Interrogé par les pharisiens pour savoir quand viendrait le règne de Dieu, Jésus leur répondit : Le règne de Dieu ne vient pas de telle sorte qu’on puisse l’observer. On ne dira même pas : « Regardez, il est ici ! », ou : « Il est là-bas ! » En effet, le règne de Dieu est au milieu de vous, dans l’espace qui est le vôtre. Et il dit aux disciples : Les jours viendront où vous désirerez voir un seul des jours du Fils de l’homme, et vous ne le verrez pas. On vous dira : « Il est là-bas ! » ou : « Il est ici ! ». N’y allez pas, n’y courez pas. En effet, comme l’éclair brille d’une extrémité du ciel à l’autre, ainsi sera le Fils de l’homme en son jour. Mais il faut d’abord qu’il souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération. Ce qui arriva aux jours de Noé arrivera de même aux jours du Fils de l’homme. Les gens mangeaient, buvaient, hommes et femmes se mariaient, jusqu’au jour où Noé entra dans l’arche ; le déluge vint et les fit tous disparaître. Il en sera aussi comme aux jours de Loth. Les gens mangeaient, buvaient, achetaient, vendaient, plantaient, construisaient, mais le jour où Loth sortit de Sodome, une pluie de feu et de soufre tomba du ciel et les fit tous disparaître. Il en sera de même le jour où le Fils de l’homme sera révélé. En ce jour-là, que celui qui sera sur le toit en terrasse et qui aura ses affaires chez lui ne descende pas pour les prendre ; et que celui qui sera aux champs ne retourne pas non plus en arrière. Souvenez-vous de la femme de Loth. Quiconque cherche à acquérir sa vie, la perdra ; mais celui qui perdra sa vie l’engendrera à une vie nouvelle.

Luc 17, 20 - 33 (nouvelle bible Segond)

lw 11. Black Friday !

En ces moments où les soldes et les publicités nous disent et redisent qu’il nous faut saisir les bonnes occases pour intensifier notre pulsion à acheter, à acquérir, à consommer, je vous propose de méditer un proverbe de l’évangile qui a le parfum du good Friday :

« Quiconque cherche à acquérir sa vie, la perdra ; mais celui qui perdra sa vie, l’engendrera à une vie nouvelle » (Luc 17,33)

Au lieu d’intensifier ce que nous faisons déjà tout le temps, consommer, ce proverbe en nous parlant d’apprendre à perdre, nous invite plutôt à faire une trêve, à rompre nos habitudes. Il nous invite à ne pas avoir notre attention obnubilée par le seul objectif de l’acquisition. Certes acquérir est nécessaire dans une vie. Il nous faut acquérir des biens, des compétences, des connaissances. Cependant faire de cet objectif le tout de notre vie, c’est la réduire, la rétrécir. Car vivre est une aventure bien plus grande, bien plus riche que cela. Vivre, c’est aussi et surtout nous laisser rejoindre par une surprise, c’est être touché par une grâce, c’est être saisis d’émerveillement… Tout cela nous apporte un supplément d’âme, sans que nous ayons cherché à l’acquérir.

Ainsi « perdre » dans ce proverbe évangélique, « perdre », c’est relâcher une tension, c’est être délogé d’une obnubilation pour découvrir une manière de vivre qui n’est pas dans le prolongement de ce nous connaissons déjà, mais qui nous rafraichis et nous regénère.

Alors entre black Friday et good friday: choisis la vie !

2. Cependant, ce proverbe évangélique tel qu’il apparait dans le chapitre 17 de l’évangile de Luc va au-delà du Good Friday, il nous plonge aussi dans le temps de l’avent. Et cela vient enrichir le sens que nous lui donnons. Notamment le sens du verbe " perdre" pour l'éclairer d'une lumière pleine de promesse. Car oui, parmi les 4 évangiles, l’évangéliste Luc est le seul à situer ce proverbe dans un contexte où il est question d’advenue du règne de Dieu.

