Maintenant, je m'en vais vers celui qui m'a envoyé, et aucun de vous ne me demande : « Où vas-tu ? » Mais parce que je vous ai parlé ainsi, la tristesse a rempli votre cœur. Cependant, moi, je vous dis la vérité : il est avantageux pour vous que, moi, je m'en aille ; car si je ne m'en vais pas, le Défenseur ne viendra pas à vous ; mais si je m'en vais, je vous l'enverrai.

Quand il sera venu, lui, il confondra le monde en matière de péché, de justice et de jugement : en matière de péché, parce qu'ils ne mettent pas leur foi en moi ; en matière de justice, parce que je m'en vais vers le Père, et que vous ne me verrez plus ; en matière de jugement, parce que le prince de ce monde est jugé.

J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter maintenant. Quand il viendra, lui, l'Esprit de la vérité, il vous conduira dans toute la vérité ; car il ne parlera pas de sa propre initiative, mais il dira tout ce qu'il entendra et il vous annoncera ce qui est à venir. Lui me glorifiera, parce qu'il prendra de ce qui est à moi pour vous l’annoncer. Tout ce qu'a le Père est à moi ; c'est pourquoi j'ai dit qu'il prendra de ce qui est à moi pour vous l'annoncer.

lob 110623 1Pour voir le culte et la prédication:

Jean 16, 5-12 (traduction NBS)

1. Étonnante cette confiance de Jésus !

« J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter maintenant. Quand il viendra, lui, l'Esprit de la vérité, il vous conduira dans toute la vérité ».

Quand il parle ainsi à ses disciples, Jésus aurait toutes les raisons du monde de s’inquiéter. Le contexte dans lequel il se trouve est comme vicié à cause des fomentations des différentes autorités en place. En coulisse, ces autorités s’agitent afin de trouver un moyen pour faire taire ce Jésus qui enseigne, guérit avec une autorité dont on ne sait pas d’où elle lui vient.

Percevant cette ambiance pesante et tendue, Jésus sent que son temps est désormais compté. À cause de ces tensions qui s’accumulent, il devient évident que la formation des disciples ne pourra pas arriver à son terme.

Le maître Jésus avait peut-être imaginé avoir encore des mois voir des années pour partager avec ses disciples réflexions, échanges et rencontres ; quand ses disciples ne mesuraient pas avec assez de finesse les enjeux de ce qui se passait, Jésus s’était peut-être rassuré en se disant que plus tard, il pourrait reprendre tout cela avec eux. Maintenant, il réalise que ce temps passé ensemble ne sera pas éternel ; il aurait encore beaucoup de choses à partager, mais voilà le temps est désormais compté.

2. Je pense ici que les enseignants comprennent bien ce que doit vivre Jésus. Cette sensation de voir la fin d’un cycle arriver sans avoir pu aller avec leurs élèves jusqu’au bout de ce qu’ils avaient envisagé…

De même, cette sensation peut aussi être le lot de parents, grands-parents. En effet, dans la relation qui nous unit à nos enfants, nos petits-enfants, nous pouvons nous sentir envahis d’une grande patience, quand nous nous imaginons avoir de longues années pour éduquer ces personnalités émergentes qui nous sont confiées.

Mais voilà que les années bien remplies défilent, et ces personnalités émergentes grandissent et gagnent en autonomie. Un beau jour, nous sommes devant le fait que cette personnalité que nous avons connue pourtant toute petite est partie ailleurs continuer sa vie.

Nous pensions avoir tout le temps, et voilà que nous réalisons que ce temps est extraordinairement court. Nous voulions faire mille et une choses au quotidien avec cette personne, mais voilà que le temps est passé sans que nous ayons pu réaliser une bonne partie de ce que nous avions imaginé vivre.

Tout cela fait que nous pouvons parfois entrer dans une nouvelle étape de vie avec au cœur cette touche nostalgique « c’est déjà passé… J’aurais eu encore tellement de choses à dire, à vivre … ». Si cette nostalgie devait nous saisir, il est salutaire de prendre le temps de méditer ce passage de l’évangile, car dans ce passage rayonne une profonde confiance !

« J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter maintenant.13Quand il viendra, lui, l'Esprit de la vérité, il vous conduira dans toute la vérité ».

3. Sur quoi repose la confiance du Christ ? Avez-vous remarqué ? Quand il parle à ses disciples, Jésus dit :

« J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter maintenant. »

Sous entendu : vous pourrez les porter plus tard.

