« Éternel, notre Seigneur, que ton nom est magnifique sur toute la terre ! Ta majesté domine le ciel. Par la bouche des enfants et des nourrissons, tu as fondé ta gloire pour confondre tes adversaires, pour réduire au silence l'ennemi, l'homme avide de vengeance. Quand je contemple le ciel, œuvre de tes mains, la lune et les étoiles que tu y as placées, je dis : « Qu'est-ce que l'Homme, pour que tu te souviennes de lui, et le fils de l'homme, pour que tu prennes soin de lui ? » Tu l'as fait de peu inférieur à Dieu et tu l'as couronné de gloire et d'honneur. Tu lui as donné la domination sur ce que tes mains ont fait, tu as tout mis sous ses pieds, les brebis comme les boeufs, et même les animaux sauvages, les oiseaux du ciel et les poissons de la mer, tout ce qui parcourt les sentiers des mers.
Éternel, notre Seigneur, que ton nom est magnifique sur toute la terre ! »

Psaume 8, 2-10 (extrait du Segond 21) - un psaume de David

druppels jw2Chers frères et sœurs, la question du psalmiste est particulièrement pertinente : qu'est-ce que l'Homme pour que Dieu s'en souvienne et qu'il prenne soin de lui ? Il y a suffisamment de raison de désespérer de l'Homme, il y a suffisamment de raison pour en être totalement écœuré. Les temps sont cauchemardesques, l'horreur ajoute à l'horreur. Cette accumulation d'actes terroristes qui viennent s'ajouter à la banalité du mal qui venait remplir les colonnes des faits divers, ce sentiment d'impuissance face à une violence aveugle, imprévisible, qui peut toucher tout le monde et donc nous toucher, autrement dit une violence qui semble sans limite avec, pour certains, l'impression qu'il y a une gradation symbolique de cette violence, tout cela concourt à nous faire redouter l'avenir, tout cela concourt à nous plonger dans l'inquiétude pour les uns, dans la terreur pour d'autres, dans une forme d'angoisse pour beaucoup.

1. Anthropologie sombre
À vrai dire, rien de bien neuf pour le lecteur de la Bible et pour le lecteur des réformateurs Martin Luther et Jean Calvin qui n'avaient pas de l'être humain une vision particulièrement joyeuse. Le constat est que tout se dégrade si on ne les entretient pas : les choses, les personnes, les relations s'abîment si on n'en prend pas soin. Sans intervention, la pente naturelle est le chaos, le désordre, ce que les scientifiques appellent l'entropie. Les textes bibliques ne prétendent pas que l'être humain serait mauvais pas nature, mais ils constatent que les êtres humains sont capables du pire lorsqu'ils ne sont pas animés par autre chose que le cours naturel du monde. C'est cela que les réformateurs indiquaient en parlant de l'Homme pêcheur. À ce sujet, nous pouvons avoir en tête les mots de Calvin qui écrivait dans une prière : «  incapables par nous-mêmes de faire le bien, nous transgressons tous les jours et de plusieurs manières tes saints commandements ».

Le constat des auteurs bibliques, qui sera repris par les réformateurs, c'est que le mal, le malheur et même la mort vont de soi. La violence est on ne peut plus naturelle. C'est à cela que les auteurs bibliques ont voulu nous préparer en mettant en scène la violence dès le début du récit biblique et en décrivant par le menu toutes les exactions, toutes les horreurs dont nous sommes capables. Peut-être les lecteurs de la Bible font-ils partie de ceux qui résistent le mieux au désespoir que peut créer le mal et le spectacle de la barbarie, parce qu'ils savent que cela est possible, que cela est tapi au cœur même de l'humanité et que le mal peut nous sauter au visage. Sans y être habitué, sans y être insensibles, surtout, les lecteurs de la Bible peuvent ne pas être submergés par des sentiments tels que la sidération ; ils peuvent ne pas être médusés par une actualité inhumaine.

2. L'esthétique du mal
Le rédacteur du psaume 8, quant à lui, va plus loin, en posant un regard à la fois lucide « qu'est-ce que l'Homme pour que tu en prennes soin ? » rappelle que l'Homme peut être un moins que rien, et un regard particulièrement bienveillant puisqu'il écrit qu'il a été couronné de gloire et d'honneur par Dieu lui-même. Les deux vont ensemble. Cela s'explique par le fait que le mal et le malheur souligne le bien dont est aussi capable l'humanité. C'est ce qu'on appelle l'esthétique du mal : le mal peut mettre en évidence des comportements particulièrement remarquables par leur bonté, leur altruisme, par le sens de la justice qui les porte. Les actes terroristes provoquent cela en France. Nous avions connu en novembre dernier des situations particulièrement étonnantes une fois remises dans leur contexte, par exemple les « ultras » -les supporters marseillais particulièrement anti-parisiens- tendre une banderole « nous sommes parisiens » ou encore les anglais faisant retentir la marseillaise dans leurs stades. Cela se poursuit de nos jours au profit de la communauté catholique qui bénéficie non seulement de notre soutien fraternel, mais aussi du témoignage de solidarité de l'ensemble de la communauté nationale. De la même manière que le meurtre de caricaturistes ou de fonctionnaires de police ou d'anonymes a mis en évidence le lien fraternel qui nous liait à eux, l'assassinat de l'abbé Hamel et le sentiment d'être nous-mêmes attaqués, révèle la communion profonde qui nous lie les uns aux autres. À la limite, nous pourrions dire que nous avons eu particulièrement conscience de notre identité, de ce à quoi nous sommes particulièrement attachés en matière d'art de vivre, que nous avons été attaqués sur ces aspects là à travers les massacres de nos frères et sœurs. Le mal met en évidence le bien qui nous anime, le bien qui nous mobilise, le bien qui est notre raison d'être.

