Aujourd’hui, nous sommes à un point de bascule. Le changement climatique met en question notre manière de vivre : nourriture, agriculture, transport, monnaie, finance,... Or, autour de nous d’autres solutions existent ! Nous sommes donc partis à la rencontre de porteurs d’initiatives généreuses et solidaires qui font basculer le monde vers demain !

demain cournonterralAlors que le film « DEMAIN » nous interpelle de manière positive sur nos choix de vie, alors que nous voyons ce qui est possible de faire, alors que ce film et ces initiatives nous donnent envie d’entrer à notre tour dans cette volonté dynamique d’adopter d’autres modes de vie qui ne détruisent pas la planète, à quoi être attentif pour que le moteur de nos convictions ne se grippe pas face aux difficultés, l’échec… ? Pour que nos décisions ne soient pas sans lendemains, Elian CUVILLIER, professeur à l’Institut Protestant de théologie de Montpellier, nous livre ici une réflexion qui aide à concrétiser nos espérances en prenant des décisions enthousiastes et lucides…

L’heure est aujourd’hui à la peur. Une peur qui prend deux formes bien différentes : climatique et écologique d’un côté, terroriste de l’autre. Sans doute cette peur est elle amplifiée par le fait que plus aucun idéal (chrétien, marxiste ou humaniste) ne semble désormais capable de nous projeter vers l’avenir, de nous donner de rêver, d’espérer. En somme, seule la peur de la fin du monde — comme au Moyen Âge — nous pousse à agir !

S’ajoute à cela, le fait que nous avons modifié notre rapport aux structures de pouvoir et d’autorité. Autrefois nous fonctionnions de façon « verticale » : d’autres décidaient pour nous (l’État, l’Eglise, le parti, la famille…) et nous exécutions les ordres ou refusions de les exécuter acceptant alors d’en payer le prix. Aujourd’hui nous fonctionnons de façon horizontale : chacun veut, croit ou doit décider pour lui-même : l’État est impuissant, l’Eglise n’a plus le poids d’autrefois sur les consciences, le « parti » est mort, la famille patriarcale aussi. C’est ainsi et il ne s’agit pas de le regretter.  C’est en effet une plus grande liberté qui nous est offerte. Mais c’est aussi une plus grande responsabilité, un plus grand poids sur nos fragiles épaules. Donc une plus grande solitude, et, peut-être, une plus grande angoisse. L’humain est seul face à lui-même et aux autres ! C’est cela que certains appellent la « modernité liquide ». Plus rien de solide sur quoi s’appuyer ou à quoi obéir, sinon des prévisions et des statistiques d’un côté, des injonctions et des menaces de l’autre. Chacun est seul face à sa propre responsabilité. Avec la peur que non seulement le monde mais nous-mêmes nous trouvions en quelque sorte « liquidés ». D’où, la montée des fondamentalismes et des extrémismes de tout bord qui tentent le retour à des solutions « solides », toutes faites, verrouillées, incontestables et contraignantes, et dont l’histoire ne cesse de nous rappeler qu’elle sont non seulement illusoires mais encore dangereuses.

De ces deux peurs dont je parlais au début, la peur écologique est sans doute la plus insidieuse. Moins violente que la peur terroriste, nous la vivons cependant tous les jours dans les embouteillages sources de pollution, les dérèglements climatiques, les avertissements incessants des médias sur l’état de la planète, l’exigence répétée a satiété de recyclage et de développement durable, la culpabilisation constante de comportements jugés irresponsables.

Il faut agir et vite, prendre des décisions radicales, ne cesse-t-on de nous dire. Et le film « Demain » nous apprend que certains le font déjà, et c’est tant mieux. D’une certaine manière nous le faisons aussi tous et tous les jours, à notre modeste niveau. Mais, même nos décisions en apparence les plus responsables sont prises dans l’ambiguïté du système libéral au sein duquel nous évoluons. Ainsi lorsque je décide de rouler dans une voiture hybride ou électrique : suis-je réellement « éco-responsable » ou ne suis-je pas le serviteur consentant du monopole capitaliste que représentent les grands constructeurs de voitures ? La question mérite au moins d’être posée. Et je pourrais multiplier les exemples.

Que faire alors me direz-vous, s’il est vrai que nos décisions sont toujours prises dans l’ambiguïté du système productiviste (une forme d’autorité verticale qui remplace celles d’hier, l’Etat, l’Eglise le parti et la famille) ? S’il est vrai que nous sommes décidés (c’est-à-dire pris dans des enjeux qui nous dépassent) alors même que nous croyons décider de façon autonome, comment réagir ?

Et bien, je dirai d’abord ceci : s’il est vrai que nous sommes décidés par un système qui nous dépasse autant que nous nous décidons nous-mêmes, alors agissons en regardant en face ce qui décide en nous, avec lucidité, humour et esprit critique. Notre engagement pour l’écologie n’en sera pas moins fort mais il sera, non pas secondaire mais « second ».

