Jésus partit de là et se retira dans le territoire de Tyr et de Sidon. Alors une femme cananéenne qui venait de cette région lui cria : « Aie pitié de moi, Seigneur, Fils de David! Ma fille est cruellement tourmentée par un démon. » Il ne lui répondit pas un mot ; ses disciples s'approchèrent et lui demandèrent : « Renvoie-la, car elle crie derrière nous. » Il répondit : « Je n'ai été envoyé qu'aux brebis perdues de la communauté d'Israël. » Mais elle vint se prosterner devant lui et dit : « Seigneur, secours-moi!» Il répondit: « Il n'est pas bien de prendre le pain des enfants et de le jeter aux petits chiens. » « Oui, Seigneur, dit-elle, mais les petits chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leurs maîtres. »  Alors Jésus lui dit: « Femme, ta foi est grande. Sois traitée conformément à ton désir. » A partir de ce moment, sa fille fut guérie.

Matthieu 15/21-28 (extrait du Segond 21)

(La prédication peut être écoutée en suivant ce lien : https://soundcloud.com/user-799080697/la-foi-nest-pas-faite-pour-le-musee)

culte rentree2016Chers frères et sœurs, la foi chrétienne n’est pas faite pour le musée. Chers catéchumènes, peut-être vous aura-t-on dit que l’instruction religieuse était indispensable pour comprendre la culture. Peut-être vous aura-t-on vendu la catéchèse en vous disant que c’est important pour savoir ce que représentent les tableaux de Rembrandt ou pour reconnaître le personnage que l’on voit en statue avec des clefs à la main. Mais la foi chrétienne, elle, n’est pas faite pour le musée, pas plus qu’elle n’est destinée à vous faire gagner au trivial pursuit en vous expliquant la raison pour laquelle Jean-Sebastien Bach a intitulé certaines pièces musicales « Passion ». Même si vous approfondissez votre foi et que, chemin faisant, vous vous rendez compte que le peintre Bazille est celui qui a fourni la couverture du dictionnaire biographique des protestants, la foi n’est pas faite pour les musées. C’est ce que nous révèle cet épisode biblique. La foi que le Christ met ici en évidence a deux caractéristiques qui dépassent largement cette idée selon laquelle la foi permet de comprendre la culture. Elle nous permet d’être attirés vers ce qui est à venir d’une part, elle nous permet d’entretenir un rapport vivant à ceux qui sont autour de nous, d’autre part.

  1. La foi nous laisse être attirés vers l’avenir

Quand Jésus note que la femme qu’il rencontre a une grande foi, ce n’est pas après l’avoir soumise à un interrogatoire catéchétique. Nous ne savons pas si la femme croit en un Dieu trinitaire ou non. Nous ignorons si elle pense qu’il y a un péché originel, ou qu’Adam et Eve ont été des personnages historiques. Nous ne savons pas si elle va régulièrement à l’office. Nous ne le savons pas, mais, tout comme Jésus, nous pouvons l’imaginer pour la bonne et simple raison que cette femme est une étrangère qui n’a pas eu l’instruction juive qui lui aurait permise d’aborder ces différentes questions. Tous ces points de catéchisme sont tout simplement des sujets qu’elle ignore complètement, qui n’ont aucun sens pour elle. C’est pourtant de cette femme que Jésus dit : voilà une foi qui est grande. Il n’aura jamais de mots aussi délicats pour ses disciples qu’il qualifiera plutôt d’oligopistoi –d’hommes de peu de foi.

Ainsi, Jésus dit de cette femme qu’elle a une grande foi alors que son savoir en matière de religion est extrêmement faible voire nul. Pire, c’est une étrangère dont la réputation est d’adorer des faux dieux. Bref, cette femme dont Jésus trouve la foi remarquable, est une mécréante. C’est une mécréante si nous considérons qu’une grande foi consiste à savoir une grande liste de choses, ou, mieux, à savoir une grande liste de choses… incroyables. Mais dans la perspective de Jésus, la foi ne se résume pas à cela. Jésus peut dire de cette femme qu’elle a une grande foi sans que celle-ci fasse un exposé, sans qu’elle réponde à un questionnaire, sans qu’elle présente une lettre de recommandation de son pasteur. La foi de cette femme se repère autrement parce que la foi est bien autre chose que notre capacité à savoir ou à croire une liste de choses. Pour Jésus, manifestement, la foi c’est notre capacité à être attiré par ce qui est à venir. C’est cela que manifeste cette étrangère. En insistant auprès de Jésus qui vient pourtant de lui expliquer qu’il a mieux à faire que de s’occuper d’elle, elle témoigne d’un rapport d’intensité à la vie. Elle exprime du désir et de la confiance dans le fait que ce désir pourrait devenir réalité. Elle est chargée d’espérance.

