Matthieu 13, 44-52 : Jésus disait à la foule ces paraboles : « Le Royaume des cieux est comparable à un trésor caché dans un champ ; l'homme qui l'a découvert le cache de nouveau. Dans sa joie, il va vendre tout ce qu'il possède, et il achète ce champ.
« Ou encore : Le Royaume des cieux est comparable à un négociant qui recherche des perles fines. Ayant trouvé une perle de grande valeur, il va vendre tout ce qu'il possède, et il achète la perle.
« Le Royaume des cieux est encore comparable à un filet qu'on jette dans la mer, et qui ramène toutes sortes de poissons. Quand il est plein, on le tire sur le rivage, on s'assied, on ramasse dans des paniers ce qui est bon, et on rejette ce qui ne vaut rien. Ainsi en sera-t-il à la fin du monde : les anges viendront séparer les méchants des justes et les jetteront dans la fournaise : là il y aura des pleurs et des grincements de dents.
« Avez-vous compris tout cela ? — Oui », lui répondent-ils. Jésus ajouta : « C'est ainsi que tout scribe devenu disciple du Royaume des cieux est comparable à un maître de maison qui tire de son trésor du neuf et de l'ancien. »

Ce qui nous arrive  n’est-il pas si divers au point de faire ressembler notre existence à un grand puzzle ?

Entre ce qui se passe dans notre vie personnelle et familiale,  ce qui se passe dans le cadre de nos engagements professionnels ou associatifs, plus les événements qui surviennent dans l’actualité proche ou lointaine, tout cela forme quelque chose de  si foisonnant que nous pouvons vraiment avoir l’impression que notre existence  n’est pas un tout, mais un éparpillement de mille et une pièces très différentes.

Autant par moment, cette diversité éparpillée nous convient, car elle est riche d’ouverture et de  nouvelles découvertes…
Autant par moment, nous pouvons  au contraire ressentir le besoin de nous poser et nous  rassembler afin de trouver le moyen que tout cela tienne  ensemble, oui de trouver le moyen d’assembler toutes ces pièces éparses et si différentes  pour que  cela  fasse sens.

Dans de tels moments, quel  bonheur que celui de tomber sur un film, un roman, un livre qui par l’intrigue qu’ils déploient entrent en résonnance avec tout ce que nous vivons.  L’histoire a beau se passer ailleurs, dans un autre lieu et une autre époque, qu’importe, ce qui est mis en scène là sous nos yeux soudain nous parle. Cela rejoint ce que nous vivons et l’éclaire d’un jour nouveau.  Sans que nous l’ayons prémédité, tels paroles, tels scènes, telles phrases laissent en nous un profond écho. Et nous  soulignons ces phrases, nous marquons la page, nous  revisionnons la scène afin de sonder et mieux écouter tout ce qui se joue là dans de telles résonnances.

C’est ainsi que peu à peu,  guidés par l’éclairage apporté par de tels échos, nous avançons dans l’assemblage de notre puzzle de mille et une pièces.

Quand, dans le passage de l’évangile que nous venons d’entendre, Jésus pose à ses disciples  la question  « avez-vous compris ? »,  c’est  justement de cela qu’il s’agit.

Littéralement, le verbe traduit ici par comprendre signifie «  rapprocher, joindre ».  Les disciples viennent d’entendre une série de ces paraboles imagées  qui frappent par leur simplicité ; nous sommes grosso modo au milieu de l’évangile ; depuis le temps qu’ils sont en route avec Jésus, ils ont été témoins de rencontres improbables, de guérisons étonnantes, de débats vigoureux, de tempêtes apaisées, bref de  mille et une choses donnant de l’épaisseur à leur vécu. Et voilà que, fort de tout ce vécu foisonnant, Jésus leur demande : «  Ces paraboles que vous venez d’entendre, ont-elles provoqué en vous un écho ? Ont-elles éclairé les diverses tranches de votre vécu sous un angle nouveau ? Vous ont-elles permis de trouver le moyen de  rassembler  et joindre   les différentes pièces de votre puzzle d’une manière qui fasse sens ? »

Et les disciples de répondre : « Oui ».

Puisse ce « oui » ne pas être seulement celui prononcé par des disciples il y a quelques milliers d’années ; mais puisse ce « oui » devenir nôtre aujourd’hui.

Car l’apport des Ecritures est là.  Si aujourd’hui encore, nous prenons le temps de lire et méditer un passage de la Bible, ce n’est pas en premier lieu pour élargir notre culture et nous renseigner sur l’influence romaine dans une société plutôt rurale du bassin méditerranéen au début du premier siècle de notre ère.  Tout cela peut être important, nécessaire même si l’on veut  mieux discerner et comprendre le souffle des Evangiles. Mais pour ce matin, cela n’est pas l’essentiel.

