C'est moi qui suis la vraie vigne, et c'est mon Père qui est le vigneron. Tout sarment qui, en moi, ne porte pas de fruit, il l'enlève ; tout sarment qui porte du fruit, il le purifie en le taillant, pour qu'il porte encore plus de fruit. Vous, vous êtes déjà purs, à cause de la parole que je vous ai dite. Demeurez en moi, comme moi en vous. Tout comme le sarment ne peut de lui-même porter du fruit, s'il ne demeure dans la vigne, vous non plus, si vous ne demeurez en moi. C'est moi qui suis la vigne ; vous, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi, comme moi en lui, celui-là porte beaucoup de fruit ; hors de moi, en effet, vous ne pouvez rien faire. Si quelqu'un ne demeure pas en moi, il est jeté dehors comme le sarment et il se dessèche ; on ramasse les sarments, on les jette au feu et ils brûlent. Si vous demeurez en moi et que mes paroles demeurent en vous, demandez tout ce que vous voudrez, et cela vous arrivera. Mon Père est glorifié en ceci : que vous portiez beaucoup de fruit et que vous soyez mes disciples. Comme le Père m'a aimé, moi aussi, je vous ai aimés. Demeurez dans mon amour. Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour, comme moi j'ai gardé les commandements de mon Père et je demeure dans son amour. Je vous ai parlé ainsi pour que ma joie soit en vous et que votre joie soit complète.

Jean 15, 1-11, (Nouvelle Bible Segond)

vigne pic st loupCette métaphore de la vigne est sympathique à entendre, surtout en ces périodes de vendanges. Cependant, certaines paroles de ce texte sont particulièrement acides et crissent sous la dent !

Comme par exemple : « En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire » (15, 5)

« Vous ne pouvez rien faire » : le mot « rien » ici , n'est-il pas excessif ?

Cette affirmation dégage une acidité sectaire, face à laquelle peut se dresser en nous une volonté farouche de résister.

Car il ne faut pas être naïf ! Du « Hors de moi, vous ne pouvez rien faire », n'a-t-on pas extrait d'autres propos tout aussi problématiques ? Comme « Hors de l'église, point de salut... » ? Attention à la pente savonneuse nous conduisant tout droit vers une intolérance inadéquate au contexte pluri-convictionnel dans lequel nous vivons.

De plus, cette acidité sectaire heurte également de plein fouet notre volonté d'indépendance !

Je ne peux pas relire aujourd'hui cette phrase, sans me rappeler combien elle m'a agacé, alors que j'étais jeune adulte et que ce passage m'avait été donné à méditer pendant toute une journée de silence lors d'une retraite.

Habité par une envie d'indépendance, une envie de m'élancer dans la vie, de voler de mes propres ailes et tester ce dont j'étais capable de faire, je n'arrivai pas à entendre cette phrase autrement qu'un propos glacial, douchant mon enthousiasme juvénile.

Je me souviens encore de l'écoute de mon accompagnatrice et de sa délicatesse quand, après avoir recueilli ma révolte, elle ne réagit pas en cherchant à me donner pas la vraie explication, mais en invitant à déposer ma crispation, dans la confiance qu'un jour, cette phrase me parlera d'une autre façon.

Aujourd'hui, ce temps est peut-être venu !

Grâce à des rencontres, en conversant avec des aînés dont les forces s'amenuisaient, j'ai reçu un supplément d'âme qui m'a mis dans une autre disposition d'esprit pour méditer cette même phrase.

« En dehors de moi, vous ne pouvez rien faire »

Et si ces propos n'avaient d'autre but de nous rappeler que notre vie, nous ne la possédons pas ? Certes le « rien » est quelque peu radical. Et si, cette radicalité nous renvoyait à la racine de notre être ? Et si cette phrase avait comme but de nous rappeler que, dès la racine, nous recevons la vie ? Que nous sommes des bénéficiaires d'un souffle qui nous a été prêté.

Effectivement, si personne ne nous avait donné ce souffle, nous n'existerions pas. En dehors de ce don-là, nous ne pouvons littéralement rien faire, puisque en dehors cette relation créatrice, nous n'existerions pas.

Ce que cette métaphore du cep et des sarments nous évite, c'est de verser dans l'illusion de l'autonomie totale. Rien de ce que nous faisons, nous ne pouvons l'accomplir de manière isolée. Nous sommes toujours inscrits dans un terreau relationnel, où la vie circule, où nous donnons et où nous recevons.

Comme le sarment est relié au cep et reçoit de lui la sève lui permettant de s'épanouir, nous sommes invités à traverser les saisons de l'existence en nous assumant comme des êtres de relations, qui puisent leur énergie de toutes les interactions qu'ils développent avec leur milieu.

Ainsi plutôt que flatter le mauvais côté de nos personnalités en attisant notre tempérament sectaire, je crois que cette phrase "en dehors de moi, vous ne pouvez rien faire" est déposée là dans le vieux Livre pour nous inviter à nous percevoir comme des créatures dont la caractéristique essentielle est d'être en relation.

Dès notre naissance, nous sommes immergés dans un terreau relationnel duquel nous recevons les stimulations éveillant en nous nos formidables capacités humaines. Si personne ne nous avait parlé, aurions-nous commencé à développer nos dispositions à la parole ? Si personne ne nous avait chanté des berceuses, aurions-nous développé nos aptitudes musicales ? C'est grâce aux interactions avec nos milieux que peu à peu se sont forgés nos personnalités et nos caractères.


cepComme le sarment est lié au cep, nous sommes des êtres de liens.

Ceci étant dit, l'enjeu de cette métaphore évangélique n'est pas d'idéaliser les relations que nous tissons.

