En effet, ce n'est pas sur nous-mêmes que porte notre proclamation : nous proclamons que Jésus-Christ est le Seigneur, et que nous-mêmes sommes vos esclaves à cause de Jésus. Car le Dieu qui a dit : « Du sein des ténèbres brillera la lumière » a brillé dans notre cœur, pour que resplendisse la connaissance de la gloire de Dieu sur le visage du Christ. Mais nous portons ce trésor dans des vases de terre, pour que cette puissance supérieure soit celle de Dieu et non la nôtre. Nous sommes pressés de toute manière, mais non pas écrasés ; désemparés, mais non pas désespérés ; persécutés, mais non pas abandonnés ; abattus, mais non pas perdus ; nous portons toujours avec nous, dans notre corps, la mort de Jésus, pour que la vie de Jésus aussi se manifeste dans notre corps.

2 Cor 4, 5-10 (Nouvelle Bible Segond)

vase1.

« Nous portons ce trésor dans des vases de terre, pour que cette puissance supérieure soit celle de Dieu et non la nôtre. »

Porter un trésor dans des vases de terre, d'argile... Cette métaphore nous offre un paradoxe entre un contenant qui est précaire et sans grande valeur, un vase de terre, et un contenu qui est précieux, durable, un trésor. Je vous propose ce matin de prendre ce paradoxe comme boussole pour nous guider dans les passionnants défis que nous soumet la société laïque dans laquelle nous vivons.

Garder à l'esprit cette métaphore, alors que nous interprétons ce qui se passe autour de nous..., je fas le pari que cela peut nous fournir une ressource précieuse pour aborder la situation sans crispation, mais avec confiance et esprit critique. Je m'explique...

2.

Pour commencer, reconnaissons que vivre aujourd'hui dans une société laïque nous offre un formidable espace de liberté. Dès notre naissance, nous vivons dans un état qui nous garantit la liberté de croire ou de ne pas croire. Que nous soyons juif ashkénaze ou séfarade, catholique ou protestants, musulman sunnite, chiite ou soufi, que nous soyons athée militant ou agnostique indifférents, toutes nos convictions sont respectées. Pour être reconnus comme citoyen français, nous n'avons pas à adhérer à une religion ou à un courant particuliers. Derrière ce principe de liberté religieuse, il y a l'idée qu'aucune instance institutionnelle ne peut forcer une personne à croire. Pour nous aujourd'hui, vivre dans une société laïque, c'est vivre dans un tel espace de liberté.

3.

Cependant, ce formidable espace de liberté nous place également, en tant que chrétiens, devant deux défis. Le premier défi, c'est que cet espace de liberté n'est pas un cocon confortable où nous ne vivons que des rencontres avec des gens qui nous caresseraient dans le sens du poil. Ce formidable espace de liberté est aussi un espace ouvert aux quatre vents, où nos propres convictions sont constamment exposées à des convictions différentes et contradictoires qui viennent contester et relativiser ce que nous croyons. Au contact de l'altérité, la conviction que je pensais être un trésor acquis et évident peut tout à coup se révéler n'être qu'un vase d'argile qui se craquelle sous les arguments des autres. Aujourd'hui, nous ne pouvons plus croire en étant simplement porté par le courant. Nous devons alimenter et habiter nos convictions, si nous ne voulons pas qu'elles se craquellent au moindre débat. Avons-nous envie de le faire ?

Le deuxième défi est le suivant. Aujourd'hui, nous sommes contemporains d'une profonde transformation de notre société : nous sommes en train de vivre le basculement d'une société qui a été majoritairement et peut être aussi superficiellement chrétienne à une autre société qui, dans ses structures est désormais pluraliste. Dans une telle société pluraliste, la rencontre avec des autres qui sont différents provoque de l'insécurité. Quand nous voyons que les églises se vident alors que dans le même temps les mosquées font le plein, il n'est pas rare de rencontrer des personnes partageant la peur de perdre leur propre identité dans le brassage des identités plurielles. D'où la crispation de s'agripper à un trait de sa culture, un statut social par exemple, comme si c'était lui le trésor, en oubliant que ce statut n'est que de l'ordre du vase de terre.

4.

