« Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères par les prophètes, Dieu en la période finale où nous sommes ( au terme de ces jours-ci), nous a parlé par un Fils qu’il a établi héritier de tout et par qui il a créé les mondes.  Ce fils est resplendissement de sa gloire et expression de son être. Il porte tout  par le dynamisme de sa parole. Après avoir accompli la purification des péchés, il s’est assis à la droite de la Majesté dans les hauteurs, devenu d’autant supérieur aux anges qu’il a hérité d’un nom bien différent du leur.  »

Hébreux 1, 1-6 (nouvelle bible Segond)

lob221219 11. Nos vies ne sont pas faites que de passé, ou que de présent, ou que d’avenir. Elles sont faites de tout cela ensemble. Nos vies forment tout une histoire. Qu’est-ce que j’entends ici  par le mot « histoire » ? 

L’autre jour, une personne en me parlant de son engagement depuis plusieurs années au sein d’une association, en me racontant tout ce qui avait évolué, germé au fil de ses années d’engagements, en réalisant aussi comment les choses s’étaient peu à peu construites, comment chaque avancée avait été possibles parce qu’elle s’appuyait sur les acquis antérieurs, cette personne me dit en parlant de son engagement : «  oui c’est une belle histoire ». 

2. « Oui, c’est une belle histoire » 

Je crois que cette expression aurait très bien pu être prononcée par l’auteur de l’épitre aux Hébreux qui en prenant conscience de tout ce qui a germé grâce à la relation que le peuple d’Israël a tissé avec son Dieu, en prenant conscience des évolutions, des avancées,  aurait très bien pu dire : 

« Oui nous avons là une belle histoire ». D’ailleurs ce sens de l’histoire, notre auteur l’a ! Puisqu’il commence son épitre de la manière suivante : 

« Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères par les prophètes, Dieu en la période finale où nous sommes ( au terme de ces jours-ci), nous a parlé par un Fils qu’il a établi héritier de tout » 

Ce matin, j’aimerai simplement m’arrêter avec vous auprès de ce verset et méditer sur ce qui fait que nos parcours de vie aux uns et aux autres forment tout une histoire. 

3. En écoutant ce verset, la première chose que je retiens c’est la suivante : la naissance que nous fêtons à Noël n’est pas arrivée de nulle part, mais elle est  le fruit de toute une histoire. Comme notre naissance à nous, cette naissance  est  le fruit de tout un processus. 

Une histoire qui a bien des reprises aurait pu capoter, une histoire qui aurait pu être arrêtée par les coups de butoirs du temps, les épreuves et les tempêtes des événements. Mais une histoire qui de bien des manières a été reprise, sauvée du néant pour qu’elle puisse continuer d’advenir. 

À la manière dont il parle, je perçois chez l’auteur de l’épitre aux Hébreux, un certain émerveillement : l’arrivée du fils dans cette histoire, être comme il le dit « dans la période finale », n’a rien d’une évidence. Tout le processus aurait pu s’arrêter bien avant. Tout le processus aurait pu être fauché, broyé sans jamais pouvoir atteindre ce stade de maturité. 

Or il a pu atteindre ce stade, car à bien des reprises et de bien des manières, ce processus a été repris et relevé.  Et c’est avec un étonnement profond pour toute cette histoire, que l’auteur de l’épître aux Hébreux s’élance dans sa lettre. 

Cet émerveillement, ne l’éprouvons-nous pas nous aussi, quand nous réalisons qui nous sommes devenus au fur et à mesure du temps ?  Nous savons combien nos histoires de vie sont fragiles, combien nos parcours peuvent être malmenés par les coups de butoirs du temps. 

Cependant si durant notre existence, les épreuves ne nous ont pas épargnés, mettant parfois un terme à ce que nous voulions continuer, il n’en demeure pas moins que nous finissons l’année 2019 en étant vivants. Notre histoire continue. Notre histoire n’a pas capoté. Elle n’a pas capoté parce qu’à bien des reprises, de biens des manières, de la vie nous a été donnée.

lob221219 24. La deuxième chose que je souhaite partager avec vous est la suivante : 

Dans la langue hébraïque, le mot « histoire » se dit : toldot. C’est un mot qui s’est forgé à partir du verbe YALAD qui lui veut dire engendrer, enfanter. Ainsi si on voulait traduire mot à mot toldot, il faudrait dire : les engendrements. 