D’habitude dans les 4 évangiles, nous pouvons observer que souvent ce proverbe survient dans un contexte où il est question de la mort et de la résurrection de Jésus. Ce qui lui donne souvent un parfum de good friday ! Du coup, nous entendons dans ce proverbe comme une explication des raisons qui ont fait que Jésus n’a pas fuit Jérusalem, pourquoi il a affronté cette redoutable épreuve d’être crucifié.

Du coup, nous retirons de ce proverbe comme une invitation à ne pas nous cabrer face aux épreuves qui, à notre niveau, surgissent sur notre chemin de vie. Nous recevons ce proverbe comme une invitation à vivre ces épreuves dans la confiance audacieuse de la foi.

Or en plaçant de manière surprenant ce proverbe dans un tout autre contexte, le contexte de l’avent, l’évangéliste Luc nous permet de l’écouter en y entendant d’autres harmoniques qui viennent enrichir le sens que nous lui donnons habituellement.

Et, puisque nous sommes le premier dimanche de l’avent 2019, c’est cet enrichissement que j’aimerai partager avec vous ce matin.

lw 23. « Quiconque cherche à acquérir sa vie, la perdra ; mais celui qui perdra sa vie, l’engendrera à une vie nouvelle » (Luc 17,33)

Juste avant que ne surgisse ce proverbe au chapitre 17 de l’évangile de Luc, il est question de l’advenue du règne de Dieu. Pour entrer dans la profondeur de l’expression « Règne de Dieu », il me faut simplement ici rappeler que pour les écrivains bibliques le règne de Dieu symbolisait une vie, des relations où la paix, la joie, l’amour, le respect, la justice n’étaient pas des réalités ternes et rachitiques.

Au contraire ! Le règne de Dieu symbolisait une vie et des relations où la paix, la joie, l’amour, le respect et la justice avaient atteint leur pleine maturité, voir même où cette paix, cette joie, cet amour régnaient dans le quotidien des humains de manière solaire, glorieuse. Aucune pression, ni obstacle ne pouvant plus empêcher ce rayonnement souverain. Or le chapitre 17 de l’évangile de Luc rappelle une série de conseil pour nous disposer à vivre ce qui est de l’ordre du règne de Dieu, ce rayonnement souverain.

  • à ceux qui voulaient savoir précisément QUAND adviendrait ce règne de Dieu, le conseil leur est donné que ce règne, de manière simple et discrète, a déjà commencé dans leur quotidien. « Le règne de Dieu est au milieu de vous »
  • à ceux qui se laissaient être embarqués par les effets d’annonce affirmant que le règne de Dieu est ici ou là, le conseil leur est donné de ne pas se laisser prendre par une fièvre, de garder la tête lucide, d’accepter que les représentations que l’on a du règne de Dieu doivent toujours évoluer ; le conseil leur est donné que quand la fièvre monte, il faut laisser son espérance être travaillée par la figure du Messie humble, crucifié et ressuscité, il faut laisser son espérance devenir cruciforme, c’est ainsi seulement qu’elle ne se retournera pas en un optimisme béat ou une colère impatiente et destructrice. « 23 On vous dira : « le règne de Dieu est là-bas ! » ou : « Il est ici ! » N’y allez pas, n’y courez pas. 24En effet, comme l’éclair brille d’une extrémité du ciel à l’autre, ainsi sera le Fils de l’homme en son jour. 25Mais il faut d’abord qu’il souffre beaucoup et qu’il soit rejeté par cette génération. »
  • Enfin à ceux qui affirmaient que le règne de Dieu est de l’ordre d’un futur organisé et prévisible, il leur est rappelé de ne pas confondre futur et avenir. Le règne de Dieu n’est pas un futur prévisible que l’on fabrique à la force de son poignent. Le règne de Dieu ne survient pas grâce à un plan quinquennal. De même, le règne de Dieu n’est pas un horoscope, une destinée fixée par le cours des astres que l’on pourrait décrypter et anticiper.

