Quand les frères de Joseph virent que leur père était mort, ils dirent : Et si Joseph devenait notre adversaire et nous rendait tout le mal que nous lui avons fait ! Alors ils firent dire à Joseph : Ton père a donné cet ordre avant de mourir : « Vous parlerez ainsi à Joseph : “S’il te plaît, pardonne la transgression de tes frères et leur péché, car ils t’ont fait du mal ! Je t’en prie, pardonne maintenant la transgression des serviteurs du Dieu de ton père !” » Joseph se mit à pleurer quand on lui dit cela.Ses frères eux–mêmes vinrent ; ils tombèrent à ses pieds et dirent : Nous sommes tes serviteurs. Joseph leur dit : N’ayez pas peur : suis–je à la place de Dieu ? Le mal que vous comptiez me faire, Dieu comptait en faire du bien, afin de faire ce qui arrive en ce jour, pour sauver la vie d’un peuple nombreux. N’ayez donc pas peur maintenant ; je vais pourvoir à tous vos besoins et à ceux de toutes vos familles. Il les consola et parla à leur cœur.

Genèse 50, 15-21 (Nouvelle Bible Segond)

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Quand nous agissons, à qui répondons-nous ? À quoi répondons-nous ?

Voilà la question que j’aimerais méditer avec vous ce matin, car elle donne de la saveur et de la profondeur à nos vies. Quand nous agissons, à qui répondons-nous ? À quoi répondons-nous ?

Cette question, il est important que nous puissions la méditer pour nous-mêmes. Cependant, elle est aussi en lien à tout ce que vous voulons transmettre à nos enfants. Car quand nous accompagnons un enfant, un adolescent dans la découverte de la vie, le plus beau cadeau que nous puissions lui faire, c’est :

  • de lui apprendre à écouter sa vie, toute sa vie, tout ce qui se passe dans son quotidien.
  • de lui apprendre aussi à discerner où est l’essentiel dans tout ce quotidien
  • et ensuite de lui apprendre à répondre  par rapport à tout ce qu’il a entendu d’essentiel. A  agir, à tracer son chemin en faisant corps avec cet essentiel.


2.

Ce que je vous partage là, peut vous sembler très abstrait. C’est pourquoi, tournons-nous vers une situation concrète qui montrera mieux que de longs discours les enjeux importants de ce questionnement.

La situation concrète, c’est celle que nous dévoile ce passage tiré du premier livre de la Genèse. Avec Joseph et ses frères, nous sommes plongés dans la saga d’une longue histoire de famille, d’une histoire de famille qui ressemble tellement à  nos histoires tant elle est compliquée, pleine de tensions et de rebondissements.  

Le passage que nous avons ré-entendu intervient à la fin de cette saga, lorsque le récit semble avoir touché son point de résolution.

La jalousie des frères envers Joseph, une jalousie qui les avait poussé à vendre Joseph à une caravane de marchands tout en assurant à leur père que Joseph avait été dévoré par une bête sauvage, cette jalousie et ce mensonge semble être dépassés.

En effet, après  moult vicissitudes, Joseph vendu par les marchands comme esclave en Egypte est devenu conseiller du pharaon. Un conseiller respecté et puissant parce qu’il a permis à l’Egypte de s’organiser pour avoir suffisamment de réserve de blé afin de  traverser plusieurs années de grandes sècheresses.

Or voilà qu’un jour, Joseph,  devenu grand conseiller du pharaon, voit arriver devant lui ses frères qui l’implore de les aider à faire face à la grande famine. Et Joseph leur donne le blé nécessaire. Même plus, il les invite ainsi que toute leur famille à venir le rejoindre en Egypte et là, il leur offre gîte et  sécurité.

Donc, les vieilles histoires de cette famille semblent résolues, sauf que, quand tout le monde est enfin réuni et passe des jours heureux en Egypte, voilà que le père, un vieillard très avancé en âge, meurt.

Cette disparition est tout à fait dans l’ordre des choses. Elle n’aurait pu être qu’un épisode, triste, certes mais naturel de la fresque familiale. Cependant dans cette saga, cet événement prend des couleurs très particulières, puisqu’il ravive dans l’esprit des frères de Joseph une grande inquiétude.

