Puis Jésus appela la foule avec ses disciples et leur dit : Si quelqu'un veut me suivre, qu'il se renie lui-même, qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive. Car quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle (l’évangile)  la sauvera. Et à quoi sert-il à un être humain de gagner le monde entier, s'il perd sa vie ? Que donnerait un être humain en échange de sa vie ? En effet, quiconque aura honte de moi et de mes paroles au milieu de cette génération adultère et pécheresse, le Fils de l'homme aussi aura honte de lui quand il viendra dans la gloire de son Père, avec les saints anges.
papillon

Marc 8, 34-38  (traduction LSG) 

1. Car quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle (l’évangile) la sauvera. Ce verset est l’un des plus connus des évangiles. C’est pourquoi, il peut nous arriver de le lire sans le lire. De l’écouter sans l’entendre. Au lieu de nous pencher sur lui, avec l’esprit ouvert et curieux, notre attention est captée par d’autres propos, en amont ou en aval, qui, parce qu’ils sont moins habituels, nous intrigue et nous donnent envie de creuser  leur signification. Si cela devait nous arriver, il est bon d’entendre la chaine des générations de témoins qui ont veillé à ce que ces vieux textes arrivent jusqu’à nous nous dire :

« Minute, papillon ! »

« La grande collection que ces textes bibliques forment ensemble, donne à chacun une consistance et une profondeur de significations étonnantes ! C’est pourquoi aborde chacun de ces textes comme s’il était une vieille malle discrètement posée au fond d’un grenier, une malle regorgeant d’éléments surprenants pouvant enrichir ton regard et élargir ton attention. »  

Si dimanche après dimanche, jour après jour, nous prenons le temps de lire la Bible, ce n’est pas par habitude, pour retrouver dans ces vieux textes ce que nous savons déjà. Mais c’est parce que nous entendons les générations qui nous ont précédés nous dire :

« Prends le temps de les scruter encore, de les sonder à nouveau, tu feras des découvertes qui aident à vivre ! »

2. Donc, ce matin, je nous invite à remettre l’ouvrage sur le métier. Quiconque voudra sauver sa vie la perdra, mais quiconque perdra sa vie à cause de moi et de la bonne nouvelle (l’évangile) la sauvera. En me penchant une nouvelle fois sur ce verset biblique, j’ai fait une découverte qui m’a profondément surpris.

Le mot grec traduit dans ce verset par le mot « vie » est un nom féminin ψυχή (psuchè). Le sens premier de ce mot est « souffle », il vient du verbe ψύχω (psuchô), qui signifie « faire passer un souffle sur ». A partir de ce sens premier, ce mot  psyché a été utilisé pour désigner dans la culture hellénistique le souffle de la vie, d’où l’âme, par opposition au corps.

Or en grec ancien, ce même mot signifie aussi « papillon ». C’est pourquoi sur un grand nombre de vase représentant la mort d’Hector, tué par Achille, nous voyons un petit guerrier dotés parfois d’ailes d’oiseaux qui s’envole de derrière Hector mourant. Cela représente l’âme humaine qui jusque là était enfermée dans le corps mortel et qui comme le papillon perçant la chrysalide, à un moment donné, prend son envol.

Sur plusieurs mosaïques magnifiquement conservées de Pompéi, nous pouvons voir des représentations de la psyché sous les traits d’une jeune fille qui a des ailes de papillons richement colorée. Parce que le papillon est attiré par la lumière, parce qu’il incarne aussi la métamorphose, il a été repris par les Anciens pour symboliser la liberté et la légèreté que peu à peu acquiert l’âme d’une personne en vivant les multiples transformations de l’existence.

Ainsi ce détour par la polysémie grecque nous permet de recevoir autrement ce verset  de l’évangile. Quand ce verset  parle de perdre ou de sauver sa psyché, il ne nous adresse pas une morale exigeante et sacrificielle qui nous demanderait de nous immoler au nom d’une belle et grande cause.

Non, quand ce verset nous parle de perdre sa psyché, il nous exhorte à entrer dans une dynamique de vie, celle où nous nous laissons être travaillé par l’existence pour que peu à peu la chenille en nous se transforme et nous fasse devenir papillon.

3. D’ailleurs, j’irai même jusqu’à dire que cette dynamique de vie de devenir papillon n’est pas sans lien avec la spiritualité protestante ! Je m’explique.

