Si vous m’aimez, vous garderez mes commandements. Moi, je demanderai au Père de vous donner un autre défenseur pour qu’il soit avec vous pour toujours, l’Esprit de la vérité, que le monde ne peut pas recevoir, parce qu’il ne le voit pas et qu’il ne le connaît pas ; vous, vous le connaissez, parce qu’il demeure auprès de vous et qu’il sera en vous. Je ne vous laisserai pas orphelins ; je viens à vous. Encore un peu, et le monde ne me verra plus ; mais vous, vous me verrez, parce que, moi, je vis, et que vous aussi, vous vivrez. En ce jour-là, vous saurez que, moi, je suis en mon Père, comme vous en moi et moi en vous. Celui qui m’aime, c’est celui qui a mes commandements et qui les garde. Or celui qui m’aime sera aimé de mon Père ; moi aussi je l’aimerai et je me manifesterai à lui. Judas, non pas l’Iscariote, lui dit : Seigneur, comment se fait-il que tu doives te manifester à nous et non pas au monde ? Jésus lui répondit : Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera ; nous viendrons à lui et nous ferons notre demeure auprès de lui. Celui qui ne m’aime pas ne garde pas mes paroles. Et la parole que vous entendez n’est pas la mienne, mais celle du Père qui m’a envoyé. Je vous ai parlé ainsi pendant que je demeurais auprès de vous. Mais c’est le Défenseur, (paraclet) l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, qui vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que, moi, je vous ai dit. Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Moi, je ne vous donne pas comme le monde donne. Que votre cœur ne se trouble pas et ne cède pas à la lâcheté ! Vous avez entendu que, moi, je vous ai dit : Je m’en vais et je viens à vous. Si vous m’aimiez, vous vous réjouiriez de ce que je vais vers le Père, car le Père est plus grand que moi. Je vous ai dit ces choses maintenant, avant qu’elles n’arrivent, pour que, lorsqu’elles arriveront, vous croyiez.

Jean 14, 15-29 (nouvelle bible Segond)

lob 101119 11. Dans le passage de l’évangile que nous venons d’écouter, Jésus s’adresse à ses disciples en disant : « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. »

Nous sommes au deux tiers du récit. La tension avec les autorités religieuses de son temps est à son comble. Les nuages s’amoncellent. L’ambiance est aussi lourde que celle d’une chambre d’hôpital dans une unité de soins palliatifs. Jésus sait, sent qu’il va être emporté, englouti par l’épreuve qui s’annonce. Dans ces moments-là, difficile de parler de ce dont tout le monde pertinemment sait, mais que tout le monde redoute.

Et pourtant Jésus parle. Ce discours d’adieux est un grand moment de vérité. Avant qu’il ne soit trop tard, ce qui doit être dit est dit. Des paroles graves, des paroles d’amour, des paroles d’encouragement. On perçoit dans ce discours le souci de laisser des paroles remplies de promesse et de vie.

2.« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » L’évangile de Jean est parmi les 4 évangiles, celui qui a été écrit le plus tard, on pense dans les années 90 après Jésus Christ. Soit près 50 ans après la crucifixion. Un demi-siècle après que les événements se soient passés.

Ce que je trouve étonnant, c’est que les rédacteurs aient donné autant d’importance à ce discours d’adieu. Cinq chapitres sur 21, près du quart de l’évangile ! Comme pour nous dire qu’un demi-siècle après, qu’au moment où les rédacteurs doivent identifier l’essentiel à transmettre aux générations futures, ces rédacteurs voient dans ce discours des paroles structurantes et aidantes.

Avoir été préparé à ce départ, a été une vraie ressource pour eux. En faisant mémoire de ces paroles, les rédacteurs n’invitent pas ceux qui les écoutent à ressasser la perte. Mais à trouver des ressources, comme eux en ont trouvé des ressources, pour habiter chacun de nos deuils.

D’ailleurs, s’ils ont mis par écrit ces paroles, c’est parce que ces rédacteurs en les méditant ces paroles, découvrent à présent des choses qu’ils n’avaient pas perçues au prime abord. En revisitant ces propos, ils entendent de nouvelles harmoniques, et cela grâce à la distance, grâce à leur vécu qui est devenu plus épais et qui les a approfondit.