Ainsi, dans la pensée hébraïque, l’histoire, ce ne sont pas les événements qui arrivent. Mais l’histoire, c’est au coeur de ces événements, par ces événements, ce sont les engendrements qui surviennent. Plus que sur les événements, l’accent ici est mis sur tout ce qui est engendré par les événements. 

Ainsi quand l’auteur de la lettre aux Hébreux écrit : « Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères par les prophètes, Dieu en la période finale où nous sommes ( au terme de ces jours-ci), nous a parlé par un Fils qu’il a établi héritier de tout », je crois qu’il relit l’histoire non pas afin de décrire tous les événements qui se sont passés, mais afin de souligner ce qui s’est engendré au fil des événements.  

Du coup,  cette vision du mot « histoire » peut aujourd’hui, en cette fin d’année 2019, alors que nous relisons le chemin parcouru, peut nous faire nous poser la question suivante :  au fil de la traversée de cette année écoulée, comme de toutes celles qui ont précédé, qu’est-ce qui a été engendré dans ma vie ? quels fruits à la saveur unique comme mon histoire est unique, quels fruits sont arrivés à maturité ? 

4. Le troisième point que j’aimerai aborder avec vous est le suivant. 

L’histoire que l’auteur de l’épitre aux Hébreux mentionne est une histoire bien particulière : c’est l’histoire d’être rencontré par une parole. Avez-vous remarqué, dans ce premier verset, par deux fois, il est question de parole : 

« Après avoir, à bien des reprises et de bien des manières, parlé autrefois aux pères par les prophètes, Dieu en la période finale où nous sommes ( au terme de ces jours-ci), nous a parlé par un Fils qu’il a établi héritier de tout » 

Qu’est-ce que peut bien vouloir dire l’expression «  Dieu parle » ? Nous savons bien que Dieu n’est pas un être comme vous et moi, un être fait de chair et de sang à qui l’on pourrait parler comme on le fait entre nous habituellement. Donc cela veut dire que l’expression «  mon épouse ou  mon ami me parle » ou «  Dieu me parle » ne renvoie pas du tout à la même expérience.  

Quand la Bible dit «  Dieu parle », à quelle genre d’expérience  renvoie-t-elle ? 

De là où j’en suis arrivé dans ma compréhension de cette expression, je dirai ceci : dans le flux des jours,  un flux qui peut être soit trépidant, soit  nonchalant,  dans le flux des jours, il nous arrive d’être comme arrêtés par une parole qui nous recentre sur l’essentiel. L’essentiel que nous avions perdu de vue. L’essentiel vis à vis duquel nous n’étions pas du tout attentif, préoccupé que nous étions par bien autres choses.

Mais voilà, à un moment donné, sans que nous puissions fondamentalement l’expliquer nous sommes arrêtés dans ce somnambulisme. D’en dehors de nous-mêmes, une parole nous rejoint qui nous fait sortir de notre somnolence. Grâce à cette  parole, voilà que notre attention ne surfe plus sur les événements, ne courre plus d’une chose à l’autre, mais voilà que notre attention s’arrête, se pose, se mobilise et se concentre sur ce qui est là et que jusqu’à maintenant, nous ne voyons pas. 

Cette semaine, j’ai eu l’occasion d’échanger avec une personne tout heureuse de revenir chez elle après un long séjour à l’hôpital où elle avait vécu une importante opération. Cette personne me disait combien elle ressentait l’appel à admirer le ciel bleu et à écouter le chant des oiseaux. 

Dans sa fragilité elle avait entendu un appel l’invitant à s’arrêter pour laisser son attention être concentrée sur des choses qui peuvent à beaucoup d’entre nous sembler normale et banale, mais qui ne le sont pas. 

L’histoire des paroles de Dieu, c’est la succession de ces événements où dans notre vie, notre attention est arrêtée par ce qui est là et que nous ne voyions pas. 

C’est l’histoire de l’éveil progressif de notre conscience au caractère unique et tout à fait particulier de ce qui nous entoure. Nous pensions que ce qui nous entoure est normal, évident, banal, or grâce à ces paroles, nous découvrons l’essentiel : nous réalisons combien le ciel bleu n’est pas quelque chose de banal, nous nous émerveillons en écoutant les chants des oiseaux. 

