque jour sa tente depuis 34 ans et qui regrette le temps de ses débuts.
-De grands errants, à la dérive comme ces 300 vivant dans le métro parisien, "noyau dur totalement désocialisé en grande souffrance psychique." (Dr. P.Henry

Les conséquences : les exclus, les "hors normes" : démunis, précaires, assistés, dépendants, vivent chaque jour l'humiliation, la perte de l'estime de soi, la ségrégation, un quotidien rythmé par l'urgence et la précarité avec une existence peuplée de Manques : Manque de lieu de vie, d'abri, de relation, de sécurité, de nourriture, empêchant toute projection dans l'avenir. Situation encore aggravée pour les étrangers, demandeurs de travail et d'asile : Sans papiers, Sans domiciles, Sans voix, Sans droits... Les associations de défense des droits de l'homme constatent " un inquiétant effritement de la cohésions sociale, un net recul de la tolérance". Mais c'est la perte du sens que prend leur existence qui est le traumatisme initial, due très souvent à l'incompréhension de leur situation, incompréhension, suivie de frustration, de colère, de sentiment d'injustice, d'impuissance et la dérive s'ensuit. Comment survivre dans la rue quand plus rien n'a de sens ? "Ce n'est déjà pas rien d'être rien ! Mais être rien pour l'éternité, ce n'est pas vivable" a écrit ce SDF dans un poème trouvé dans une poubelle. De se battre pour survivre dans la jungle de la Rue, cette Rue qui, de fait, est devenue le préau d'un désert sociétal; un lieu avec d'autres lois où règnent toutes les peurs, peur de l'autre, peur de l'homme, peur du policier, du gendarme, du tribunal, et même la peur de soi !
L'accueil d'urgence dans les villes est de plus en plus impuissant à gérer les demandes d'abri, devant parfois refuser jusqu'à 95 % des appels. Ainsi à Paris le 115 reçoit-il 6.000 appels par jour, ne répond qu'à 1.300 et ne peut proposer de solution qu'à 700 demandeurs, 40 % sont des familles avec enfants. Chaque jour, dès 10 heures du matin toutes les places sont prises. Il en coûte au Département 170 millions d'euros par an, 1,3 milliard au plan national. (le Monde 11.XII.2014).
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Pour vivre la fraternité il faut aussi AGIR.
S'engager, selon la parole :
"Qui reçoit celui que j'envoie me reçoit, et qui me reçoit, reçoit celui qui m'a envoyé." Jean 13,20
"Ne s'agit il pas de partager ton pain avec celui qui a faim
et de ramener dans ta maison le malheureux sans asile ?
De couvrir celui que tu vois nu...
Alors ta lumière poindra comme l'aurore." Esaïe- 58,7
On le voit la lutte contre les fléaux historiques qu'étaient la malnutrition, le manque d'hygiène et ses conséquences, l'alcoolisme et la prostitution a toujours suscité , à travers les siècles, des acteurs généreux. Vouloir pratiquer la fraternité en se rendant disponibles envers les fragilisés de la vie, rendre plus conviviale notre société, sont des appels évangéliques que beaucoup de chrétiens entendent.
Pour autant il est nécessaire que chaque intervenant soit bien au clair sur ses choix, ses motivations, ses compétences, son énergie et sa disponibilité; car un engagement associatif est souvent comme un marathon, impliquant endurance, patience et fidélité. On compte en France 12,7 millions de bénévoles à travailler dans des domaines, il est vrai très dissemblables, allant des loisirs, du sport, de la culture au social. Face au vieillissement des cadres c'est aussi le recrutement de responsables qui devient problématique et freine souvent le lancement de projets : actuellement un président d'association sur 2 est un homme âgé de plus de 65 ans et en poste depuis plus de 15 ans.
Il faut être conscient que l'essentiel n'est pas la "bonne œuvre", mais la qualité de la relation qui est instaurée avec l'autre, relation dans le respect, dans l'humilité, relation qui fait grandir l'autre, c'est ça qui le sert et qui pourra l'empêcher de se laisser glisser, de s'éteindre au monde.
Reconnaissons aussi que travailler pour l'Autre et avec les autres nous enrichit et nous change nous-mêmes.
"M'est donnée une force qui dépasse mes forces" écrit Mère M.Skobstov.