Cet épisode biblique atteste que la foi qui plaît au Christ n’a pas de rapport avec l’éventuelle possibilité de réciter la Bible par cœur, quitte à ne pas comprendre ce qu’elle raconte. Cet épisode atteste que la foi ne s’évalue pas à la capacité d’énumérer dans l’ordre les titres des dossiers du mensuel Evangile et liberté. La foi chrétienne que nous repérons ici, c’est notre désir. C’est notre capacité à adhérer à un projet, c’est le fait que nous soyons saisis par un sujet qui est capital pour nous : un sujet pour lequel nous voulons dépenser notre énergie, notre temps, notre créativité.

Nous constatons que la religion ne consiste pas à rendre visite aux grands édifices religieux, que ce soient des temples, que ce soient la Bible, que ce soient les grands rites, et à les vénérer avec une dévotion aveugle ou avec le respect dû aux vestiges des grandes heures des civilisations. La religion, dans le cas présent, c’est l’apprentissage du désir de sauver ce qui est perdu. C’est l’apprentissage du désir de porter plus loin son espérance. La religion c’est notre capacité à transcender les situations présentes pour leur donner un éclat réjouissant ou, tout simplement, pour les rendre plus vivables.

  1. La foi, rapport vivant à autrui

IMG 4171La foi désigne donc notre capacité à être attiré par ce qui est à venir. C’est également un rapport dynamique aux autres. Cela nous l’observons avec Jésus qui commence fort en traitant la femme de chienne, ni plus ni moins. En considérant la grandeur de la foi de la femme au terme de leur rencontre, Jésus témoigne de sa capacité à évoluer, à changer son regard sur les personnes. Le dialogue entre Jésus est la femme va être l’occasion de bien des transgressions, à commencer par la frontière qui séparait les fils d’Israël du reste du monde. La première réaction de Jésus est symptomatique d’une vision nationaliste de sa mission. Plus qu’une préférence nationale Jésus semble aller du côté d’un exclusivisme : ce n’est même pas « les fils d’Israël d’abord », mais « les fils d’Israël seulement ».

Mais Jésus ne s’en tient pas là. Il va finir par accueillir l’étrangeté radicale de cette femme dans son propre horizon et lui faire une place au sein de l’humanité vers laquelle il est appelé. Ce qui est remarquable, ce n’est ni la posture initiale de Jésus qui est très sectaire, ni la posture d’arrivée qui est autrement plus universaliste. Ce qui est remarquable c’est que Jésus évolue ; son regard change ; son horizon s’élargit. Il ne reste pas enfermé dans une représentation définitive de son interlocutrice. Jésus ne s’en tient pas à une définition parce qu’il découvre, avec le désir de cette femme qui vient le bousculer, le caractère infini de l’identité de la personne qui se tient devant lui. L’identité d’un être dépasse toujours les définitions dans lesquelles nous pouvons essayer de l’enfermer. Jésus est donc sensible au caractère infini de la personne. Et c’est en ce sens que Jésus est Christ : il est pleinement capable de transgresser les définitions qui enferment la vie ; il est pleinement capable de réformer sa propre opinion en la confrontant au réel. Ce parcours intérieur de Jésus nous indique ce qu’est être humain. Jésus ne reste pas figé sur une conception du peuple de Dieu. Au fil de la rencontre, il progresse vers une compréhension plus profonde de ce qu’est la maison d’Israël et, ce faisant, il progresse dans sa compréhension du Dieu d’Israël. Dieu n’est pas, pour Jésus, un concept figé, mais ce qui permet de cheminer personnellement vers une compréhension plus juste de ce qu’est l’humain. Celle qui se tient devant lui n’est plus à ranger au rayon des chiens, des crouilles, des jaunes, ou de la racaille. Elle n’est tout simplement plus à ranger dans une sous-catégorie. Elle excède. Ca déborde de tous les côtés. Et c’est cela vie. La foi de la femme, son désir ardent, a dérangé les schémas de Jésus. Elle est désormais libérée des stéréotypes. Elle n’est plus une femme cananéenne venue des contrées étrangères. Jésus s’adresse à elle en lui disant « ô femme». Elle n’est plus soumise au dédain. Elle n’est plus sous la puissance du mépris. Elle est libérée de son infériorité, de la puissance d’écrasement que peut provoquer le sentiment d’indignité ou d’étrangeté. Etant libérée, sa fille pourra elle-même échapper aux puissances qui entravent, qui font courber l’échine, qui font raser les murs, qui empêchent de vivre. Elle aussi pourra devenir femme, rien qu’une femme, mais pleinement une femme.