Le règne de Dieu n’est pas un futur, c’est un avenir. C’est une advenue qui nous surprend au milieu de ce que nous étions en train de faire. Face à cet avenir, l’enjeu n’est pas de calculer quand cela arrivera, pour mieux le maîtriser ; non l’enjeu est de se préparer à dire un « oui » résolu et confiant, quand cet avenir surviendra. «quand le règne de de Dieu surviendra, que celui qui sera aux champs ne retourne pas non plus en arrière. Souvenez-vous de la femme de Loth »

Et c’est après avoir rappelé tout cela, que l’évangéliste Luc place ce fameux proverbe évangélique : « Quiconque cherche à acquérir sa vie, la perdra ; mais celui qui perdra sa vie, l’engendrera à une vie nouvelle » (Luc 17,33)

Ainsi ce proverbe ne survient pas dans un contexte d’épreuve, mais dans un contexte de surgissement de vie. Ici dans ce contexte du chapitre 17 de l’évangile de Luc, le contexte ne concerne pas la mort et de la résurrection de Jésus, mais le contexte concerne le règne de Dieu, concerne notre manière de nous ajuster au surgissement de la vie en abondance, souveraine et glorieuse de Dieu.

4. Et vous comprenez à présent, combien cet autre contexte nous fait entendre dans ce proverbe des harmoniques nouvelles.

Alors que dans le contexte de la mort et de la résurrection de Jésus, le contexte de l’épreuve, le verbe « perdre » pouvait s’entendre comme une diminution de la vie, comme accepter de « perdre la santé », « perdre la reconnaissance sociale », ici dans ce nouveau contexte, le même verbe « perdre » prend une autre dimension.

lw 25. Dans le contexte du surgissement de la vie souveraine, glorieuse du Règne de Dieu, « perdre », c’est plutôt le relâchement d’une tension. Au lieu d’être obnubilé par l’objectif d’acquérir sa vie, il y a lieu de lâcher cet objectif, de rompre avec cette fixation pour nous ouvrir à une autre dimension. Sous la poussée d’une vie plus vaste, plus riche que ce que j’en avais jusque là compris, il y a lieu de perdre de vue mes objectifs, de m’ajuster pour accueillir cette vie en abondance.

« Perdre » ici, signifie perdre nos belles et grandes représentations du règne de Dieu pour nous laisser être travaillé par l’évangile afin d’endosser des représentations plus nuancées et plus aptes à laisser advenir la vie glorieuse à laquelle Dieu nous appelle.

« Perdre », ici signifie être déplacé dans nos occupations. Nous étions en train de vaquer tranquillement à mes occupations quotidiennes, sur le toit de notre terrasse. Or voilà qu’une surprise survient qui nous fait perdre l’acquis de ces occupations. Quand cela advient, nous avons toujours le choix de notre réponse. Comment allons-nous réagir à cette perte ? Allons-nous accepter de perdre ce que nous connaissons bien, ce qui nous est familier pour nous ouvrir à l’inconnu ?

6. Dans la formulation que Luc propose de ce proverbe, il y a un verbe rare, tout à fait intéressant, car il est riche de sens et il vient éclairer le verbe « perdre » d’une lumière prometteuse.

Ce verbe se trouve tout à la fin de la phrase. Nos différentes bibles traduisent ainsi habituellement notre verset :

« Quiconque cherche à acquérir sa vie, la perdra ; mais quiconque perd sa vie la préservera » (traduction NBS)

Or, en creusant dans les potentialités de ce dernier verbe (zoogoneo), nous pourrions aussi traduire :

« Quiconque cherche à acquérir sa vie, la perdra ; mais quiconque perd sa vie l’engendrera à une vie nouvelle. »

Cette traduction est intéressante, car elle éclaire la perte d’un horizon prometteur.

En acceptant de perdre, de faire une trêve dans la poursuite de nos objectifs d’acquisition, en acceptant de perdre, d’être déplacés dans nos objectifs, nous serons engendrés à une vie nouvelle, nous serons rencontrés par une vie qui n’est pas dans le prolongement de ce que nous connaissons déjà, mais qui est une vie nouvelle, et qui s’appelle : le règne de Dieu.

Alors prêts à perdre pour être engendré à une vie nouvelle ?

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 1er décembre 2019 à Cournonterral
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