Frères et sœurs cette année nous allons découvrir plus en détail les récits du livre de la  Genèse du chapitre 4 au chapitre 11…

Pourquoi ce choix ? Tout simplement pour nous préparer à une pièce de théâtre que nous découvrirons ici même lors du temps forts de Pâques. Je n’en dis pas plus. Ceci dit, il est souvent profitable de retravailler des textes dits « mythiques » afin de voir s’ils ont toujours la même pertinence aujourd’hui.

Ce matin nous allons nous attarder sur deux versets seulement qui nous serviront d’introduction à cette série de prédications.

Mais avant d’aller plus  avant dans notre réflexion un petit rappel des trois chapitres qui précèdent et notamment le chapitre 3 de la Genèse.

Nous devons garder en mémoire certains enjeux du  beau récit du chapitre 3 car ils nous aideront à mieux comprendre cette histoire d’Abel et de Caïn.

Premièrement Genèse 3 nous décrit une humanité qui loupe complètement sa relation avec Dieu. Le Dieu biblique dès le récit de Genèse 3 perd le fil de la relation avec l’humanité qu’il a créée. Le récit constate que le  triple projet de  Dieu tombe à l’eau. Le Premier projet était de déployer une humanité en communion avec Lui. Le deuxième était d’offrir à cette humanité un cadre pour un bon vivre ensemble. Le troisième donnait à l’humanité une belle liberté et  responsabilité, celle de gérer correctement la création. Le récit de  Genèse 3 traduit le début de cette incompréhension entre Dieu et l’humain et cette incompréhension va s’accentuer dans les chapitres suivant.

Deuxièmement ce récit de Genèse 3 nous décrit un personnage étonnant : le fameux serpent qui parle, ce serpent est à l’initiative de certains désirs qui poussent l’humain sur des falaises escarpées. L’homme s’imagine, avec les yeux du serpent, comme un être sans limites, un être qui refuse d’intégrer sa fragilité, ses limites, sa finitude, bref sa réelle et indépassable humanité…

Troisièmement et c’est cet aspect là que nous allons développer ce matin.

Le disfonctionnement de la relation que le récit de Genèse 3 décrit entre l’être humain et Dieu va s’immiscer dans les relations entre le mari et la femme, la mère et l’enfant, le père et l’enfant, le frère et le  frère.

Les récits de la Genèse du chapitre  premier au chapitre onze nous décrivent l’extraordinaire pédagogie de Dieu  qui se lance à la reconquête du cœur humain.

 

Genèse 4, 1-2

L’homme connut Eve, sa femme. Elle devint enceinte et accoucha de Caïn. Elle dit : « j’ai mis au monde un homme avec l’aide de l’éternel. Elle accoucha encoure de son frère Abel. Abel devint berger de petit bétail et Caïn cultivateur »

 

Extrait de « la Bible Second »

 

 

mains-coupleA Le disfonctionnement de la relation

Ce matin nous allons donc nous attarder sur ces deux versets qui vont nous éclairer sur nos relations qui ne sont pas toujours simple dans nos propres familles…

Dans la bible pour exprimer qu’un homme couche avec une femme, il y a cette expression déjà repérée par beaucoup d’entre vous : « Adam connut Eve », mais il y a aussi  d’autres expressions possibles plus fréquemment usitées que la Bible utilise ailleurs. La Bible emploie deux autres termes « aller vers » et « coucher avec » pour signifier que deux êtres s’aiment et vivent un profond respect mutuel. L’expression « connaitre » dans le sens d’avoir une relation sexuelle  que choisit le narrateur indique clairement que la relation entre Adam et Eve est une relation avec un dominant et une dominée.  Le récit d’entrée de jeu nous décrit un disfonctionnement au niveau du couple humain. Le disfonctionnement de la  relation entre l’être humain et Dieu que nous décrit Genèse 3 ne s’arrête pas en si bon chemin puisque le récit laisse sous entendre qu’une certaine incompréhension entre les désirs de l’homme et ceux de la femme se mette en place.

 

B Un projet divin : renouer une saine relation

Je pense que nous devons bien saisir l’enjeu spirituel et théologique que sous entend ce  texte d’entrée de jeu. Les récits de Genèse 3 et 4 traduisent donc ce disfonctionnement de la relation entre Dieu et l’humain, mais aussi entre deux êtres très proches comme l’homme et la femme. Ces textes nous permettent de prendre conscience qu’une juste relation avec Dieu, lorsque celle-ci est apaisée,  ne peut être que profitable pour toute relation entre un homme et une femme, entre des parents et leurs enfants et entre tous les acteurs de la vie sociale. Le Dieu biblique est un Dieu qui en tant que Créateur, Sauveur, Seigneur s’offre à l’humain pour occuper le centre de sa vie. Lorsqu’il occupe ce centre relationnel en plein accord avec l’humanité qui l’accueille, il peut ainsi orienter, vivifier, tisser, apaiser, fortifier nos relations avec Lui, mais aussi nos relations intra humaines, sociales. Dit autrement, le Dieu juste en qui nous croyons,  nous encourage à  nous ajuster à lui afin de mieux nous ajuster aux autres et  à nous-mêmes. Ce dont il est question ici dans ce récit de Genèse 4 c’est de ce « désajustement », si je puis m’exprimer ainsi, entre l’humain et Dieu et par voie de conséquence entre le mari et l’épouse, entre la mère et l’enfant, le père et l’enfant, le frère et le frère

 

C Les disfonctionnement de la relation

Mais revenons au texte biblique qui nous a permis  déjà de discerner un premier disfonctionnement de la relation entre Adam et Eve. Un autre pointe le bout de son nez mais cette fois-ci, il apparait lors de la naissance de Caïn.