Peut-être que, si Joseph s’est montré bienveillant jusqu’à présent, c’était uniquement par respect pour leur père ? Mais peut-être qu’au fond, il n’a rien oublié ? Jusqu’à présent, s’il a fait bonne figure, c’était parce qu’il attendait son heure, sûr et certain que celle-ci viendrait ?

Or voilà que cette heure est venue. Le dernier rempart s’est effacé, il n’y a désormais plus aucune entrave…Que va-t-il se passer ?

L’inquiétude des frères est le signe que les anciennes blessures ne sont pas cicatrisées.  Malgré les dernières années écoulées où tout semblait résolu, leur conscience n’est pas en paix.

Et c’est là que Joseph leur adresse cette phrase étonnante :

« le mal que vous comptiez me faire, Dieu comptait en faire du bien, afin de faire ce qui arrive en ce jour, pour sauver la vie d’un peuple nombreux. » (Genèse 50,20)

En parlant ainsi, c’est comme si Joseph leur disait :

Vous avez voulu me faire du mal, vous m’avez fait du mal ; pour ma part d’ailleurs aussi j’ai dû vous en faire ; cependant, le temps a passé; de multiples événements et rebondissements sont intervenus, ce qui fait qu’aujourd’hui, je ne relis plus tout ce qui s’est passé en me concentrant sur votre intention ; je re-situe tout ce qui nous est arrivé dans une perspective plus vaste et je réalise que ce qui donne du sens à tout cet ensemble, ce n’est pas ce que vous avez voulu faire, ce n’est pas ce que j’ai voulu vous faire, mais ce qui donne une cohérence à tout ce qui nous est arrivé, c’est une intention plus vaste que la mienne, la vôtre,  que j’appellerai ici l’intention de Dieu.

Quand j’écoute ma vie, notre vie, je perçois, j’entends une intention qui est plus vaste que la vôtre ou la mienne. Ainsi aujourd’hui, je ne vais pas réagir à votre intention et me venger en vous faisant payer le mal que vous m’avez fait. Car, ce que je veux, c’est plutôt répondre en faisant corps avec ce qui me semble plus essentiel que votre intention ou la mienne, avec  cette vaste intention, celle de Dieu, que je perçois de manière encore bien floue, mais qui a travaillé l’histoire de nos vies pour en faire advenir un bien.

C’est pourquoi, faisant corps avec cette vaste intention, je veux m’établir dans le pardon. N’ayez donc pas peur, je vais pourvoir à tous vos besoins et à ceux de vos familles.

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Ce que je trouve intéressant dans la manière dont les choses nous sont racontées, c’est que Joseph agit, non pas parce qu’il sait ce qu’il doit faire,  comme quelqu’un qui aurait un plan dans sa tête, un plan de carrière et qui organise et évalue tout en fonction de ce plan…

Joseph agit comme il fait, non pas parce qu’il a une claire conscience du devoir à assumer dans les relations familiales, vous savez le devoir  qui exige qu’entre frère et soeurs, on se pardonne, et du coup, face à ce devoir moral, intemporel et exigeant, il ne ferait que se soumettre, docile et obéissant,

Non ... Quand il agit, Joseph n’a pas de plan en tête, Joseph n’obéit pas servilement à un devoir. Mais tout le récit, nous montre Joseph qui se questionne, qui se demande :  Dans tout ce qui est arrivé et qui arrive encore aujourd’hui, qu’est-ce qui s’est passé, qu’est-ce qui est en train de se passer ? Avant d’agir, Joseph prend le temps d’écouter sa vie et de se demander : qu’est-ce qui se passe ?

Quand il reconnaît ses frères, le récit nous dit que Joseph commence par  se retirer pour pleurer. Il se laisse être troublé, touché, travaillé, labouré par ce qui est en train de se passer. Il laisse ses représentations être revisitées, ses plans être bousculés.

Cette disposition lui permet de sortir des postures stéréotypées. Dans le cas de Joseph, la posture stéréotypée, l’attitude normale, attendue aurait été qu’il puisse se venger. Or, même si cette envie de vengeance l’a un jour ou l’autre habité, voilà que lorsqu’il en a l’occasion, il ne le fait pas. Pourquoi ?  Parce que quand cela lui arrive, Joseph ne répond pas mû par une pulsion, il ne répond pas en accomplissant un plan de vengeance mille fois échafaudé,  mais il laisse la situation, dans toute sa complexité,  le travailler.