L’essentiel, c’est de faire une pause dans l’écoulement de notre existence. De nous arrêter pour lire… Et dans cet acte de lire,  être en éveil afin d’accueillir ce que cette lecture provoque en nous comme écho. Ecouter comment ces paraboles si simples entre en résonnance avec tout notre vécu. Comment elles nous aident à rapprocher et joindre les milles et unes pièces de notre puzzle afin de faire émerger une vision du monde qui fasse sens.

Dans ce passage de l’évangile, Jésus dit que tout scribe instruit du règne des Cieux est semblable à un maître de maison qui tire de son trésor des choses nouvelles et des choses anciennes.

Arrêtons-nous juste un instant auprès de cette métaphore et,  en nous appuyant sur la lecture attentive qu’en fait Calvin, rappelons  que le mot  grec « thesauros » traduit  ici par « trésor » peut tout aussi bien dire le grenier, le cellier,  c’est à dire ce lieu retiré de la maison où l’on conserve les aliments.

Ainsi il est tout à fait intéressant de réaliser que le trésor ici n’est pas affaire d’or et de paillettes, de diamants et  de  pierres précieuses ; mais le trésor est  d’avoir dans sa maison un lieu caché, retiré capable de nous offrir en toutes circonstances la nourriture dont nous aurons besoin.

La vraie richesse se trouve là, dans le grenier de notre mémoire, dans ce lieu intime  où nous avons emmagasiné bien des lectures,  où s’entassent pêle-mêle bien des airs de musique, des paroles de chanson, des souvenirs, des réflexions, des histoires.

Grâce à un tel cellier,  il suffit d’une histoire courte comme le sont ces différentes paraboles racontées par Jésus pour déclencher quelque chose pouvant remplir par la suite de sa vibration mélodieuse  bien des journées, voir  des semaines.

Grâce à ce cellier, la traversée de nos journées n’est pas un temps vide et creux ; il suffit parfois d’un détail, une senteur, véritable madeleine de Proust pour que le temps qui passe devienne un temps plein, riche, gorgé d’émotions et de sensations aux résonnances profondes.

« Avez-vous compris cela ? Avez-vous fait le rapprochement ? »

Cette question de Jésus, je l’entends comme une invitation à avancer dans la vie non pas en cherchant à accumuler moult connaissances comme si c’était un trésor,  mais en apprenant à sentir et goûter intérieurement chaque chose qui nous arrivent.

Pour cela le boulot du scribe, c’est de prendre  le temps de soigner cet endroit retiré de lui-même - le cellier de notre mémoire - en y emmagasinant tranquillement et sûrement de la bonne nourriture afin que tout cela développe peu à peu en lui  un   flair, une sensibilité lui permettant ensuite de vivre des connections, des associations d’idées, des rapprochements entre les milles et uns événements de son puzzle de vie.

Et quand Jésus parle de flair, il parle d’une sensibilité bien particulière.  « En effet, tout scribe  instruit du règne des Cieux, littéralement, devenu disciple du règne des Cieux est semblable à un homme de maison qui tire de son trésor  des choses nouvelles et des choses anciennes. »

Quand nous lisons  et méditons les Ecritures, le flair la sensibilité qui se développent en nous, ce sont ceux qui nous permettent par la suite d’avoir des  antennes pour pister dans notre quotidien la trace du règne des Cieux.

Il ne s’agit plus pour nous de faire uniquement des rapprochements entre les différentes pièces de notre vie, mais bien plus  de réaliser comment ces différents morceaux s’inscrivent et participent à l’élaboration d’un ensemble plus vaste que notre vie.

Car comprendre notre vie passe par le fait de comprendre le monde dans lequel nous vivons et aussi comprendre comment Dieu travaille ce monde pour le mener à son plein accomplissement.

Ainsi le scribe devenu disciple du Règne des Cieux est un homme qui ne traverse plus sa vie sans but ni projet, en tuant le temps. Non, c’est un homme qui  la traverse en comprenant peu à peu, même si c’est de manière très floue,  qu’il est parfois participant, parfois témoin de l’élaboration d’un fantastique puzzle qui le dépasse.

A présent, il nous faut préciser ce que recouvre cette expression : «  le règne des Cieux ».  Pour reprendre les parole de l’apôtre Paul dans le lettre aux Galates, je dirais que le règne des Cieux, c’est  cette qualité de vie où circulent sans entrave l’amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la foi, la douceur, la maîtrise de soi.

Or, au lieu de nous exhorter à nous évader  de notre existence pour saisir enfin ce graal tant espéré, Jésus nous rappelle par ses paraboles que cette qualité de vie, ce trésor est dans notre champ.

Pour l’atteindre, nous n’avons pas besoin d’aller ailleurs, de partir pour atteindre une lointaine île déserte. Non,   ce règne des Cieux, nous  pouvons tomber dessus en vaquant à nos occupations quotidiennes, car il est ici, caché dans le  champ de notre actualité.