Car, dans les faits, force nous est de reconnaître qu'aucune relation n'est dépourvue d'ambiguïté. Le mot lien ne sert pas seulement à dire la relation, il sert aussi à nommer quelque chose qui ligote et restreint. Tous, nous connaissons des relations qui sont de véritables entraves qui empêchent ou enferment. Tous, nous connaissons des relations compliquées et parasitaires qui suce notre sève. Tous, nous connaissons des relations où quand l'un agit, c'est au détriment de l'autre.

Si les interactions dans lesquelles je suis impliqué sont compliquées, si je suis soumis de la part des partenaires à des attentes utilitaristes, des pressions dévitalisantes, heureusement que cette métaphore évangélique me permet d'aller plus loin.

Le cep sur lequel je suis invité à me greffer n'est pas n'importe qui, c'est le Christ. Ce faisant, cette métaphore invite à découvrir avec Lui une autre qualité de relation.

Quand les autres avec lesquels je suis en interdépendance me vident de ma sève, cette métaphore me rappelle que mon identité n'est pas dépendante d'eux, mais qu'elle est enracinée ailleurs, sur un autre cep, en Dieu.

Souvent nous pensons la relation à Dieu en fonction des relations que nous avons endurées. Du coup, nous projetons sur cette relation avec Dieu la logique du "quand l'un agit, c'est nécessairement au détriment de l'autre". Plus Dieu agit, moins la créature a du temps et de l'espace pour être.

Or, la métaphore du cep et des sarments prend le contre pied de cette logique en nous dévoilant une autre logique qui caractérise mieux la particularité de la relation entre Dieu et ses créatures.

Le fait que la créature produise du fruit n'amoindrit en rien Dieu. Au contraire, cela le glorifie. La gloire de Dieu, c'est que l'humain porte du fruit. Là, avec Dieu, nous vivons une relation qui n'est pas une entrave, mais une interaction qui permet de grandir.

Il y a en Dieu, une dynamique relationnelle où Le Père, le Fils et le Saint Esprit sont en interaction entre eux sans qu'il y ait rivalité, compétition ou rapport de force. La gloire de l'un, c'est que l'autre porte du fruit.

Puisque fondamentalement, je suis un être de relation, il se peut que je n'ose pas prendre des libertés, même si le terreau relationnel dans lequel je suis planté est malsain, car j'ai trop besoin de ces relations pour vivre. Et c'est ainsi que parfois, l'on reste longtemps à croupir.

C'est pourquoi l'enjeu vital est d'avoir un cep qui soit différent, en décalage avec toutes ces relations humaines afin de pour pouvoir m'extirper peu à peu de cette mélasse ambiguë.

En plongeant mes racines dans la dynamique relationnelle divine, je reçois l'énergie me permettant de prendre une distance salutaire !


S'il est question de vigne, de cep et de sarment, il est aussi beaucoup question de fruits dans ce passage.

Cependant, avez-vous remarqué ? L'exhortation centrale n'est pas : « portez du fruit », mais plutôt « demeurez en moi », voir même « demeurez dans mon amour ».

En préparant ce message, je suis tombés sur des commentaires mettant en avant l'exhortation de porter du fruit, en ajoutant : « attention, si vous ne produisez pas de fruit, votre sarment va être taillé et jeté au feu. » De tels commentaires inquiets et menaçants sont une planche savonneuse qu'il n'y a pas lieu d'emprunter.

Car justement, dans ce passage, l'essentiel n'est pas la production, l'efficacité. L'essentiel, c'est de rester sa vie durant relié, enraciné dans cet amour. Le fruit n'est pas un objectif à atteindre, il est une grâce qui découle de cette connexion.

C'est pourquoi, loin de nous plonger dans une ambiance inquiète et menaçante, ce passage de l'évangile nous invite à entrer dans la peau d'un apprenti.

Un apprenti apprend en vivant avec son maître. Immergé dans l'atelier, l'apprenti jour après jour, observe, questionne, essaie, se trompe, réessaie et ainsi peu à peu, il acquiert une compétence.

cep lierGrâce aux interactions concrètes avec son maître, grâce au vécu sur le terrain, il apprend. On n'attend pas d'un apprenti qu'il ait tout assimilé, qu'il soit efficace avant d'aller sur le terrain. Au contraire, on attend de l'apprenti qu'il soit relié à la réalité de son travail afin qu'il puisse apprendre et un jour produire du fruit.

Ces dernières semaines, il m'est arrivé d'accompagner plusieurs personnes à l'occasion de funérailles ou de mariage. La plupart m'ont partagé leur ignorance par rapport à la bible, au point qu'elles se sentaient totalement incapables d'identifier un texte pour la cérémonie en question.

Là aussi, l'essentiel n'a pas été qu'elles produisent un fruit, qu'elles trouvent un texte. L'essentiel, cela a été leur geste, le fait que dans cette circonstance de leur existence, elles aient choisi de se relier à l'Évangile. Qu'elles aient choisi de renouer contact avec un tissu communautaire, qu'elles aient choisi de s'immerger dans un réseau où des gens interagissent entre eux lorsqu'ils se réunissent autour de l'Évangile.

Je crois que notre rôle de témoin est simplement de veiller du mieux que nous pouvons à faciliter cette connexion. Le reste ne nous appartient pas.

D'ailleurs avez-vous remarqué ? *. À aucun moment, après avoir parlé de cep, de sarment et de vignes, le texte ne parle pas de raisins, il ne parle que de fruit. Un terme bien plus vague.

Comme pour nous inviter à rester ouvert et curieux ; car une fois que nous sommes reliés au cep, nous ne sommes pas au bout de nos surprises !

Luc-Olivier Bosset, le dimanche 17 septembre à Maurin.

* Merci à Sacha qui a attiré mon attention sur ce détail du texte