En Occitanie est apparu au XVIe s. le sobriquet de « parpaillots » pour désigner les protestants. Or en occitan, parpaillots vient du mot parpalhou, parpaya, parpaglione qui veut vraisemblablement dire « papillon ».

Certains font remonter ce lien entre les mots «protestants» et  « parpaillots » à des faits glorieux. Notamment le siège de la ville Clairac qui se trouve dans le Lot-et-Garonne en 1621  où les assiégés ont réussi à tenir 15 jours au pilonnage massif des armées du jeune roi Louis XIII. Pendant ce siège, les habitants de Clairac apparaissait sur les rempart et firent même des sorties en portant d’amples chemises blanches. En ce temps où beaucoup de papillons blancs voltigeaient dans les champs, les soldats les nommèrent « lou parlaillot, lou parpaillot ».  

D’autres justifient ce lien entre protestants et parpaillots par le fait que cette expression occitane désignait dans le langage courant un homme brouillon, éventé, sans cervelle. Et donc, appeler les protestants parpaillots, c’est se moquer d’eux en les dénigrant : ce ne sont que des personnes inconstantes qui virevoltent d’église en église comme le papillon passe de fleurs en fleurs, au lieu de rester fidèle à la sainte et bonne doctrine.

Donc que ce soit pour des raisons glorieuses ou pour des moqueries, être protestant, c’est d’une certaine façon assumer le fait de devenir papillon. Mais concrètement qu’est-ce que cela veut dire ?

4. Pour répondre à cette question, il vaut vraiment la peine de nous arrêter auprès de ce verset bien connu de l’évangile et de le butiner. Souvent, ce verset nous apparaît comme frustrant et désagréable, car nous y entendons une injonction  qui contrarie nos envies. Au lieu de suivre naturellement nos ambitions, il nous faudrait accepter de perdre notre vie à cause du Christ et de l’évangile. Au lieu que le Christ et l’évangile soient des réacteurs nous propulsant vers là où nous voulons aller, ils sont perçus comme des freins nous empêchant de décoller.

Cette résistance qui monte en nous lorsque nous méditons ce verset nous pousse à nous interroger : Qu’est-ce que cette perte dont il est ici question ? Oui, quelle expérience l’évangile nous invite à vivre lorsqu’il nous parle de perdre sa vie à cause du Christ et de l’évangile ?

5. De là où j’en suis arrivé dans ma compréhension des Écritures, je dirai ceci : quand le Christ nous invite à perdre notre vie, il ne nous invite pas à devenir des loosers et à cultiver le goût de l’échec. Il nous appelle simplement à accepter de vivre un moment de passivité.

Il est bon d’entendre cet appel lorsque nous sommes tellement focalisés sur la réalisation d’un projet que finalement nous passons à côté de tout le reste. Dans ce verset biblique, une personne est tellement obnubilé par l’envie de sauver sa vie - un projet qui n’est pas mauvais en soi, surtout si par sauver sa vie, nous entendons l’envie de vivre une existence riche en rencontre, pleine de sens, -  cependant cette personne est tellement inquiète de réaliser cela qu’elle n’est plus attentive à tout ce qui lui est déjà donné ici et maintenant pour vivre une existence riche et pleine de sens.

Focalisé sur son objectif, cherchant par tous les moyens à le mettre en oeuvre, elle passe à côté de l’essentiel. Elle se noie dans la besogne et l’activisme en perdant la grâce légère du papillon.

rj6. Pour illustrer ce que je cherche à dire, prenons un exemple. Imaginons un couple : Roméo et Juliette. A cause de leurs activités professionnelles respective, Roméo vit loin de Juliette. En effet, Roméo habite à Montpellier, pendant que Juliette a dû partir pendant plusieurs mois travailler à Chicago. Bien sûr, il y a les moyens contemporains de communication qui leur permettent de passer de longues heures à échanger.

Cependant, au bout de plusieurs semaines, un vendredi soir, Roméo décide par surprise de prendre un bla-bla car qui l’emmène de l’aéroport Marseille Provence, et là, il prend un avion l’emmenant à Chicago. Arrivé à Chicago, il monte dans un métro le conduisant à l'appartement que Juliette a loué pour son séjour de plusieurs mois. Il sonne à la porte, et lorsque la porte s’ouvre, il prend Juliette dans ses bras en ressentant une immense joie, et il lui dit à l’oreille : « Je suis si heureux. »

Tout cela, nous pouvons bien le comprendre, non ? Imaginons à présent, que juste avant de sonner à la porte, Roméo rencontre une personne dans la rue qui lui demande pourquoi il est venu jusqu’à Chicago, et que Roméo réponde : parce que je cherche à être heureux, et pour être heureux j’ai besoin de Juliette.  