Cependant, force nous est de constater que  si dans notre actualité, nous pouvons tomber sur de telles pépites, ce n’est pourtant que de manière fragmentaire et fugace.  Là aussi, nous nous retrouvons non pas face à une réalité aboutie, mais face aux milles  et uns fragments d’un puzzle qui nous dépasse.

En lisant et méditant les Ecritures, nous pouvons devenir sensible à ce qui est de l’ordre du Règne des Cieux. Mais la vision que peu à peu nous nous forgeons de ce qu’est le règne des Cieux n’est qu’un balbutiement fragmentaire. Ce que sera le Règne des Cieux dans sa maturité, cela je ne peux m’en faire une idée exacte. Une vision n’est pas un plan. Une vision reste toujours quelque chose de flou et parcellaire. Quand la réalité survient, elle dépasse et fait évoluer la vision. Elle ne la confirme pas, elle la transcende.

Mais en attendant, un scribe devenu disciple du règne des Cieux et qui piste sa trace, c’est un homme qui écoute l’actualité de son époque avec une certaine attention.

En apprenant qu’une nouvelle guerre a éclaté entre  Israël et la Palestine, une guerre qui est menée de part et d’autres non pas de façon à résoudre un long conflit, mais en mettant en place  des tactiques risquant fort que de le prolonger, on pourrait lire et interpréter cet événement que comme le  perpétuel recommencement d’une chose hélas que trop connue.  On ne pourrait tirer de cet événement grave que des enseignements venant confirmer des sombres intuitions. Par exemple que les tensions entre Israël et les Palestiniens sont irréductibles.

Or nous dit Jésus : le maître de maison ne fait  pas que tirer de l’ancien du connu de son cellier, il en extrait des choses nouvelles et des choses anciennes.

Oui, les bribes de notre actualité viennent confirmer des choses anciennes et connues. Mais en les écoutant bien, en apprenant à démêler les fils, on peut aussi en extraire un enseignement nouveau.

Il n’ y a pas lieu de simplement de reprendre et  reproduire des des réactions déjà connues, mais il y a lieu d’extraire de cette situation une réaction nouvelle qui n’a pas encore été tentée.  Il y a lieu de accepter de bouger dans nos positionnements pour renouveler le regard que nous portons sur ce problème récurrent.

Dans cette actualité  agitée et sombre, où peuvent-ils bien être ces fragments  de nouveauté ?

Ici, je ne tiens pas à dire avec autorité où ils seraient. Je ne veux que pointer des  deux choses tout en acceptant que ce pointage est subjectif et soumis à débat. Deux choses qui dans l’actualité  peuvent paraître  n’être que des détails, que des toutes petites pièces de cette actualité, mais qui  néanmoins provoquent en moi un écho.

Ainsi, par exemple, ces témoignages d’anciens soldats israéliens qui, dans le cadre de l’association «  Breaking the silence » osent raconter ce qu’ils ont fait, car ils  n’arrivent pas à vivre avec le poids du mal qu’ils ont infligé aux populations palestiniennes dans les territoires occupés. A cause de cela, beaucoup de ces ex-conscrits sont considérés comme des traîtres, voire comme des lâches, y compris par leurs propres familles. Mais ils le font quand même.  Quand une telle démarche est rapprochée de la phrase de l’évangile : «  la vérité vous rendra libre », j’entends une profonde résonnance…

Autre exemple, celui donné par le Dr Mustafa Barghouthi, un activiste démocrate palestinien, ancien candidat à la présidence de l'Autorité palestinienne en 2005, obtenant une seconde place après Mahmoud Abbas, militant non-violente, il a été nominé sans le recevoir au prix nobel de la paix ;  il  dit : « …mes collègues et moi-même avons cherché à rassembler les énergies de l’action non-violente contre l’occupation d’Israël et le système de discrimination, pour mettre en lumière l’injustice que cela représente, et pour engager les Juifs israéliens et américains à constater que nous ne nous opposons pas à eux, mais aux actions du gouvernement d’Israël ».

Quand une telle démarche est rapprochée de la phrase de l’évangile : « Heureux les doux, ils recevront la terre en partage », j’entends une profonde résonnance…


Dans le flux de l’histoire, si bien des choses reviennent et se répètent encore et toujours, il n’en demeure pas moins que, dans ce même mouvement, quelque  chose d’autre, de nouveau germe et prend de l’ampleur.

Plongeons-nous dans les Ecritures afin de garnir notre cellier intérieur. Ainsi, nous développerons un flair nous permettant de pister au cœur de notre actualité la trace du Règne des Cieux …

Amen

Luc-Olivier Bosset (27 juillet 2014, temple de la Rue de Maguelone, Montpellier)