Face à ces deux défis, il est bon de ne pas perdre de vue la métaphore de Paul. « Nous portons ce trésor dans des vases de terre. » Une métaphore qui nous apprend à nous accepter comme n'étant que des vases d'argile. Quand nous nous accrochons à un statut, à une posture acquise, à des privilèges, comme si c'était un trésor, cette métaphore nous invite à la confiance. Nos identités ne sont pas trésors immuables, des produits finis. Nos identités ne sont que des vases d'argiles. Des vases vulnérables qui assument leur rôle pour un temps et qui sont appelés à évoluer. Ce n'est pas grave si les vases se font et se défont, car ils n'altèrent pas le trésor. Précisément, il faut peut être que les vases se fassent et se défassent pour que le trésor ne soit pas perdu, pour que le trésor soit transporté dans une nouvelle époque.

Avec cette distinction entre vase et trésor, Paul invite ceux qui l'écoutent à ne pas accrocher leur identité à des statuts acquis, car cela est de l'ordre du vase, mais à entrer dans un processus où nous mourrons à ce qui nous parait être précieux pour ressusciter, grâce à Dieu, à un nouvel horizon.

Si au coeur de notre culture laïque contemporaine, nous avons un témoignage à partager, c'est peut-être celui-ci : être témoin de cette expérience de passer par des morts et des résurrections. Si nous acceptons de passer par des morts et des résurrections, c'est parce que nous savons que le trésor nous le portons dans des vases qui se font et qui se défont.

5.

Parlons à présent du trésor ! Le trésor, pour nous, c'est bien sûr l'évangile.

Si l'évangile est un trésor, c'est parce qu'il nous tient tête; il se dresse face à nous quand nous nous égarons. Si l'évangile est un trésor, c'est parce qu'il travaille nos vies pour les faire advenir à leur vérité. Un point important où aujourd'hui l'évangile révèle sa valeur en nous tenant tête, c'est lorsqu'il se dresse face à notre irrésistible envie de tout simplifier. Dans le contexte pluraliste où nous vivons, cela serait profondément rassurant si nous pouvions mettre un terme à tous les débats en y apportant une réponse définitive.

C'est fatiguant de devoir toujours écouter les avis des uns, puis ceux des autres avant d'arriver à nous forger un avis. C'est fatiguant et exigeant. Nous aimerions bien que parfois les choses soient moins floues et plus simples. Parfois, nous en avons marre que tout ne soit que vase d'argile, nous aspirons à des discours bétons, des discours qui bétonnent. Et c'est justement là que l'évangile se révèle être un trésor. Car il nous apprend en nous frottant à toute la complexité de notre quotidien à ne pas l'enfermer dans des discours simplistes, mais à le travailler au corps ce quotidien pour le faire advenir à sa vérité.

Un exemple ?

lepreuxLe récit inspirant où Jésus accepte l'invitation à partager un repas dans la maison du pharisien, Simon le Lépreux. Alors que Jésus avait répondu positivement à cette invitation d'un pharisien - geste diplomatique cherchant à se rapprocher d'un groupe avec lequel il était souvent en conflit ? -, voilà qu'une femme, sans y avoir été invitée, entre dans la salle du repas et rompant les codes de l'époque vient à ses pieds, dénoue ses cheveux, geste ô combien érotique qui ne se faisait à l'époque que dans la chambre à coucher, pour ensuite laver les pieds de Jésus avec ses larmes avant de les oindre de parfum.

Le geste de cette femme offusque les personnes présentes. Il ne fait que confirmer ce que beaucoup de pharisiens pensaient : à savoir que ce Jésus n'est qu'un rabbi manquant rigueur. Sentant que l'initiative de cette femme allait réduire à néant les promesses de cette soirée hautement diplomatiques, Jésus aurait pu simplement la renvoyer. Au lieu de cela, il accepte le trouble, l'ambiance gérée et les murmures. Il refuse les prises de positions simplistes.

Mettant en valeur un détail que tout le monde semble oublier, les larmes de cette femme, larmes exprimant combien son geste s'il est maladroit n'est pas moins authentique, Jésus perce et reconnait l'élan profond et sensible qui anime cette femme. Il reconnait en cette femme une vérité que les autres invités avaient vite fait d'exclure tant sa manière de faire ne cadrait pas avec les codes.

Tout le trésor de l'évangile est là : dans ce regard perçant du Christ qui tout en acceptant le trouble complexe de la situation, reconnaît la vérité qui, chez l'autre s'exprime parfois maladroitement.

Au coeur de notre société plurielle, osons porter dans nos vases d'argile un tel trésor. Résistons aux discours qui bétonnent, qui enferment l'autre dans des représentations simplistes. Au coeur de nos situations complexes, recevons du Christ le regard perçant nous permettant de reconnaître chez l'autre la vérité qui s'exprime parfois maladroitement.

Amen

 Luc-Olivier Bosset (Maurin, le 11 mars 2018)