Jésus s'en alla, avec ses disciples dans les villages de Césarée de Philippe, et en chemin, il leur posa cette question : Les gens, qui disent-ils que je suis ? Ils dirent : Jean-Baptiste ; d'autres, Élie ; d'autres, l'un des prophètes. Mais vous, leur demanda-t-il, qui dites-vous que je suis ? Pierre lui répondit : Tu es le Christ. Jésus leur recommanda sévèrement de ne dire à personne ce qui le concernait. Il commença alors à leur apprendre qu'il fallait que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu'il soit mis à mort et qu'il ressuscite trois jours après. Il disait ces paroles ouvertement. Et Pierre le prit à part et se mit à lui faire des reproches. Mais Jésus se retourna, regarda ses disciples, fit des reproches à Pierre et lui dit : Arrière de moi, Satan, car tes pensées ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes. Puis il appela la foule avec ses disciples et leur dit : Si quelqu'un veut venir après moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. Quiconque en effet voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile la sauvera. Et que sert-il à un homme de gagner le monde entier, s'il perd son âme ? Que donnerait un homme en échange de son âme ? En effet quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi aura honte de lui, quand il viendra dans la gloire de son Père avec les saints anges. Il leur dit encore : En vérité, je vous le dis, quelques-uns de ceux qui se tiennent ici ne gôuteront point la mort avant d'avoir vu le royaume de Dieu venir avec puissance. Six jours après, Jésus prit avec lui Pierre, Jacques et Jean, et il les conduisit seuls à l'écart sur une haute montagne. Il fut transfiguré devant eux : ses vêtements devinrent resplendissants et d'une telle blancheur qu'il n'est pas de blanchisseur sur terre qui puisse blanchir ainsi. Élie et Moïse leur apparurent ; ils s'entretenaient avec Jésus. 

 

Marc 8,27  jusqu'à Marc 9,4 (traduction LSG) 

lob 300122 11. « Quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile la sauvera. »

Honnêtement, il y a de quoi hésiter longtemps avant de nous engager sur cette parole. Oui, avant de nous engager sur cette parole, nous  avons d’abord besoin de trouver une réponse personnelle à la question suivante : 

Est-ce que l’Évangile vaut la peine que nous misions notre vie sur lui ? Est-ce que le Christ vaut la peine que nous risquions notre existence en prenant au sérieux sa parole ? Est-ce que l’Évangile vaut la peine que nous lâchions la maîtrise de nos plans et que nous perdions de vue nos programmes et notre organisation afin de nous  engager pour lui ? 

Voilà la question que je vous propose de méditer ensemble ce matin, afin que chacun.e nous puissions avancer dans l’élaboration de notre réponse personnelle. Est-ce que l’Évangile, le Christ valent la peine que nous misions notre vie sur eux ?  

2. Méditer cette question aujourd’hui, alors que nous allons vivre notre assemblée de secteur, qu’est-ce que cela veut dire ? 

Est-ce que cela signifie qu’il faudrait nous demander :  l’Évangile vaut-il la peine que nous lâchions notre fonctionnement de secteur, nos habitudes d'église, qui certes ne sont pas parfaites, mais qui ont le mérite d’exister, pour que nous nous laissions gagner par lui ? Alors que nous allons prendre le temps de relire ensemble l’année écoulée au niveau de notre vie église sur le secteur, franchement, ne pouvons-nous pas dire que la manière dont notre quotidien fonctionne n’est pas si mal que cela ? 

Même si ce fonctionnement n’est pas parfait, il ne faut pas cracher dans la soupe. Les cultes ont été assurés chaque dimanche. Même si la pandémie nous a empêché de nous réunir physiquement, il y a eu des diffusions par la radio ou en vidéo. Si nous en avions envie, des possibilités de rencontres fraternelles ou autour de la Bible ont été organisées. A l’occasion des étapes importantes de la vie, lorsque nous avons eu envie d’avoir une petite cérémonie, l’église a répondu présent. 