« Adam connut Eve sa femme et lorsque l’enfant arrive la femme dit j’ai mis au monde un homme avec l’aide de l’Eternel. »

Je ne sais pas comment vous entendez cette parole messieurs, mais moi je n’aurais pas du tout apprécié ce genre de paroles… En effet, cette parole d’Eve « j’ai mis au monde un homme avec l’aide de l’Eternel. » Nous annonce la disparition symbolique d’Adam qui perd, dans une phrase, sa place d’homme, un autre homme semble avoir pris de la place du mari dans le couple et c’est Caïn, et par la même occasion, Adam perd son rôle de géniteur. Ce n’est plus seulement Adam mais l’Eternel qui dans la bouche d’Eve a agi…Ce qui s’appelle en langage courant : faire à son mari un enfant dans le dos !

Au delà de la galéjade, le texte biblique met en évidence deux difficultés relationnelles possibles dans la vie d’un couple et au sein d’une famille qui se construit.

Ces deux difficultés relationnelles possibles sont traduites et décrites premièrement par une prise de pouvoir, par la force par Adam, (nous l’avons signalé par le choix du verbe connaitre) et en réponse à cette prise violente d’Adam sur Eve, une disparition symbolique de la  paternité d’Adam voit le jour dans le langage d’Eve. « Il l’a bien cherché » pensent peut être certains d’entre vous….L’homme veut dominer et être respecté par la force qu’il incarne, la femme veut régner par le lien qu’elle tisse avec l’enfant. Et c’est elle, qui par sa parole fait exister ou non le père géniteur... Nous pourrions dire ici qu’Adam et Eve manquent le but de toute véritable relation entre deux êtres. Les deux manquent le but, mais c’est involontaire de leur part. Le récit ne donne aucune prise au jugement, ne l’oublions pas. Il décrit, d’une manière lapidaire, une réalité qui semble dépasser Adam et Eve.

Donc, dés le premier verset du récit de  Genèse 4 le rédacteur nous dit : « c’est mal barré… » Une précision importante, cette interprétation que je vous propose ce matin n’est pas le fruit de mon invention mais elle s’inspire du théologien suisse Andrée Wénin….Et, ma foi,  je la  trouve fort intéressante, car elle nous permet d’entendre différemment le début de ce chapitre 4. Et cela nous aidera d’ailleurs à entendre autrement la fameuse injustice qui vient juste après lorsque Caïn et Abel font une offrande à Dieu. Nous verrons cela lors d’une prochaine prédication. Aujourd’hui nous nous attardons sur des relations qui n’arrivent pas à se nouer, à se croiser, à s’enrichir mutuellement et cela ne peut que nous parler encore aujourd’hui.

femme-bebe« J’ai mis au monde un homme avec l’aide de l’Eternel » dit Eve.  Nous pouvons, il est vrai, entendre cette parole d’Eve comme une reconnaissance qu’elle adresse à Dieu et, ce faisant, Eve nous rappelle que ce que sommes nous le devons à Dieu. Mais le texte est construit de telle façon qu’il nous oblige à interroger cette manière de parler d’Eve qui, telle une héroïne du monde grec, semble s’accoupler avec un Dieu pour enfanter une sorte de demi-Dieu à ses propres yeux…. Eve semble s’approprier l’Eternel en  l’associant à la naissance de Caïn…Le texte, l’air de rien, nous rappelle que parfois  notre humanité est pétrie par certains désirs inavouables…

Nous venons donc de souligner trois disfonctionnements de la relation : le premier s’est attardé sur la domination d’Adam sur Eve, le second sur la manière dont Eve évacue Adam de son rôle de géniteur, de père et  le troisième sur une humanité qui tente de s’approprier Dieu en vain. Il nous reste à en découvrir deux autres qui vont nous permettre d’interroger plus finement les liens que nous tissons avec nos parents, avec nos enfants et vice versa…

