Une fois n’est pas coutume, j’aimerai commencer mon message en rendant hommage à tous ces gens qui ont été pour moi des Jean-Baptiste : Myriam, Daniel, Marie, Françoise, Pierre, Yves, Serge, Jacques, Agnès…

marc0012Pour comprendre pourquoi je parle ainsi, lisons d’abord ce passage de l’évangile :


« Commencement de la bonne nouvelle de Jésus-Christ, Fils de Dieu.
Selon ce qui est écrit dans le Prophète Esaïe :J’envoie devant toi mon messager pour frayer ton chemin ;
c’est celui qui crie dans le désert : « Préparez le chemin du Seigneur, rendez droits ses sentiers »,
survint Jean, celui qui baptisait dans le désert et proclamait un baptême de changement radical, pour le pardon des péchés. Toute la Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient auprès de lui et recevaient de lui le baptême, dans le Jourdain, en reconnaissant publiquement leurs péchés. Jean était vêtu de poil de chameau, avec une ceinture de cuir autour des reins. Il se nourrissait de criquets et de miel sauvage.
Il proclamait : Il vient derrière moi, celui qui est plus puissant que moi, et ce serait encore trop d’honneur pour moi que de me baisser pour délier la lanière de ses sandales. Moi, je vous ai baptisés d’eau ; lui vous baptisera dans l’Esprit saint. »

Marc 1,1-8


Comme Jean est un jour survenu dans le désert,  nous dit le passage de l’évangile de ce matin, ces personnes sont un jour survenues dans ma vie. Pourquoi était-ce à ce moment-là ? Dans ces circonstances-là ? Je ne saurais l’expliquer. C’est la beauté et la surprise propres à  toute rencontre !  Cependant, ce dont je peux témoigner, c’est que grâce à leur parole vraie, juste et désintéressée chacune de ces personnes m’a conduit jusqu’au  seuil d’une rencontre  qui a profondément renouvelé ma vie.

En leur exprimant ma  reconnaissance aujourd’hui,  je ne cherche pas à les mettre sur un piédestal. Elles seraient gênées de cela. Je cherche plutôt à leur dire ceci : vous êtes importants parce que, grâce à vous, j’ai pu rencontrer  Celui qui est devenu le soleil et la source de mon existence.

Bien des obstacles intérieurs tout autant qu’extérieurs  empêchaient une telle rencontre. Aujourd’hui le Christ est si célèbre et si connu que tout ce qu’on dit de lui forme une sorte d’écran, un épais nuage de fumée empêchant la curiosité. Avant qu’on ne découvre ce qu’il dit  vraiment dans les Evangiles, on a déjà un avis sur lui. Or, vous, mes chers Jean-Baptiste, vous avez su, à votre niveau, déblayer  la route pour que je n’en reste pas à des « on dit » sur le Christ, mais que j’aie vraiment envie de le rencontrer, lui.

Oui, merci  d’avoir ainsi éveillé en moi ce goût du Christ au moment où dominait le goût des choses mal emmanchées.

J’étais pris dans un fonctionnement pesant guère agréable à vivre. Des peurs me ligotaient, des déceptions me faisaient croupir dans l’amertume.  Mais bon, je ne voyais pas comment faire autrement, comment désactiver ce fonctionnement puisque j’avais même grandi et vécu de longues années là-dedans. A force, ce fonctionnement, même s’il était profondément pesant, était devenu comme une seconde peau, une habitude désagréable certes, mais connue, et parce que connue, rassurante.

La Bible a un terme bien particulier pour décrire cet état des choses mal emmanchées , ce fonctionnement pesant qui est comme une deuxième peau. C’est le terme de péché.

Souvent aujourd’hui,  ce mot sonne à nos oreilles comme quelque chose d’agaçant, car par le passé, on n’a trop culpabilisé en son nom. Pourtant, pour sortir de cet agacement, on gagnerait à écouter son étymologie qui ne fait que reprendre l’image de « manquer la cible. »

Le péché, ce sont toutes ces forces nous faisant manquer la cible,  toutes ces forces déviant notre existence de la trajectoire bonne que Dieu lui avait fixée.