Se grouper
Dans une société où les classes sociales se déconstruisent, selon les sociologues, où les difficultés économiques favorisent le repli sur soi, les solidarités s'émoussent alors que le sentiment de l'urgence solidaire est une des conditions nécessaires aux politiques de cohésion sociale. "La montée des inégalités agit comme un venin qui affaiblit progressivement la démocratie" écrit le sociologue Hervé le bras.
A l'évidence la cooptation des bonnes volontés, leur regroupement en associations formelles, Loi 1901, ou informelles a permis d'augmenter leur efficacité. Le milieu associatif en France compte 12,7 millions de bénévolesvii et 1,8 millions de salariés, (environ 1 pour 9) pour 1,3 millions d'associations déclarées. Un maillage sociétal indispensable et qui irrigue encore notre société. Ces groupes, formels ou informels, sont des sentinelles du mal-être, de la mal-vie des humbles, des oubliés, ou des jetés par dessus bord de la société. Ces véritables antennes de la fraternité veulent à nouveau inviter à la table de la vie ceux qui en désespèrent.
Les "bien-veillants", les bénévoles ont vite compris que l'efficacité impliquait leur travail en équipes, souvent associés aux professionnels, ce qui implique une gouvernance particulière, adaptée aux contraintes de l'action et de la personnalité des acteurs : celle des professionnels prêts à coopérer avec des bénévoles, celle des bénévoles prêts à être guidés et celle des directions pour gérer humainement et rationnellement leur complémentarité, en évitant de les cantonner à des rôles de simples exécutants.
D'où l'importance des formations pour affiner les compétences et asseoir sa légitimité auprès des professionnels.

Se former
"Commence par faire le nécessaire, puis fais ton possible, et tu réaliseras l'impossible sans t'en apercevoir !" François d'Assise.
Comment des œuvres portées principalement par des bénévoles peuvent elles répondre aux exigences de compétence, de technicité de la société ? Pour que bénévolat ne rime pas avec amateurisme l'exigence de formation doit être acceptée et satisfaite. Elle permet de travailler à l'aise et de trouver la bonne distance émotionnelle avec les aidés." En tant que bénévole on est plus facilement touchés"."Sans formation, nous sommes perdus, nous n'avons pas les repères qu'il faut."viii
La découverte de la "culture de la pauvreté" nécessite une approche progressive et ceci ne vous laisse pas indemne. Elle oblige au "non-jugement", à l'empathie, à la gratuité de l'effort et à l'humilité. La réussite dans ce domaine est toujours fragile, rien n'étant jamais gagné définitivement. La logique de la fraternité, son impératif est, vous le savez, l'accueil et même le premier accueil : c'est la porte qui ouvre sur le partage et la marche vers une vie ouverte et non repliée, rabougrie, honteuse et attristée.
La finalité de ces engagements est la restauration de la dignité des exclus, le retour de l'estime de soi par l'attention et la confiance donnée pour transformer l'assisté en partenaire, puis, peut-être, de partenaire en responsable. À Babel café nous sommes heureux et fiers qu'un tiers de nos accueillants soient d'anciens accueillis. Sans eux, d'ailleurs, nous n'y arriverions pas.

Témoigner

Quelle idée nous faisons nous de notre témoignage, qu'en espérons nous ? Être une église de témoins implique aussi de témoigner pour nourrir sa foi, cf. la recommandation du Synode de cette année 2014 : Etre témoin à l'endroit où l'on est appelé à servir. Créer des lieux de rencontre et de pratiques entre chrétiens et non chrétiens se fait à travers des lieux de service et d'écoute. Quand les paroles sont devenues actes, les actions à leur tour sont des messages, porteurs d'un langage fraternel humanisant qui peut se passer de mots, traversant le silence et portés par un regard, un sourire. L'aventure humaine du bénévolat est faite de ces échanges, de ces rencontres, souvent improbables, de croisements de trajectoire de vie d'une richesse insoupçonnée.
Témoigner l'Evangile hors les murs... Certains se posent la question de savoir si nos actes parlent suffisamment de notre Foi ? Le bénévoles est déjà converti par la Parole inspirée par Dieu, celui qu'il aide sera touché par le sens même de cette assistance, actualisation d'une parole d'Espérance;
- À Montpellier, où notre action se déroule dans le préau du Temple désaffecté, la réponse est implicite, "Il vous le rendra !" nous disent en levant le doigt les vieux maghrébins, d'autres nous félicitent de l'élection du nouveau Pape, d'autres enfin nous souhaitent de vivre 160 années. La seule inscription visible au mur est ce tag tiré d'un cantique : "Viens chez moi t'asseoir, prendre du pain et te réjouir !".
"Les gens donnent de leur temps et de leurs compétences. C'est une façon de dire ce en quoi on croit, sans langage théologique ni biblique". Pasteur M. Heinrich, dans le Bas-Rhin. La devise de l'Armée du Salut est toujours judicieusement : "En premier, du Pain et du Savon."