Ce fonctionnement d’église n’est-il pas déjà un vrai engagement pour l’évangile   ? N’est-ce pas une manière authentique de nous mettre au service du Christ ? Alors pourquoi faudrait-il le lâcher ?  J’entends cette question, et la trouve tout à fait pertinente. C’est pourquoi, pour éviter les malentendus, je vais être plus précis. 

La question n’est pas de tout abandonner ce que nous avons l’habitude de faire en tant qu’église, et de recommencer à neuf autre chose. Non, la question est de nous demander en vérité : que vaut-il la peine que je lâche dans ce fonctionnement, dans cet engagement que j’assume au sein de l’église pour que ce fonctionnement et cet engagement rayonnent authentiquement de l’évangile ? 

Que vaut-il la peine que je lâche dans mes habitudes qui ne sont pas mauvaises en soi pour que ces habitudes ne soient pas des pratiques routinières dépourvues de vie que nous portons à bout de bras, mais que ces habitudes redeviennent des pratiques porteuses, qui nous alimentent et rechargent notre espérance ? 

Que vaut-il la peine que je lâche pour que mes engagements ne soient pas des occasions où je m’use, je m’épuise, me disperse et me perds ? Oui que vaut-il la peine que je lâche pour que mes engagements deviennent des occasions où ma volonté se simplifie, où ma conscience s’élargit, où mon esprit s’affûte, où ma mémoire s’avive, où mon âme se densifie ? 

3. Voilà la question importante devant laquelle nous place cet extrait de l’évangile de Matthieu que nous avons entendu tout à l’heure. 

Car dans cet extrait de l’évangile que se passe-t-il ? Tout d’abord, nous y voyons Jésus bousculer l’enthousiasme de Pierre. Ce dernier lui avait dit quelques lignes en-dessus, dans une envolée pleine d’élan  : Tu es le Christ, le Messie. Or pour toute réponse, Jésus lui rappelle quel type de messie, il s’apprête à incarner. Une figure du messie qui ne correspond pas aux représentations que se faisait Pierre. 

Du coup, notre apôtre, plein d’assurance suite au trait de lucidité dont il vient de faire preuve, recadre Jésus. Loin de se laisser être remis à la place qu’on souhaite lui faire occuper, Jésus bouscule Pierre. Pour finir par lui dire et en s’adressant à lui, Jésus s’adresse à tous ceux qui veulent le suivre :  

« Quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de l'Évangile la sauvera. »

Cette bousculade de Jésus est risquée. On veut bien risquer sa vie pour un messie qui réussit. On veut bien perdre de son temps pour un évangile qui nous permet finalement d’en gagner,  du temps, et d’éviter des problèmes. Mais on hésite à deux fois avant de risquer sa vie pour un messie qui ne peut pas faire autrement que d’endurer la crucifixion. On hésite à deux fois avant de s’engager pour un évangile qui ne nous promet pas une victoire facile et  qui nous invite à ne pas avoir peur de perdre. 

Ainsi par la manière dont se déroule la trame globale de l’évangile, à ce moment-là du récit, nus pouvons percevoir une tension forte. Une tension qui s’exprime par la question suivante : ce Jésus vaut-il la peine que l’on « joue » réellement sa vie sur lui ? l’Évangile qu’Il annonce vaut-il la peine que nous perdions nos idées et nos représentations du messie pour mieux en gagner d’autres  ? 

lob 300122 24. Or comment l’Évangile répond-il à cette question ? En proposant au lecteur le récit de la transfiguration !  Ici, dans le déroulement de la narration évangélique, le récit de la transfiguration se présente comme le dénouement provisoire des questions surgies suite aux paroles bousculantes à miser sa vie sur un messie qui accepte d’être vulnérable et de souffrir. 

Cela vaut-il la peine de miser sa vie sur Jésus ? Le récit de la transfiguration répond oui, en racontant que les vêtements de Jésus deviennent blanc, d’une blancheur éclatante. 