Ainsi rappeler que Dieu nous parle, c’est rappeler tous ces moments où nous avons été rencontrés par une parole qui nous arrête et pose notre attention sur l’essentiel. 

lob221219 36. Venons-en au quatrième et dernier point. Dans le premier verset de l’épitre aux Hébreux, la succession des événements où Dieu a parlé aux humaines n’est pas une succession d’événements disparates et désordonnés. 

Au contraire !  En disant  « Après avoir parlé autrefois aux pères par les prophètes, Dieu en la période finale où nous sommes ( au terme de ces jours-ci), nous a parlé par un Fils qu’il a établi héritier de tout », l’auteur de cette phrase donne la vision suivante de cette succession : chaque nouvelle prise de conscience est au bénéfice de la prise de conscience précédente. Et c’est parce qu’elle est au bénéfice de tout ce qui s’est passé avant elle, qu’elle peut aller plus loin dans la découverte de tout ce qui nous entoure. Quand la succession des événements est ainsi ordonnée, plus l’histoire avance, plus la perception s’affine et s’approfondit. 

En affirmant que le Fils est l’héritier, ce verset dit que le Fils n’aurait pas pu être réceptif  comme il l’a été, à la parole qui arrête et recentre sur l’essentiel, s’il n’avait pas été au bénéfice de toute une tradition qui l’a précédé et qui l’a éveillé à ce genre de parole, qui lui en a donné le goût et la saveur. 

C’est parce que le Fils s’assume comme héritier, c’est à dire qu’il accepte d’être humblement au bénéfice de ceux qui l’ont précédé, ou pour le dire de manière métaphorique d’être assis sur les épaules des prophètes bibliques, portés et soutenus par eux et par toute la tradition spirituelle forgée en Israël,  c’est parce que le Fils s’assume comme héritier, qu’il a pu affiner et approfondir notre perception de cette parole qui arrête et qui nous recentre sur l’essentiel. 

En affirmant que le Fils est l’héritier, ce verset dit aussi autre chose : la tradition qu’il hérite certes lui ouvre des portes et lui donne des clés de lectures. Mais cette tradition ne fait qu’ouvrir des portes. Elle regorge de potentialités, d’intuitions qui n’ont pas encore été accomplies. Et donc son rôle d’hériter, ce n’est pas de répéter la tradition, mais plutôt en prenant appuis sur elle, d’explorer les portes qu’elle a ouverte et ainsi d’accomplir les intuitions qu’elle porte.

Dans nos vies, il n’est pas du tout évident que la succession des événements que nous vivons s’ordonne de cette façon, au point que nous nous sentions être assis, porté, soutenu par ceux qui nous ont précédé pour aller plus loin  dans notre compréhension de la vie. 

Parfois l’héritage est vu comme un poids, compliqué à gérer. Comme une entrave qui nous loin de nous propulser vers l’avenir, nous tire encore et toujours dans notre passé. 

Dans ces moments-là, puisse Dieu à nouveau nous parler. Quand nous tournons en rond dans nos réflexions, celle de savoir comment démêler les liens qui nous tire dans le passé, puisse sa parole nous rejoindre et nous recentrer sur l’essentiel. 

Puisse sa parole éclairer notre discernement afin que nous puissions faire la part des choses et trouvions une manière saine d’être assis sur les épaules de ceux qui nous ont précédé, c’est à dire une manière qui ne neutralise pas en nous l’audace d’aller plus loin dans notre exploration des intuitions que cet héritage ouvre. 

7. Que la fête de Noël nous fasse revisiter nos histoires afin que 

  • nous nous étonnions de la particularité de nos parcours de vie, 
  • afin que nous savourions ce qui a été engendré au fil de ce parcours, 
  • afin que nous nous laissions être rencontrés par une parole qui nous arrête et nous recentre sur l’essentiel
  • afin que nous trouvions une relation avec nos héritages qui libère en nous l’audace d’en accomplir les intuitions prometteuses.

Amen

Luc-Olivier Bosset, Cournonterral, le 22 décembre 2019
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