Si Roméo a ce franc parlé qui indique son besoin d’être heureux comme étant le vrai motif de son coûteux voyage à Chicago, comment réagirions-nous ?  Ne serions-nous pas dérangés ?

Oui, nous pouvons ressentir une certaine gêne, parce que cela veut dire que pendant qu’il est assis dans son avion, Roméo ne pense pas nécessairement à sa Juliette, mais à l’émotion profonde qu’il pourra enfin ressentir au moment où il la prendra dans ses bras. L’intention de Roméo est dirigée vers lui-même et vers son propre bonheur et non pas vers la rencontre avec Juliette.

Juliette est en quelque sorte instrumentalisée. Roméo fait ce long voyage non pas pour rencontrer Juliette en tant que personne, mais il le fait parce que Juliette peut lui apporter quelque chose qu’il ne ressentait plus, cette émotion d’être heureux. Roméo fait un immense déplacement, il dépense sans compter, mais il risque de passer complètement à côté de la rencontre.

Or à quoi cela sert-il de déployer de tels efforts, si c’est pour perdre l’occasion d’une vraie rencontre ? ou pour le dire dans les termes de l’évangile : « 36Et à quoi sert-il à un être humain de gagner le monde entier, s'il perd sa vie ? »

dc20237. Voilà la leçon de vie que nous délivre ce verset de l’évangile !

Quand ce verset parle de « chercher à sauver sa vie », je crois qu’il fait mention de cette attitude où nous sommes tellement tendus et focalisés vers un objectif, que nous n’accueillons plus les événements et les personnes pour ce qu’ils sont, nous ne nous laissons plus être rejoints et transformés par leur altérité, mais nous les considérons uniquement comme des tremplins nous permettant d’atteindre notre objectif.

Quand ce verset de l’évangile parle de « perdre sa vie à cause du Christ et de l’évangile », je crois qu’il pointe ce moment de passivité que nous pouvons éprouver lorsque tout à coup nous sommes comme arrêtés dans notre quête effrénée par les événements et les personnes que nous rencontrons.

À ce moment-là, nous ne cherchons plus à aligner les événements et les personnes à partir de l’objectif que nous nous sommes fixés, mais nous les accueillons et nous les recevons comme des fleurs que le Seigneur Dieu a mis sur notre chemin pour que dans la rencontre avec elles, nous trouvions ensemble un nectar qui donne élan et saveur à notre existence.

8. Quand ce verset de l’évangile parle de perdre, il ne nous invite pas à être des loosers, mais il nous invite à devenir disponibles à ces rencontres où notre regard n’est plus focalisé sur notre objectif, sur nous-mêmes, mais où notre regard se laisse être capté par la belle fleur qui est là devant nous et qui ne demande qu’à être admirée pour ce qu’elle est : une belle fleur.

S’il me fallait résumer la leçon de vie que ce verset de l’évangile délivre à tous les Roméo que nous sommes, des Roméo cherchant par tous les moyens à réaliser l’objectif d’être heureux, je la résumerai ainsi : le bonheur ne se réalise pas quand nous nous préoccupons du bonheur, mais lorsque notre attention se pose sur la compagne qui est là et que nous portons notre attention à elle pour ce qu’elle est.

L’amitié ne se réalise pas lorsque notre attention cherche par tous les moyens à avoir de nombreux amis, mais lorsque nous portons notre attention sur l’ami qui est là et que nous apprenons à le connaître et à nous réjouir de sa présence.

9. Lorsque nous nous focalisons sur un objectif et que nous ramenons tout à la réalisation de cet objectif, l’évangile nous rejoint et nous exhorte à laisser la chenille inquiète et besogneuse que nous sommes se transformer pour trouver la légèreté et la grâce du papillon.

Ne cherche pas à réaliser le bonheur, laisse toi être arrêté par la beauté de chaque fleur qui se trouve sur ton chemin, butine, prends le temps de trouver le nectar qui se trouve dans chaque rencontre, et le bonheur se réalisera de lui-même.

Amen
 
Luc-Olivier Bosset, le 1er juillet 2023 au temple de Cournonterral et le 2 juillet au temple de la Rue de Maguelone à Montpellier
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