Dans la logique biblique, les vêtements disent l’identité d’une personne. Dire que les vêtements sont blancs éclatants, c’est dire que cette identité n’est pas fourbe, qu’il n’y a pas en Jésus de Nazareth d’intention voilée. 

Jésus ne cache pas son jeu. Il ne dissimule pas en lui un agenda caché. Il est pleinement dans ce qu’il dit. Son fond est cohérent. 

Donc ce récit de la transfiguration affirme : oui, cela vaut la peine de prendre au sérieux ce Messie et de lui faire confiance, car c’est un Messie qui ne va pas faire faux-bond. Il n’est pas en train de prêcher une chose pour ensuite en faire une autre. Il n’est pas en train de prêcher le règne de la grâce de Dieu, pour ensuite par cette prédication chercher sa propre gloire. Il n’est pas un Messie qui en annonçant le règne de la grâce de Dieu, cherche à gagner le monde entier; un messie qui en s’engageant dans ce projet, le fait en y perdant son âme ; c’est  à dire en détournant à son profit l’âme de ce pour quoi il s’engage. 

Oui, cela vaut la peine de s’engager pour un tel messie, car toute sa vie, jusqu’au bout, Jésus s’est engagé pour témoigner de l’amour transcendant et inépuisable de Dieu.

5. Cela vaut-il la peine de miser sa vie sur Jésus ? Le récit de la transfiguration répond oui, en nous montrant Jésus et quelques disciples quittant la cohue de la fête populaire des tentes, une fête qui à l’époque donnait lieu à une poussée de fièvre nationaliste contre l’envahisseur romain, quittant la cohue pour aller à l’écart, et monter sur une haute montagne.

Alors que la fièvre qui agitait cette fête populaire des tentes était propice à voir en Jésus qu’un agitateur de plus qui bousculant les normes de la tradition ne fait qu’enfanter de nouvelles polémiques stériles, voila que cette mise à l’écart permet une révélation. 

Dans le fond, quand on regarde les choses à tête reposée, loin de la polémique, la vérité c’est que Jésus n’est pas en opposition stérile avec la tradition. Bien au contraire, la vérité est que Jésus discute /débat de manière mature avec Elie et Moïse.  Non pas qu’ils soient d’accord sur tout, mais ils peuvent discuter ensemble. Cette révélation met en pleine lumière la finalité vers laquelle nous projette ce Messie : non pas une cohue qui ne serait qu’une lutte d’égos, mais un monde où Elie, Moïse, Jésus délibèrent ensemble pour que la tradition ne soit plus un fardeau, mais une ressource qui aide chacun à vivre. 

Ce Messie vaut la peine que nous misions notre vie sur lui. Car pour que le pêcheur, la prostituée, le lépreux retrouvent leur dignité, ce messie est prêt à bousculer les lignes. Il est prêt à transgresser les traditions bien établies.  Cependant, ce Messie a beau bousculer les normes et la tradition, la vérité profonde est que ce messie n’est pas un polémiste pyromane qui s’amuse à jeter de l’huile sur le feu pour pousser chacun dans son mauvais penchant et précipiter tout le monde dans l’abîme. Non, ce messie discute avec les deux grands représentants de la tradition, Elie et Moïse pour que cette tradition demeure non pas un fardeau de dogmes, mais une ressource vivante qui aide à tout un chacun à vivre.

En ce sens, ce récit nous dit que l’évangile vaut la peine que nous misions notre vie sur lui. Car l’évangile est cette ressource qui nous permet de lâcher notre posture de gardien de la vérité, de lâcher les polémiques, les gué-guerres de clocher, les rivalités et luttes d’égos, afin de gagner une nouvelle qualité de délibération. 

lob 300122 36. Cependant, le récit de la transfiguration va plus loin que cela ! Vaut-il la peine de miser sa vie sur l’Évangile et sur Celui qui l’incarne, Jésus de Nazareth ? Le récit nous donne la raison la plus belle qui soit de répondre oui, quand il nous parle de lumière.