Il est bon de ne pas jeter aux ortilles des paroles que nous ne comprenons pas au prime abord. En y revenant plus tard, les propos autrefois sibyllins s’éclairent et ouvrent à une autre dimension. C’est donc, avec cet état d’esprit que je vous propose ce matin d’écouter cette parole mise par les rédacteurs dans la bouche du Christ :

lob 101119 23. « Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » Et de nous demander : Comment, nous aujourd’hui, pouvons-nous recevoir ces paroles ?

Comment nous laisser rejoindre par cette paix qui est là, disponible, à portée de coeur, alors que justement le lien qui a été coupé lorsque l’être aimé nous a quitté, n’est pas encore cicatrisé, ou peut-être même que ce lien saigne encore. Oui, aujourd’hui comment recevoir cette paix du Christ qui nous est donnée ?

4. Pour être rejoint par la Paix donnée par le Christ, je vous invite à faire une halte auprès d’un seul et unique mot qui a surgit dans le passage que nous avons entendu tout à l’heure. Un mot qui se trouve dans le récit juste avant que l’on fasse dire à Jésus : « je vous laisse ma paix, je vous donne ma paix. » Ce mot, La version de la Nouvelle Bible second l’a traduit par : Défenseur.

« Je vous ai parlé ainsi pendant que je demeurais auprès de vous. Mais c’est le Défenseur, (paraclet) l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom, qui vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que, moi, je vous ai dit. Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. »

La version de la nouvelle Bible segond a traduit « défenseur » un mot grec (paracletos) pourrait tout aussi bien se traduire « Assistant ». Ce mot ne surgit que dans l’évangile de Jean. C’est dire son importance pour les rédacteurs de cet évangile. C’est dire aussi le mystère qui enveloppe ce mot, car nous ne disposons pas de beaucoup d’autres textes dans la Bible pour en savoir plus et être plus au clair sur l’identité de cet assistant.

Et dans l’évangile de Jean, ce mot ne surgit que dans le discours d’adieux, au moment où Jésus prépare les siens à sa disparition. Dans un milieu hostile, où les disciples se retrouvent orphelin, sans plus avoir leur maître pionnier qui leur ouvre la voie, Jésus leur promet un assistant. Ce que je trouve de très intéressant, c’est que cet assistant est là pour nous dit le récit, « les enseigner et leur rappeler » tout ce qu’ils ont entendu.

Enseigner ici, cela ne veut pas dire recevoir des leçons, mais découvrir un nouvelle facette, vivre un décalage permettant de poser un regard neuf. Ainsi, grâce à cet assistant, la rétrospective ne deviendra pas stérile. Grâce à cet assistant, les orphelins éviteront de ressasser ce qu’ils ont vécu, Ils ne deviendront pas comme la femme de Loth des statues de sel à force de regarder en arrière et rester fixé sur le passé.

Grâce à cet assistant, les disciples orphelins, en faisant mémoire de ces paroles du Christ qui sont vieilles d’un demi siècle, découvriront une nouvelle facette de cette parole qui les engagera à nous frais dans la vie.

« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. » Grâce à cet assistant, les disciples orphelins découvriront dans ces vieilles paroles une nourriture pour leur aujourd’hui !

5. Le mystère qui enveloppe l’identité de cet assistant défenseur est très intéressante. Je crois que ce mystère est là pour nous dire la chose suivante :

Pour trouver la paix dans nos deuils, nous n’avons pas à suivre une personne bien identifiée et précise. Mais nous avons à être attentif à reconnaître l’assistant dans les multiples gestes et paroles dont nos amis, nos proches ou parfois même des inconnus nous témoignent. Car cet assistant peut surgir dans la bouche d’un enfant, dans la lettre d’une vieille connaissance, dans la fidélité d’un proche !

Et quand cet assistant surgit puissions-nous le laisser nous enseigner, nous rappeler l’essentiel et ainsi nous rendre disponible pour que nous puissions entendre d’une manière toute nouvelle cette vieille parole :

« Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. »

6. Permettez-moi ici de vous raconter l’anecdote suivante d’une personne qui était veuve depuis dix ans. Alors qu’elle cheminait dans cette dixième année, voilà qu’à sa grande surprise, elle est saisie par une tristesse profonde. Un détail du quotidien lui a soudain rappeler le conjoint perdu et des larmes ont perlé de ses yeux. Dans sa tristesse, cette personne partage son émotion à son entourage et là, elle s’entend dire en substance : « quoi, mais après 10 ans, tu en es toujours là ! Tu n’as pas encore fait ton deuil ? ».