IMG 4194Du côté de Jésus, cela indique qu’il a été interloqué ; il a été ému c’est-à-dire mis en mouvement. Il n’est pas resté sur sa compréhension initiale de ce qu’est sa vocation personnelle et de celui qui est celui qui se tient là. Son dialogue avec la femme l’a transformé. C’est cela que la foi rend possible. Se laisser émouvoir. Se laisser transformer au contact d’un désir de vie. Le pasteur Martin Luther King n’avait pas spécialement envie de se lancer dans le combat des droits civiques américains. Ce sont des membres de sa communauté qui lui ont fait réaliser que sa vocation ne pouvait se restreindre à l’aumônerie de sa paroisse.

Les fils du réformateur Martin Luther que nous sommes, peuvent considérer qu’il n’est pas bon de jeter leur pain quotidien aux petits chiens. Nous pouvons considérer que la grâce d’être appelés au bonheur nous est réservée. Mais nous pouvons aussi évoluer en nous laissant christianiser par l’Evangile et réaliser que le bonheur est l’espérance commune à tous ceux qui peuplent notre monde. Nous pouvons considérer que la Réforme religieuse qui consiste à sortir de l’obscurantisme, qui consiste à maintenir le cerveau branché quand nous parlons de religion, est à mettre à la disposition de tous. Nous pouvons considérer qu’il n’est pas question de garder jalousement notre essentiel. Célébrer les 500 ans du geste réformateur de Luther, peut être autre chose que le souvenir du refus du christianisme de l’époque et autre chose qu’une mauvaise occasion de retrouver un peu du poil de la bête en ravivant des tensions avec l’Église catholique. Célébrer les 500 ans de la Réforme protestante, ce peut être l’occasion de célébrer ce qui nous rend profondément humain, ce qui ouvre notre regard, ce qui élargit notre horizon, à la manière de Jésus, et le célébrer avec celles et ceux que cette perspective attire. Nous serons alors en bonne compagnie avec les héros de notre foi et avec celles et ceux qui œuvrent de nos jours pour que la vie ne soit pas étriquée dans des idéologies de l’entre-soi, dans le fantasme de la pureté, ou dans les délires de la toute-puissance.

IMG 4209Alors, moi aussi je me prends à désirer, comme cette femme cananéenne –moi qui suis encore comme un estranger. Je me dis qu’il serait bon que nous reprenions pour notre Église l’affirmation que le pasteur Charles Wagner avait choisie pour le Foyer de l’Âme à Paris : « ici on enseigne l’humanité ». J’aimerais que les habitants de notre métropole sachent qu’en venant chez nous, l’horizon s’élargira, pour eux, et pour nous. Qu’ils sachent que leur désir de vivre et d’encourager la vie s’intensifiera. J’aimerais qu’on sache qu’en entrant dans l’une de nos communautés, nul ne sera l’hôte d’une communauté étroite, mais un frère, une sœur, dont l’espérance sera élargie selon la démesure dont la foi chrétienne nous rend capable – cette foi qui intuitionne l’infini. J’aimerais qu’on sache qu’il y a, notamment ici, des écoles de la vie où nous pouvons apprendre à relire nos opinions à la lumière d’autres expériences, à la lumière de textes symboliques qui nous ouvrent à la dimension non matérielle de l’existence, ce qui nous permet, ensemble, de forger des convictions. J’aimerais qu’on sache qu’il est possible de mettre en corrélation notre patrimoine riche de plusieurs siècles pendant lesquels la foi a été pensée, avec notre expérience quotidienne, avec nos joies et nos peines, avec nos projets et nos inquiétudes, avec nos élans et nos difficultés. Un lieu pour vivre, un lieu pour grandir en humanité. J’aimerais qu’on sache qu’il est possible de conjuguer notre vision des choses à la vision de nos frères et sœurs en humanité pour élargir notre horizon, pour lui donner une profondeur inattendue. J’aimerais qu’on sache que la foi n’est pas faite seulement pour les musées, mais qu’elle est faite pour s’épanouir en toute liberté.

Amen

 

James Woody, Temple de la Rue Maguelone, Montpellier (18-9-2016, culte de rentrée 2016)

Photos prises lors de l'après-midi de rentrée de l'EPUMA à la Gerbe