Eve décrit son premier enfant comme un homme, son homme. « Caïn nous dit Le professeur Wenin est mal posé dans l’existence (…) Le narrateur suggère d’entrée que la violence précède Caïn… », Nous dit le théologien suisse. Nous retiendrons de ce commentaire que le discours d’Eve par rapport à Caïn, place cet enfant, devenu adulte, dans un positionnement familial impossible à tenir, qu’il ne pourra assumer….Ici se pose la question de la place que chacun occupe dans sa propre famille. Place que l’on nous a imposé, place que nous avons prise, place que l’on nous a refusée…L’air de rien ce texte de Genèse 4 nous encourage à revisiter les places que nous avons occupé ou la place que nous occupons aujourd’hui…Il est important de revisiter cette place que nous occupons à la lumière de l’évangile, sous l’éclairage de l’Esprit saint seul à même de nous repositionner correctement, si nous sommes mal positionnés…

Le dernier disfonctionnement de la relation apparait dans cette absence de tout commentaire lors de la naissance d’Abel. «  Elle accoucha encore de son frère Abel » dit sommairement le texte biblique.  Nous savons tous qu’il y a parfois entre les parents et les enfants des liens qui sont trop fusionnels ou trop distants et ceci peut être un obstacle pour l’épanouissement de l’enfant. Ici, le texte nous décrit une double injustice d’Eve vis-à-vis de ses fils : « un excès d’amour pour Caïn, et un défaut de considération pour Abel » nous rappelle le professeur Wenin. L’injustice avait déjà frappé Eve dans sa relation avec Adam, elle continue ici sont œuvre de chaos au sein de la famille.

 

1 Le projet divin

Au chœur de ce chaos qui s’annonce et qui s’achèvera avec le déluge, le narrateur nous décrit donc un Dieu qui cherche à rester en lien avec  l’humanité…Ce Dieu là, va bientôt s’approcher de Caïn et d’Abel, peut être l’écouteront-ils mieux qu’Eve et Adam ? Dieu est réellement partie à la reconquête du cœur humain…

Le Dieu juste en qui nous croyons, avions nous dit, il y a peu,   nous encourage donc à  nous ajuster à lui afin de mieux nous ajuster aux autres et  à nous-mêmes. Mais comme Dieu n’est plus au centre de la vie des hommes car il a été expulsé de ce centre par l’humanité elle même…Dieu est devenu comme un étranger pour l’humanité. Malgré le fait que notre humanité ne soit plus en mesure de le reconnaitre, de lui offrir sa vie, cet Etranger va continuer à l’accompagner malgré tout. Il y mettra le temps nécessaire.

En effet, une réponse va venir  d’un homme appelé Jésus qui touchera par ses paroles, ses actes, sa vie beaucoup de personnes. Jésus vous le savez il ne laissait personne indifférent beaucoup le suivaient. Alors il se retourna et leurs dit une parole terrible. Cette parole terrible que je vais vous dire,  vient éclairer étonnamment ce texte de Genèse 4 que nous méditons ce matin. Cette parole va  nous aider, je l’espère,  à mieux comprendre cette incompréhension qu’il existe entre l’homme et la femme, entre des parents et leurs enfants…

Voici cette parole du Christ « Si quelqu’un vient à moi et s’il ne hait pas son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et ses sœurs et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple ». Si cette parole n’est pas un uppercut, je descends de la chaire et je vais faire une sieste !

 

2  La révolution culturelle de Jésus

Le Christ s’adresse, nous ne l’oublions pas à tous ceux et celles qui veulent le suivre. L’obstacle à cette « suivance » ce sont les pères, mères, épouses, époux, enfants, frères et sœurs et nous même. Vous avez remarqué aussi que Jésus souligne les différents rôles et places qu’il y a dans une famille. Il y a le rôle du Père, de la  mère, de l’épouse, des enfants, des frères et des sœurs et de nous même. Il demande donc tout simplement à ceux qui le suivent de réfléchir à ces liens qui leurs ont permis d’être ce qu’ils sont. Ici se joue quelque chose à la fois de subtil et de profond lorsque nous mettons en tension le texte de Genèse 4 et celui de l’Evangile selon Luc.

Ce qui est subtil c’est que cette parole du Christ rejoint ce que nous venons de découvrir dans le récit de Genèse 4 (Nous sommes pétris par de multiples disfonctionnements de  la relation)

Ce qui est profond c’est le fait de prendre conscience que tous ces dysfonctionnements de la relation que nous avons reçu, que nous avons entretenus sans le savoir bien souvent, nous devons les haïr au sens fort du terme.

Haïr sa propre vie  c’est donc tourner le dos à cet individu que je suis qui n’a confiance qu’en ses seules forces et qui ne pense pouvoir s’en sortir que tout seul, sans l’aide de personne. Suivre Jésus Christ c’est construire sa propre vie sur les paroles d’amour et de grâce qu’Il nous délivre jour après jour. C’est donner du poids à sa parole et en vivre. C’est lui laisser le centre de notre vie. C’est être alimenté par sa vie qui est au centre de la nôtre, c’est s’ajuster à sa parole

Ce qu’il est, à mes yeux, important de comprendre et de retenir de la   réflexion de ce matin, c’est qu’il y a des liens à abandonner au plus intime de nous-mêmes et dans le même mouvement  d’autres à accueillir qui viennent de Dieu et de ses témoins.

Amen.

Jean-Pierre Julian