Car ce qui est premier c’est-à-dire essentiel, c’est de savoir que nous ne sommes pas réductibles à ce qui nous décide ou décide pour nous. Ce qui est premier c’est que nous ne sommes pas réductibles à nos décisions toujours prises dans l’ambiguïté de l’existence. Voilà une première façon d’être libre vis-à-vis des pouvoirs à l’œuvre dans ce monde, dont le pouvoir économique est aujourd’hui sans doute le plus présent jusque dans nos engagements écologiques. Cette lucidité critique nous permettra de mettre toujours l’humain à la première place.

Secondement, n’oublions pas que demain sera, quoi qu’on dise, différent de ce que nous imaginons ou de que l’on nous promet ou dont l’on nous menace. Le futur n’est jamais écrit à l’avance. Il n’a pas de direction particulière. Il est, par définition, ouvert à l’inattendu. Or c’est dans cet écart entre ce qui est prévu ou attendu et ce qui adviendra et dont nous ignorons tout, que se situe la possibilité de vivre, de déployer notre imagination créatrice, donc de décider d’être !

Au fond, le risque ce n’est pas que des gens agissent dans un sens différent du notre, le risque n’est pas même que quelque chose décide en nous (il y a toujours quelque chose qui décide en nous, à notre insu). Le risque consiste à penser qu’il suffit de se soumettre à des impératifs techniques, économiques, idéologiques voire écologiques pour que les choses aillent dans le « bon » sens ! N’oublions jamais qu’en cette affaire, c’est de l’humain dont il est question. Or l’humain échappe toujours aux prévisions, aux menaces et aux injonctions culpabilisatrices.

Et ceci est une bonne nouvelle susceptible d’apaiser nos craintes et de donner à nos décisions une saveur différente : celle d’un engagement résolu, responsable et libre parce que nous ne savons pas de quoi demain sera fait mais nous savons qu’il s’agit de penser en tout premier lieu à l’humain ! Ne nous trompons pas de priorité. Au risque de vous choquer, j’insiste sur ce point : c’est l’humain qui doit être au centre de nos préoccupations, pas la planète. L’humain ne doit certes pas détruire la nature qui est son seul espace vital. Pour autant, il ne doit pas s’y soumettre aveuglément.

Certaines utopies un peu radicales voudraient nous faire croire que l’être humain n’est qu’un animal parmi d’autres, un primate un peu plus évolué que les grands singes. Et qu’il doit être soumis aux impératifs de mère nature : comme si mère nature était gentille et aimante avec nous ! La nature n’a rien à faire de nous, ne l’oublions pas.

Alors, quel chemin étroit nous reste-t-il entre ces deux écueils que sont d’un côté la domination destructrice sur la nature pour des motifs économiques et, de l’autre, la soumission à  des impératifs écologiques trop radicaux qui feraient passer l’humain au second plan ?

Modestement mais résolument, décidons de mettre l’humain au centre. Décidons (soyons décidé par une parole venu du fond des âges et qui continue malgré tout de se faire entendre pour qui sait tendre l’oreille, celle de notre héritage judéo-chrétien qui n’a pas que des aspects négatifs loin de là !) de considérer qu’il est urgent, à travers nos multiples engagements, de ne pas oublier que ce qui importe c’est l’humain. C’est peut-être cela le défi des temps à venir. Que nous ne soyons plus simplement des chiffres (tout n’est que chiffre et statistiques aujourd’hui) mais des humains en lien avec d’autres humains en communauté de destin sur cette terre.

Nous ne sauverons pas le monde, mais en étant décidé à penser nos engagements non pas en fonction de la planète mais en fonction de l’humain, alors un autre rapport aux autres donc à la nature qui nous entoure pourra émerger. L’humain et non la planète comme visée de nos décisions. L’humain et non l’idéologie ou les principes comme moteur de nos engagements. Et ainsi non pas la tâche impossible donc trop lourde de devoir « sauver la planète » mais une responsabilité à « taille humaine » qui ne sera pas sans conséquence positive sur l’espace vital au sein duquel nous vivons.

Il y aura cinq siècles l’année prochaine, un certain Martin Luther, angoissé de ne pas être à la hauteur de sa vocation religieuse, découvrait la libération dans l’expérience d’une grâce qui lui était faite : celle d’être libéré d’un poids trop lourd pour sa pauvre existence. L’énergie qu’il déploya alors, suite à cette découverte, fut énorme, beaucoup plus forte que les efforts qu’il déployait auparavant pour essayer d’accomplir l’impossible. Et la conséquence de cette libération fut la naissance de la Réforme. Si vous me permettez ce parallèle un peu aventureux : si nous pouvions nous-mêmes être libérés du poids trop lourd de devoir sauver la planète, alors l’énergie que dégagerait cette libération aurait peut-être des effets positifs insoupçonnés sur les femmes et les hommes qui nous entourent et, dans un second temps, sur la planète elle-même.


Conférence d'Elian Cuvillier (Cournonterral, 16 octobre 2016)

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