Être partenaire, est aussi un impératif d'efficacité :
- avec les bonnes volontés sensibles au projet au sein de l'église,
- avec les professionnels salariés de l'Association,
- avec les paroisses qui œuvrent déjà sur le même terrain,
- avec d'autres associations de la Cité pour partager les mêmes expériences, saluons ici le travail énorme des " diaconies laïques" comme les Restaus du Cœur et la Croix Rouge associées au même combat.
- avec les Institutions de la ville, du département, de l'Etat et même de l'Europe en demandant des subventions ou en répondant à des appels à projet,
- avec les usagers enfin, pour valoriser leur expériences de vie - ce sont des experts d'expérience - les responsabiliser et les promouvoir.
- Pour permettre la co-construction des politiques de lutte contre la pauvreté, ATD 1/4 Monde, que fonda le Père Joseph Wresinski à la fin des années 50, promeut, "un croisement, une réciprocité entre les savoirs universitaires, les savoirs d'action des professionnels et les savoirs de vie des personnes en situation de pauvreté".
En raison des contraintes budgétaires liées à la crise toutes les Associations constatent que les aides institutionnelles se réduisent d'année en année obligeant à chercher et trouver de nouvelles stratégies pour se maintenir et développer de nouveaux projets.
Paradoxalement, la prise de conscience, grâce aux médias, de la souffrance vécue par certaines catégories sociales à travers le monde suscite des élans locaux, nationaux ou planétaires. L'émergence de forums sur les réseaux sociaux favorisent la mobilisation de nouveaux acteurs. Se développent ainsi des capacités expérimentales, novatrices, symboles du refus de la fatalité économique, îlots de résistance exemplaire et facteurs d'espérance.
Faut-il être indépendants pour garder sa liberté d'action ?
Quelles alliances solidaires doit-on établir ?
Quelles priorités doit on choisir ?
Quels territoires doit-on investir ?

Réaliser
Nous avons déjà cité les œuvres des diaconats d'il y a un siècle; si les priorités ont peu changé les modalités de prise en charge ont évolué. Les nombreux exemples exposés ici aujourd'hui témoignent de l'inventivité de nos associations; nous n'énumérerons donc pas vos nombreuses initiatives, couvrant tous les champs de la lutte contre l'exclusion, la protection des grandes vulnérabilités, et les actions de proximité pointant seulement les principaux secteurs d'intervention:
- Nourrir, avec les soupes, repas, petits déjeuners...
- Vêtir, avec les fringueries et vestiaires...
- Abriter, avec des accueils temporaires, des échanges intergénérationnels...
- Meubler, avec les ressourceries, brocantes, récupérations...
- Orienter, avec les aides administratives pour l'accès aux droits, dont la Cimade est le modèle national,
- Redynamiser, avec, l'aide à la parentalité, l'alphabétisation des étrangers...
Repointons un élément capital dans l'accompagnement de ces services, qui est l'écoute, l'échange et la parole. La finalité étant toujours de ranimer la flamme de la confiance en eux chez ces maltraités de la vie.
Une grande disparité existe entre ces actions, toutes significatives, offertes autant par un groupe informel de bénévoles engagés sur un seul projet (non subventionné), tel celui de fournir chaque lundi sur des tréteaux une centaine de repas chauds préparés à la maison, que ceux des 6 ateliers du Centre Social ALISÉ, issu du CSP de Montpellier avec ses 71 bénévoles et ses 13 salariés agissant sur 4 quartiers, avec un budget de 330.000 €.
L'expérience de Epiceries sociales et solidaires, déjà nombreuses, est un exemple éloquent de l'intérêt des coopérations entre acteurs sociaux. On constate ainsi que la créativité collective est stimulée par la pénurie, la nécessité; elle suscite une intelligence nouvelle et invente des solutions originales.
Par exemple le besoin primordial des exclus d'être reliés par téléphone ou internet a permis à Emmaüs Défi de Paris de créer un service d'abonnement très peu onéreux en leur vendant des recharges à la minute. c'est dire l'intérêt de cerner les nouvelles souffrances, d'imaginer de nouvelles solutions avec les gens concernés. Comme les Compagnons de la Nuit, accueillant en soirée à La Moquette, Rue Gay Lussac, SDF comme ADF pour des débats, des infos, des échanges relationnels.