Si Jésus n’est pas déçu ou découragé, c’est parce qu’il prend positivement en compte la dimension du temps qui passe. Pour entrer dans la profondeur de choses, rien ne sert à un moment donné d’ajouter des conseils aux paroles déjà données, et de surajouter à ces conseils des recommandations.

À un moment donné, il faut simplement laisser la personne vivre et faire ses expériences. Quand cette personne aura vécu ses propres expériences, alors à ce moment-là seulement, elle comprendra tout ce qui lui aura été dit. Au chapitre 16 de l’évangile selon Jean, au moment où Jésus parle à ses disciples en disant « J'ai encore beaucoup à vous dire, mais vous ne pouvez pas le porter maintenant.», ces mêmes disciples ont déjà entendu et vu ce qu’est l’évangile.

Ils ont vu et entendu Jésus nourrir une grande foule, guérir un aveugle-né, chasser les vendeurs du temple, sauver une femme adultère de la lapidation ; ils ont aussi vu Jésus s’agenouiller devant eux pour leur laver les pieds; bref, ils ont vu et entendu que Dieu est lumière, que Dieu est un amour agissant.

Donc, au chapitre 16, quand Jésus affirme qu’il a encore beaucoup de choses à leur dire, il n’est pas en train de dire que ce qu’ils ont vécu jusqu’à présent serait dérisoire par rapport à tout ce qu’ils leur restent à découvrir. Que ce qu’ils ont déjà vu serait insignifiant et négligeable, et donc qu’il leur faudrait ajouter encore de nombreux nouveaux contenus pour compléter l’enseignement.

Non, ce que Jésus affirme, c’est que dans leur vécu ensemble, l’essentiel leur a été donné. Le bagage fondamental leur a été transmis. Maintenant, il faut que les disciples vivent le tournant pascal, la mort et la résurrection de Jésus ; car c’est en vivant cette expérience éprouvante qu’ils seront transformés ; c’est en vivant ce tournant que les disciples vont pleinement découvrir la valeur que contient ce bagage et en réaliser la richesse insondable ; grâce à l’expérience transformatrice qu’ils vont vivre, les disciples comprendront autrement, plus profondément et plus finement tout ce qu’ils ont vu et entendu jusque là.

Donc, au lieu de chercher à suréquiper les disciples en ajoutant des conseils aux paroles, puis en surajoutant des recommandations aux conseils, Jésus s’établit dans la confiance que l’essentiel a été vécu, et que maintenant chaque tournant que vivra le disciple lui permettra de mieux comprendre la profondeur immense du trésor ainsi reçu.

Quand nous réalisons que le temps est court et que nous n’avons pas pu dire tout ce que nous aurions voulu dire, quand nous inquiétons de savoir si nos élèves, si nos enfants, petits-enfants disposent du bagage nécessaire, exposons-nous à cette confiance qui rayonne de Jésus. L’essentiel a été partagé. À présent, que chacune et chacun puisse vivre des expériences et des tournants lui permettant de mieux sonder la profondeur du trésor reçu.

lob 110623 24. Cependant, vous conviendrez avec moi ! Ce n’est pas un automatisme qu’après avoir vécu le tournant pascal, les disciples puissent se mettre à comprendre plus profondément tout ce qu’ils ont vu et entendu ! Au contraire, le tournant pascal étant une expérience si éprouvante, il serait tout à fait envisageable que les disciples soient si secoués et disloqués qu’ils se perdent en chemin.

De même dans nos parcours de vie, nous pouvons être aux prises avec des expériences si traumatisantes que plus le temps passe, plus le poids de l’épreuve nous pèse et nous obnubile, au point que nous passons le reste de notre temps à ressasser les choses au lieu de les approfondir.

Si cela devait nous arriver, je trouve très intéressant de méditer les propos de Jésus dans l’évangile qui parle de l’Esprit de Vérité. Car la confiance de jésus, n’est pas une confiance ancrée dans une loi universelle qui dirait qu’en vivant des tournants, nécessairement on en arrive à une compréhension plus fine et profonde.

La confiance de Jésus n’est pas ancrée dans un automatisme. Mais elle est ancrée dans cette capacité qu’a l’Esprit de vérité de faire que ce tournant quel qu’il soit apporte une transformation constructive.

« Quand il viendra, lui, l'Esprit de la vérité, il vous conduira dans toute la vérité ».