En contemplant sa création au soir de son travail, Dieu se réjouit et vit que cela était bon, même très bon nous dit le livre de la Genèse.  Or, comment se fait-il que nous ayons tant de peine à être en résonnance avec cette joie de Dieu en contemplant la trajectoire que prend notre  propre vie ?  N’est-ce pas parce que des forces obscures  malmènent notre développement et notre évolution ?  Difficile de se réjouir de sa vie quand des diagnostiques  médicaux redoutables et qu’on n’arrive pas à les digérer,  difficile de se réjouir de sa vie quand on traine avec soi comme des boulets  des conflits compliqués  dont on n’arrive pas à se défaire; difficile de se réjouir de sa vie  quand on finit toujours par retomber sur des situations relationnelles explosives  alors qu’on a beau les  fuir en changeant d’association voire de lieu d’engagement, à se demander si on ne les provoque pas un peu…

Dans le passage de l’évangile de ce matin, on nous dit que face à ce sentiment de choses mal emmanchées, face aux forces  obscures qui dévient leur trajectoire,  les gens ne restent pas résignés et passifs.  En effet, « toute la Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendaient  auprès de Jean et recevaient de lui le baptême dans le Jourdain, en reconnaissant publiquement leurs péchés. »

Reconnaître publiquement ses péchés, c’est reconnaître que les tentacules des forces obscures nous faisant manquer la cible existent bel et bien en nous et hors de nous, mais aussi reconnaître que nous  ne voulons  plus  en devenir complice.

Si nous ne voulons plus en devenir complice, c’est parce que nous avons compris que cette situation de péché, bien que prégnante et quotidienne, n’est pas pour autant  la seule voie possible.

Or si nous avons compris que ce n'était plus la seule manière de vivre, n’est-ce pas parce qu’une personne à nos côtés avec suffisamment de franchise et de bienveillance a su nous rejoindre là où nous en étions, vêtu de nos habitudes si désagréables mais si rassurantes, pour nous parler avec pertinence d’une autre voie ?

Lorsque toute la Judée et tous les habitants de Jérusalem se rendent auprès de Jean le Baptiste, n’est-ce pas  justement parce qu’ils se sentaient rejoints et interpellés par lui ?  Et lui,  en leur parlant de péché et de baptême, loin de les  enfoncer ou de les culpabiliser,  leur indiquait une autre manière de regarder le monde.

Parce que Jean inspirait confiance par son style de vie sobre et sa parole en adéquation avec ses actes, tous les habitants de Judée et de Jérusalem ont pu entrer dans une démarche honnête, franche de relecture de vie, elles ont pu  oser reconnaître publiquement, sans honte  leur complicité avec toutes ces forces obscures leurs faisant manquer la cible. Et pas simplement d’en rester à une prise de parole publique, mais  de la  prolonger cela par un acte symbolique fort, le baptême.

Le baptême dans le Jourdain était un signe d’abandon puisqu’il était une immersion complète dans l’eau. Si on n’avait pas confiance en celui qui se tient à nos côtés à ce moment-là, jamais on aurait  osé se laisser  ainsi couler au fond de l’eau. C’est parce que les personnes avaient confiance en Jean le Baptiste qu’elles osaient s’abandonner, mourir à une certaine forme de vie,  dans la confiance que cet abandon ne serait pas une fin, mais le seuil d’une rencontre renouvelée avec la vie.

En effet, l’expérience du baptême était l’expérience d’un lâcher prise puisqu’on se laissait choir au fond de l’eau ; mais aussi l’expérience d’être saisi et relevé par une main bienveillante se tenant à nos côtés. Ainsi par ce geste, on découvrait concrètement le sens de Pâques.  Un abandon, une mort à soi-même qui ne signifie pas tout perdre, mais au contraire qui est un seuil où nous rencontrons intimement une force de vie qui nous relève. dont jusque là nous n’avions pas idée.

Jean-Baptiste est ainsi celui qui, debout et vivant,  arrive à faire sortir de leurs labyrinthe et leurs tanières, tous les résignés et les déçus par les choses mal emmanchées et qui les accompagne jusque sur le seuil pour les remettre en contact avec un vent qui souffle du large, avec  la Vie.

Ainsi, c’est pourquoi, aujourd’hui, j’ai envie de rendre grâce pour tous ces Jean-Baptiste rencontrés sur ma route.  Certes,  à notre époque, ils  ne sont plus nécessairement vêtus de poil de chameau avec une ceinture en cuir autour des reins. Cependant, il n’est pas difficile de les reconnaître. Ce sont toutes ces personnes qui, grâce à leur parole libre et franche nous ont fait sursauter.

Sous le coup de la résignation,  nous étions en train de nous assoupir,  mais elles vivantes et habitées par un goût d’ailleurs, nous ont ouvert les yeux.  Au lieu de nous redire ce que nous savions déjà, au lieu de nous conforter dans notre compréhension acquise de l’existence, elles ont fait le ménage dans l’encombrement de nos pensées. Elles ont ainsi  dégagé  la route,  nous rendant disponible pour que, où que nous en soyons arrivés dans l’existence, nous puissions entendre une parole d'évangile qui renouvelle notre existence. Grâce  à de telles paroles, nos vies usées et cabossées, ont beau avoir  100 ans, elle retrouve une fraîcheur de source.

Amen

Luc-Olivier Bosset