Paroles de bénévoles
Alexandre : C'est un café où personne n'est anonyme et où chacun a son histoire. Un café cosmopolite qui porte bien son nom et où se mêlent les origines. C'est un lieu où l'on se rencontre et où se tissent des liens. Un petit café qui se désole de voir son nombre d'habitués augmenter mais qui est là pour proposer une halte et apporter un peu de chaleur en attendant des jours meilleurs.
Markus : J'ai passé des bons et merveilleux dimanches avec Vous et les gens, des temps calmes et des temps agités. Mais chaque fois j'ai fait des nouvelles découvertes et chez vous j'ai appris beaucoup sur la vie, une chose qui va m'aider dans mon futur boulot comme pasteur.
Anne-Marie : "C'est pour moi la possibilité de ne pas être seulement spectatrice de la précarité et de la pauvreté mais d'essayer très concrètement, avec un sourire, une écoute et un peu de nourriture d'y porter remède... au moins quelques heures par semaine.
Christiane : "Le préau de Babel café est pour moi un espace-temps où, comme sur la route de Jérusalem à Jéricho, je peux choisir de m’arrêter : à la rencontre d’hommes et de femmes qui, je le sais, sont mes sœurs et mes frères en Christ mais que j’osais à peine regarder, encore moins aborder. Aujourd’hui, il peut arriver que nous nous croisions dans la rue, nous nous reconnaissions et échangions quelques mots. Entre la sécurité de ma vie et la précarité de la leur, quel fossé !
Marie Armelle : "A Babel Café, certains jours, nous avons l'impression que le règne de Dieu est déjà là. Particulièrement les jours où la banque alimentaire a été généreuse: nous pouvons l'être nous aussi. Chacun repart alors avec le sourire et des remerciements si chaleureux, que nous avons l'impression que le règne de l'amour a déjà commencé"
Serge : "Babel Café le dimanche matin est pour moi l'occasion de me poser la question du diaconat dans l'Eglise. Le Service est la mise en pratique de la parole reçue et entendue, j'ai besoin de ces deux piliers de ma foi : la Parole et les Actes. C'est d'ailleurs dans l'action, si modeste soit-elle, que la réalisation de la Parole s'exprime dans le regard et dans les mots partagés avec les accueillis du dimanche matin à l'heure du culte."
Pour résumer
"L'entraide est un christianisme pratique pour prendre soin de l'humanité, au service du prochain " nous dit James Woody, le Pasteur actuel de la Clairière. Nous sommes donc mobilisés pour soulager la peine des hommes, faire reculer la souffrance, relever les humains courbés, accablés, les âmes humiliées, les aider à retrouver l'estime d'eux-mêmes et recouvrer leur dignité.
Pour cela il faut des acteurs engagés, sans jugements ni préjugés, capables d'être en empathie avec les accueillis afin de transmettre la joie du partage. "Soyez mutuellement témoins de vos joies !" recommandait Basile de Césarée à ses moines au 4ème Siècle.
Proposer l'Agapé, l'amour compassion, dans la gratuité et non dans la pitié : car ces hommes, ces femmes sont à aimer comme Dieu nous aime, gratuitement.
Soyons optimistes, refusant tout fatalisme, la foi chevillée au corps, croyant envers et contre tout que le pire n'est jamais certain, que le meilleur est toujours possible, car l'optimisme est contagieux ! Confiants dans la promesse qui nous a été donnée

"Si tu prodigues ton âme à l'affamé, tes ténèbres seront comme le midi" Es.58,10
Je me suis glissé parmi eux...
Seigneur, j'étais si tranquille chez moi !
Tu m'as forcé à ouvrir ma porte...
Dehors les Hommes me guettaient,
Les premiers sont entrés chez moi,
Il y avait un peu de place dans mon cœur.
Mais les suivants, Seigneur, les autres, je ne les avais pas vus.
Ils étaient plus nombreux, plus misérables.
Ils m'ont envahi sans crier gare...
Ils sont encombrants, envahissants.
Ils ont faim, ils me dévorent...
Il n'y a plus de place pour moi chez moi.
Ne crains rien, dit Dieu. Tu as tout gagné !
Car tandis que les hommes entraient chez toi,
Moi ton père, moi ton seigneur, je me suis glissé parmi eux
Suzanne de Dietrich 1891-1981.
"Si vous savez cela, heureux êtes vous... pourvu que vous le mettiez en pratique." Jean 13,17


Révaz Nicoladzé