Cette parole est rude, elle est surtout pleine de sous-entendus : dans nos différents deuils, nous devrions vivre un chemin linéaire. Peu-à peu avec le temps qui passe, nous devrions voir notre douleur s’atténuer.

Sous-entendus également : avec le temps qui passe, nous devrions vivre un travail de deuil. C’est à dire qu’il nous faudrait travailler sur nos émotions pour que ces émotions ne nous envahissent plus, pour que petit-à-petit notre tristesse évolue et s’apaise. La paix, dans cette logique viendrait avec le temps qui passe, la paix viendrait grâce à un travail de deuil que nous aurions accompli.

lob 101119 37. Or quand Jésus dans son discours d’adieux parle de paix, je ne crois pas qu’il parle de cette paix là.

Dans un autre passage du discours d’adieux, Jésus affirme qu’il y a « beaucoup de demeures dans la maison de mon père » (Jn 14,2). À l’écoute de cette métaphore, je vous propose de voir notre vie comme ayant beaucoup de demeures, comme étant une maison ayant beaucoup de pièces. Plus nous avançons en âge, plus notre maison intérieure s’enrichit de nouvelles tranches de vie, de nouvelles pièces.

Quand une personne aimée nous quitte, notre maison intérieur développe une nouvelle pièce, appelons-la la pièce de la séparation où nous éprouvons la perte et le manque et où, lorsque nous y entrons, nous sommes saisis de tristesse.

Quand la personne de notre anecdote a été saisie de larmes, c’est comme si elle avait été introduite dix ans après, dans une telle pièce, la pièce de la séparation ; une pièce dont elle avait appris au fil du temps à ne pas y vivre à longueur de journée. Mais voilà, un détail du quotidien l’y a poussé.

Et quand le vis-à-vis lui a adressé des paroles rudes, c’est comme si ce vis-à-vis lui avait dit oui, cette pièce fait partie de ta vie, mais c’est une pièce du passé, aujourd’hui tu n’as plus rien à y faire. Aujourd’hui, il te faut vivre uniquement dans les autres pièces de ta maison.

Or, dans la métaphore de Jésus « il y a beaucoup de demeures dans la maison de mon Père », j’entends autre chose. Être dans la maison du Père, c’est habiter notre vie en acceptant qu’elle soit garnie de beaucoup de pièces. Être dans la maison du Père, c’est aussi accepter que tout au long de notre vie, nous faisons des va et vient entre ces différentes pièces. Les pièces où nous éprouvons la perte et le manque, et les pièces où nous éprouvons la consolation et la paix.

Quand le Christ nous dit : « je vous donne ma paix », j’entends les propos suivants : dans votre deuil, ne restez pas figé dans une posture, ne vous enfermez pas dans une seule et unique pièce. Ne passez pas votre temps à rester dans la seule pièce de la tristesse ou dans la seule pièce de la consolation. Mais recevez la paix qui vous permet de vivre des allers et venues entre toutes les pièces qui forment la complexité de votre vie.

Par moment osez sortir de la pièce de la tristesse pour rire et chanter ; par moment laissez-vous être délogés de la vie quotidienne trépidante pour passer un moment dans la pièce de la tristesse.

Ainsi, cheminer dans notre deuil consiste, je crois, non pas à faire un travail de deuil, mais à recevoir de Jésus cette assurance tranquille, cette autorisation à faire des aller et venues entre toutes les pièces formant la complexité de notre demeure intérieure.

7. Quand Jésus dit « Je vous laisse la paix », j’entends la chose suivante : je ne vous laisse pas orphelin, je vous laisse un mystérieux assistant.

Alors pour que nos aller-venues prennent avec le temps une forme différentes, pour que nos émotions évoluent, s’approfondissent et s’épaississent, pour que peu à peu ces allers-venues deviennent des moments intégrateurs de la complexité de la vie, laissons-nous être rencontrés par cet assistant qui nous ancre plus profondément dans la vie.

Alors grâce à cet assistant, à ce paracletos, nous habiterons notre vie de telle manière à ce qu’elle soit une vraie maison du Père faite de beaucoup, beaucoup de demeures.

Amen

Luc-Olivier Bosset, le 10 novembre 2019 (culte de consolation) à Maurin.
Crédit images : Evdl (Vienne,octobre 2019)