Ce qui fait qu’on en arrive à une compréhension plus profonde des choses, ce n’est pas la conséquence d’une loi universelle formelle. C’est le fruit du travail de l’Esprit de vérité. 

5. Comment décrire donc ce travail de l’Esprit ? Pour ce faire, arrêtons-nous quelques instants sur le sens du mot « vérité » en hébreu et en grec.

En hébreu, vérité se dit EMET, ce qui veut dire la fidélité. Ce mot oriente donc notre attention vers ce qui est de l’ordre relationnel. En hébreu, la vérité est une vérité de relation, comme lorsque nous disons que nous avons de vrais amis. Dans l’AT, ce qui est qualifié de vrai, c’est la fidélité du Seigneur, car nous pouvons nous appuyer sur cette fidélité de Dieu, elle est fiable ; elle ne se dérobera pas.

Dans tout ce que les disciples ont vu et entendu au contact de Jésus, ils ont touché du doigt que quand Jésus parlait d’amour, ce n’était pas de vains mots. Mais que ces beaux discours s’ancraient dans une relation fiable et fidèle.

En affirmant « comme le Père m’a aimé, moi aussi je vous ai aimé », Jésus introduit ses disciples dans circuit relationnel où l’amour n’est pas une humeur volatile et changeante, mais où l’amour est vrai, fiable, fidèle.

Tout ce que les disciples ont vu et entendu jusque là, leur a permis d’être en contact avec cet amour fiable et vrai. Même si les disciples ne l’ont pas pleinement compris et réalisés, ils ont été vraiment mis en contact, non pas seulement avec une infime partie de cet amour, mais avec sa globalité.

Ainsi, lorsque nous vivons des expériences qui sont comme des tournants, le travail de l’Esprit de Vérité se reconnaît lorsque notre attention est attirée par tout ce qui n’est pas de vain mots, mais qui est fiable, fidèle et vrai.

6. En grec, vérité se dit A-LETHEIA. C’est un mot composé du a- privatif et du nom propre « Léthé », ce fleuve de la mythologie hellénistique où l’âme humaine, après avoir contemplé les « idées vraies » doit se baigner et boire de son eau avant d’atterrir sur terre.

Or les eaux de ce fleuve ont une particularité : elles nous font tout oublier. En grec ancien, léthé signifie oubli. Pour contrer le pouvoir de cet oubli, il faut s’extirper de son influence. C’est la vérité. A-Létheia. La vérité, c’est sortir de l’oubli.

lob 110623 3La Vérité, c’est donc cette dynamique permettant à l’âme de ne pas être saisie d’oubli, mais de se souvenir encore de tout ce qu’elle a vu et perçu de vrai. Donc pour un grec, le contraire de l’alètheia n’est pas le faux, mais plutôt le caché, ce qui est dans l’ombre. La vérité, c’est cette dynamique qui fait sortir de l’oubli pour amener à la pleine lumière.

En prenant appuis sur cette étymologie grecque, je dirai ceci : quand Jésus parle de « l’Esprit de Vérité qui vous conduira dans la vérité toute entière », il parle de cette dynamique qui vient travailler au corps les disciples afin que ces derniers, en traversant le fleuve de l’existence, ne soient pas emportés par les tourbillons et oublient le vrai amour qu’ils ont entendu et vu.

Pour que le tournant pascal ne soit pas une expérience traumatisante plongeant les disciples dans une léthargie, au point qu’ils perdent de vue tout ce qu’ils ont vu et entendu de vrai, l’Esprit les laboure. Donc, après avoir vécu des tournants et des expériences transformatrices, si nous n’oublions pas l’amour vrai, fiable et fidèle que nous avons déjà vécu, c’est la signature du travail de l’Esprit.

7. Accompagné par cet Esprit de Vérité, à notre tour, nous pouvons avoir confiance. Oui, le temps nous est compté. Oui, dans les relations qui nous lient avec ceux qui nous sont confiés, nous n’avons pas toujours eu l’occasion de partager tout ce que nous aurions voulu partager…

Il n’empêche ! Que nous puissions jour après nous nous en remettre au travail de l’Esprit. Afin que ce dernier nous sorte des tourbillons de l’oubli et nous mène dans une compréhension plus fine et profonde de tout ce que nous avons jusque là vécu de vrai.

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 11 juin 2023 au Centre Œucuménique à Jacou
Images: AvdL, Jacou, mars-mai 2023 (estragon, oregan, moutarde)