Un soleil timide lèche les murs de la cour silencieuse de Brueys. Comme par enchantement les tables se sont alignées sagement, attendant leurs hôtes. Mais la ruche des bénévoles bourdonne à l'intérieur.

tour-de-babelDans la pièce du fond, la "tartinerie", dix personnes, dont 4 jeunes du secteur des Garrigues amenés par nos Années Diaconales, tartinent à tour de bras pâtés, fromages, confitures, d'autres découpent tartes et brioches tandis que nos spécialistes inventent des salades de fruits que tous apprécient. Très vite dans le couloir s'alignent les plateaux colorés, les fruits variés prêts à être distribués. Dans la "chaufferie" les gardiens des fours réchauffent  viennoiseries, beignets, pizzas et fougasses qui disparaîtront en un éclair.
Puis on entend le lourd portail glisser sur ses rails et la file impatiente serpente dans la cour. Des salutations s'échangent, les fidèles s'inquiètent de nosbcafe1 santés, des nouvelles sont données : Natacha, Infirme Moteur Cérébrale de 35 ans est heureuse, on va enfin lui retirer les vis de sa dernière intervention qui la faisaient souffrir. Chaque arrivant passe au comptoir devant nos bénévoles alignées comme à la parade qui, avec le sourire, les aident à remplir leur plateau de viennoiseries, sandwiches, poulet froid ou pilons chauds, salade de fruits, compotes ou yaourts pour terminer devant les dames du café.  
Outre la belle collecte de la veille à la Banque alimentaire, un air de fête flotte dans le préau car Paloona, notre paroissienne tahitienne nous a tous décorés de colliers de coquillages traditionnels avant de retourner pour l'été dans son île natale.
Les habitués se regroupent à leurs tables habituelles, et, installés devant leurs copieux plateaux entament des conversations inépuisables jusqu'à la fermeture; cette cour est devenue leur Club du dimanche. Les pré retraités et les post retraités sont nombreux à venir profiter de cette pause et conversent avec les jeunes, de plus en plus nombreux mais passagers. Marie Josée s'inquiète de la prochaine démolition de son immeuble squatté; où ira t elle alors à 62 ans ?
Parcourant du regard les visages de ces hommes et de ces femmes en difficulté, mais pour l'instant tranquillement installés à se restaurer avant de repartir, qui dans la rue, qui dans son squat, qui dans son galetas et presque tous dans leur solitude, on a le sentiment que cette cour est bien devenue peu à peu, une oasis de paix.
 bcafe2Telle une mère poule entourée de ses six poussins, Ana, la maman Rom organise joyeusement sa tablée. Quelle transformation depuis leur première arrivée ! Lucette a le sourire, car après avoir obtenu un studio par GAMMES, elle vient déjeuner avec son fils, retour de Malaisie. Il a le projet de faire venir sa femme et ses 2 enfants mais n'a encore ni travail, ni logement.
Plus loin, dans son fauteuil roulant, Fayçal se prépare à partir au Viet Nam voir la famille de sa fiancée. Hélas il a quelques jours, réparant sa roue, sa sacoche a glissé et quelqu'un l'a emportée avec tous ses papiers. Il reste optimiste ! Samuel et Aïda, vieux couple Arménien, refusé de droit d'asile, espère toujours quitter son hôtel social; malgré notre impuissance ils ne cessent de nous remercier.
Cinq nouvelles arrivées se serrent ici autour d'un homme qui est le seul à se faire comprendre; elles viennent toutes d'Ukraine et ne parlent que le russe. Le contact n'est pas aisé. Là se reposent, solitaires, nos vieux clients maghrébins, terminant leurs  vies de travail dans des foyers à peine salubres. le plus émouvant est Zaïm 93 ans, notre doyen d'âge : Sous-officier dans l'Armée française il a fait la Campagne de France, occupé l'Allemagne, fait la guerre d'Indochine. Il descend ponctuellement de la Paillade pour se restaurer et emporter un petit colis que nous lui faisons, après l'avoir vu fouiller les poubelles dans notre rue.
Le long du mur du préau, scotchés à la même place d'un dimanche sur l'autre, Yves, Patrick, François, placides, avares de mots, ruminent en silence leurs soucis. D'autres solitairesbcafe3 s'installent tout au fond de la cour, communiquant à peine, sauf avec leurs chiens.
Pendant qu'entre les tables nos plus jeunes font circuler des plateaux  de tielles chaudes, de sandwiches variés, de beignets ou de pommes, les plus aguerris trouvent le temps de s'asseoir, d'écouter et de partager les conversations, d'aider à rédiger une lettre ou d'écrire une réclamation.  Tel Antoine féru d'histoire, qui conte Le Roi Soleil et Colbert. Aujourd'hui il demande un modèle de reconnaissance de dette un ami; en échange il nous récite des vers d'Omar Khayam avec une joie profonde.
Le temps s'est écoulé en douceur, la fatigue ne sera perçue que plus tard, la satisfaction de notre public est si évidente et si manifestée  qu'elle nous a portés pendant ces 2 heures hebdomadaires, courtes mais si intenses. Au dernier moment il nous faut accueillir encore quelques retardataires affamés et assoiffés, comme notre famille soudanaise.
bcafe4 Mais il faut bien se séparer et remettre tout en ordre, dans la bonne humeur, avec l'aide spontanée d'accueillis. Aujourd'hui  Mina, notre vieille marocaine cardiaque, tient à terminer sa vaisselle des plateaux avant de franchir le portail en nous remerciant, courbée en deux. Vers quel avenir avances tu, Mina,  claudicant de la sorte ? Et c'est Ahmed qui a voulu ranger les tables ave Idelette qui a lancé un nouveau slogan "Un bénévole et un accueilli, c'est vraiment un couple idéa!".
Il y a déjà plus de quatre heures que Georges notre Majordome, mettait les percolateurs en marche, que 20 bénévoles sont venus servir 168- humains en difficulté et partager leur joie. La cour noyée de soleil retrouve son calme, le vent berce les repousses de nos vieux platanes, les pigeons  reviennent picorer les miettes échappées.
La 4ème Saison de Babel Café se terminera en apothéose ave la Fête de l'été du 14 juin à midi avec son éphémère Babel Restaurant. Fidèles à l'appel d'Esaïe 58-12, nous continuerons d' être : « Ceux qui restaurent les sentiers pour rendre le pays habitable ».
Révaz Nicoladzé (2-06-2015)