« Son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent blancs comme la lumière »

Avez-vous remarqué ? La lumière dont il est ici question, loin de dissoudre la personnalité Jésus en plutôt révèle la beauté profonde. Si cela vaut la peine de faire confiance à ce Messie, si cela vaut la peine de risquer sa propre vie sur l’évangile, c’est parce que l’évangile que ce Messie annonce nous révèle la lumière vers laquelle nous tendons. 

Quelles que soient les crucifixions qu’il nous faut endurer, qu’elles que soient les tempêtes qui s’abattent sur nous, nous ne sommes pas voués à la géhenne, nous ne sommes pas condamnés à être  livré aux ténèbres si nous échouons, nous ne sommes pas destinés à croupir là où il n’y a que pleurs et  grincements de dents.  

Non, ce que ce récit de la transfiguration nous dit : notre destination, c’est la lumière. Quelles que soient les épreuves qu’il nous faut endurer, l’appel qui nous est adressé, c’est d’entrer dans cette lumière qui révèle notre beauté.  

Quoi qu’il puisse survenir sur notre route comme crucifixion, le seul appel qui vaut la peine d’être entendu, c’est celui-ci : entre dans la lumière qui fait resplendir ta dignité !  

7. Cet appel est le seul qui vaut la peine que nous risquions notre vie sur lui,  en lui répondant oui. Mensonge toutes les voix qui ricanent, cancanent,  condamnent !

Car nous ne sommes pas destinés à croupir, à être englouti et condamnés. Non, nous sommes appelés à entrer pleinement dans cette lumière qui révèle notre dignité profonde, qui laisse resplendir la beauté unique que nous portons en nous, mais qui souvent reste cachée, voilée, parfois même piétinée ou bafouée.

Mensonge tous les discours polémiques qui alimentent en nous nos mauvais penchants. 

Le seul appel qui vaut la peine d’être écouté, c’est celui qui sur tous les modes possibles nous redit ce chant : qui que tu sois, tu es accueilli et porté dans la lumière, alors entre en délibération avec  les Elie et les Moïse d’aujourd’hui, avec tous ceux qui participent à nourrir la tradition, discute , débat avec eux et reçois de ces discussions de quoi  laisser resplendir ta dignité !  

Mensonge tous les discours angoissés qui nous poussent à porter à bout de bras les causes perdues !

Le seul appel qui vaut la peine que nous mobilisions toutes nos ressources pour y répondre de manière personnelle « oui », c’est celui qui nous invite à vivre nos engagements de manière à ce que ces derniers laissent resplendir notre dignité profonde.

8. Tout à l’heure, durant notre assemblée de secteur, nous allons pointer tout ce que nous avons fait cette année. Pointer aussi les projets que nous allons mener. 

Mais ne nous y trompons pas ! En faisant cela, l’enjeu, ce n’est pas de nous rassurer sur le fonctionnement de notre paroisse. De relire de manière satisfaite tout ce que nous avons fait et tout le programme que nous allons faire. 

Non l’enjeu, c’est que nous fassions un pas de côté pour que nous laissions l’évangile et le Christ nous  révéler à nouveau  la lumière qui nous appelle. Car dans tout ce listing, la seule chose qui vaut la peine d’être vécue, c’est de laisser l’évangile nous travailler au point que nous lâchions ce qu’il nous faut lâcher dans nos fonctionnements pour que nos engagements ne soient pas des engagements à la petite semaine, mais qu’ils deviennent des occasions où se révèle une fraternité splendide, une espérance splendide, une joie de toute beauté. 

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 30 janvier 2022 à Cournonterral
Crédit images: 1-La partie supérieure de la Transfiguration de Raphaël (1520), représentant Élie, Jésus et Moïse (tenant les Tables de la Loi); 2-Theobule; 3-Monastère de la Transfiguration