Curieusement, le psaume dit que c'est par la bouche des enfants que Dieu peut confondre les adversaires et réduire l'ennemi au silence. Cela n'est pas à comprendre comme la nécessite d'une vision naïve du monde ou un sourire d'enfant suffirait à désarmer les plus cruels. Nous savons très bien que les terroristes auxquels nous avons affaire ne sont absolument pas sensibles à la fragilité, à la beauté, et encore moins à la justice ni même à la vie. Leur haine est plus forte que toute autre considération. C'est pourtant l'attitude des enfants qui est convoquée dans ce psaume, probablement pour nous rendre attentifs au fait que nous ferions bien de faire face à la manière des enfants qui ont un rapport non conventionnel aux personnes, qui ne s'encombrent pas des préjugés que nous pouvons avoir.

3. Théologie de la grâce
Le psaume 8 ne se résigne pas au constat du mal et prend le contre-pied du désespoir par une théologie de la grâce que nous pouvons examiner. En disant que Dieu prend soin de l'homme, qu'il le visite, le psaume affirme la possibilité de contrarier le mal latent ; il affirme la possibilité d'injecter du bien, du beau, du vivable, de la joie, dans l'histoire humaine.


paqadLe bien ne va pas de soi, il est le fruit d'une passion pour la vie qui s'incarne dans des paroles, dans un comportement -une éthique- qui introduisent un ordre vital dans l'histoire. Le psaume ne voile pas le réel, mais, au contraire, met en lumière ce qui fait notre univers. Il révèle que la rédemption de l'homme est possible, que l'humanité n'est pas condamnée à se dégrader et à disparaître dans la nuit du chaos. Il est possible d'arracher l'Homme à ses inclinations morbides ; il est possible de le visiter et de prendre soin des uns et des autres pour leur rendre un visage humain.
Il est intéressant de noter que le verbe hébreu qui est traduit par « prendre soin » est le verbe PaQaD (??????) qui est également employé dans le décalogue en Ex 20/5 lorsqu'il est question de la faute de ceux qui haïssent Dieu. Il est écrit que Dieu va visiter les pères et leurs fils pendant trois générations lorsqu'il y a faute de leur part. Dans le texte hébreu il n'est pas question de punir les pères et les générations suivantes, mais de les visiter, pour prendre soin d'eux, pour les aimer, pour les guérir de leur haine et, lorsque le cas se présente, pour les guérir de leur désir de vengeance.

Wilfred-MonodQu'est-ce que l'Homme pour que l'Éternel s'en souvienne et prenne soin de lui ? C'est cet être d'une dignité infinie pour lequel aucune résignation n'est légitime. C'est l'être qu'il est toujours possible de sauver du chaos, c'est-à-dire du non-sens et de ses pulsions de mort. Le psaume nous révèle, par la même occasion, ce que Dieu désigne. Nous pouvons le dire en reprenant les mots de Wilfred Monod (image à droite) qui écrivait : « j'appelle Dieu l'effort, partout manifesté, pour transformer la réalité. C'est un effort intelligent, moral, douloureux, sans cesse contrecarré, mais dont les progrès s'affirment de plus en plus ».

Le psaume 8 nous rappelle que nous sommes équipés pour endiguer la déferlante du désespoir ; nous sommes équipés pour enrayer la mécanique du bouc émissaire et de la violence collective ; nous sommes équipés pour résister à la tentation d'endosser les habits du barbare. Et, mieux que cela, nous sommes équipés pour prendre soin des victimes et des bourreaux ; nous sommes équipés pour chercher et sauver ceux qui se sentent perdus ; nous sommes équipés pour incarner la puissance de rédemption manifestée par le Christ Jésus.

Avec la lucidité des adultes, mais aussi avec la disponibilité de l'esprit d'enfant, nous sommes en mesure de dominer le monde animal qui vit du rapport de force ; nous sommes en mesure de dominer nos pulsions animales qui réclament le sang d'autrui lorsqu'on a fait couler notre propre sang ; nous sommes capables d'agir contre nature, de proposer une alternative à la loi du plus fort ; nous sommes capables de dompter nos pulsions assassines ; nous sommes capables de faire valoir la fermeté sans sacrifier à notre sens de la justice et de la miséricorde. Nous sommes capables de faire retentir la louange de l'Éternel, le Dieu qui crée les conditions d'un monde vivable pour tous sur les décombres mêmes de nos chaos personnels.
Amen

James Woody, 31 juillet 2016, Temple de la Rue Maguelone à Montpellier