Ainsi, dans cette histoire, nous voyons Joseph non pas simplement réagir, mais répondre. Ce qui n’est pas la même chose. Nous le voyons peu à peu réagir non pas de manière prévue d’avance. Mais, en interaction avec la situation telle qu’elle se présente, nous le voyons évoluer au fur et à mesure que le chemin s’invente.

4.

Nous le voyons évoluer jusqu’à ce que éclot de sa bouche, cette parole : « le mal que vous comptiez me faire, Dieu comptait en faire du bien, afin de faire ce qui arrive en ce jour, pour sauver la vie d’un peuple nombreux. » (Genèse 50,20)

En se laissant travaillé par tout ce qui lui est arrivé, une conviction s’est forgée peu à peu  en  Joseph. Dans toute cette longue histoire, Dieu a englobé la faute, le mal fait par les frères, dans son oeuvre de salut. En parlant ainsi, Joseph n’énonce pas une vérité intemporelle, mais il exprime plutôt ce qu’il entend quand il écoute profondément son histoire de vie.

Joseph est un témoin intéressant, car en relisant sa vie, il a appris à faire la distinction entre l’intention particulière de ses frères qui a guidé leurs actions, et l’intention de Dieu qui a utilisé l’agir des frères, l’intention de Dieu qui se trouve derrière, cachée dans les différents événements et rencontres de sa vie.

En  faisant cette distinction, Joseph peut  sortir des réactions stéréotypées. S’il pardonne à ses frères, c’est parce qu’il ne réagit pas à ce que eux lui ont fait, mais qu’il essaie de répondre à l’intention divine qu’il perçoit à l’oeuvre de manière cachée dans tout ce qu’il a traversé.  


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A)

Si un jour, on vous dit que la foi est un réservoir de règles, de devoirs, de principes qu’il faut bien comprendre pour ensuite les appliquer sans y déroger, sinon gare à vous, rappelez-vous l’histoire de Joseph où la foi  tout au long du récit n’était pas des principes à appliquer, mais une confiance, un état d’esprit qui permis à Joseph de prendre du recul pour forger des réponses créatives aux exigences de la vie. Rappelez-vous l’histoire de Joseph où la foi tout au long du récit a été une ressource le mettant en confiance pour qu’il puisse sans stress, écouter ce qui se passe dans son quotidien.

Car plus notre interprétation de ce qui nous arrive prend en compte de manière large les multiples facteurs qui composent notre situation, plus notre réponse à cette situation sera appropriée. La foi est cette confiance qui nous permet d’aller jusqu’au bout de cette écoute, patiemment, tranquillement, sans crainte ni panique.  

B)

Si un jour, on vous dit que Dieu a un plan pour votre vie, un plan qui serait tout tracé et pour lequel, vous n’auriez plus qu’à vous y conformez, rappelez-vous l’histoire de Joseph. Dieu n’a pas de plan, mais Dieu, c’est une intention. Cette intention nous ne la connaissons que partiellement. Elle nous dépasse, elle est mystérieuse. C’est pourquoi, nous la découvrons et redécouvrons de manière nouvelle  dans tout ce qui nous arrive.

En méditant le récit de la saga familiale de Joseph et ses frères, nous avons perçu cependant une dimension de cette intention. Et pour aujourd’hui cela suffit. Ce que nous avons perçu que l’intention de Dieu est comme le dit Joseph  « de sauver la vie d’un peuple nombreux. » Nous avons perçu que l’intention de Dieu est que tu vives. Alors fort de cette découverte, puissions-nous faire une pause dans notre quotidien et écouter. Ecouter ce qui s’y passe. Et peu à peu discerner comment cette intention divine travaille notre quotidien pour y faire advenir la vie. Et puissions-nous répondre à ce qui nous arrive comme si nous répondions à cette intention de vie !


Amen

Luc-Olivier Bosset, culte du 19 août 2018 au temple de la Rue Maguelone. Images : GvdL