« Vous êtes le sel de la terre. Si le sel perd sa saveur, comment redeviendra-t-il du sel ? Il ne vaut plus rien ; on le jette dehors et il est foulé aux pieds par les hommes. « Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une hauteur ne peut être cachée. Quand on allume une lampe, ce n’est pas pour la mettre sous le boisseau, mais sur son support, et elle brille pour tous ceux qui sont dans la maison. De même, que votre lumière brille aux yeux des hommes, pour qu’en voyant vos bonnes actions ils rendent gloire à votre Père qui est aux cieux.

Matthieu 5 (traduction LSG) 

Fig1a1. « Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde ». Associer ainsi le sel et la lumière n’est pas une innovation du Christ. Dans l’antiquité déjà, le philosophe Plutarque presque contemporain du Christ écrivait : « Le sel est la seule épice indispensable, aussi indispensable au goût que la lumière l’est pour les couleurs »

L’idée ici était de rappeler que  rien n’a de goût sans une pointe de sel, rien n’est visible sans lumière.

Ainsi en associant le sel et la lumière, l’intention était de mettre en valeur ce qui permet de révéler la beauté d’une vie, ce qui donne du goût à l’existence, bref de mettre en valeur de tout ce qui nous permet de savourer la vie. 

En nous mettant ce matin à l’écoute de ce passage de l’évangile, nous sommes invités à nous rappeler de ces paroles qui au cours des rencontres, des discussions et des amitiés ont été porteuses de sel et de lumière,  un sel qui nous a permis d’apprécier pleinement notre vie, une lumière qui nous a permis de nous réjouir de notre existence.

2. Or parmi toutes ces paroles importantes, il y a peut-être justement celle du Christ qui nous dit : 

« Vous êtes le sel de la terre. Vous êtes la lumière du monde » Dans cette parole, l’innovation du Christ ne vient donc pas d’associer le sel avec la lumière. L’innovation du Christ se situe ailleurs. 

Elle se situe dans le fait qu’ici, Jésus, sans mettre aucun « si », sans aucun « il faudrait d’abord que vous fassiez ceci ou cela », Jésus s’adresse à ses auditeurs pour leur dire : vous êtes le sel de la terre. vous êtes la lumière du monde.

Vous n’avez pas à chercher à  devenir cet épice indispensable, vous l’êtes ! 

Quand nous scrutons l’évangile selon Matthieu, nous découvrons que juste avant ce passage, il est écrit que «  Voyant les foules, Jésus monta sur la montagne, il s'assit, et ses disciples vinrent à lui. » 

Fig1bDonc à qui Jésus s’adresse-t-il lorsqu’il dit «  vous êtes le sel et la lumière »  ? Il ne s’adresse pas à exclusivement à une super élite. Non, Jésus s’adresse à une foule bigarrée, variée dans laquelle il se trouve sûrement des disciples, mais dans laquelle il ya aussi et surtout des curieux, des admirateurs, des chercheurs intéressés qui parfois l’entendent plus qu’ils ne l’écoutent. 

Cette précision nous permet ainsi de réaliser que ces paroles ne concernent pas que des disciples zélés et performants. Quand il prononce ces paroles, le Christ s’adresse à celles et ceux qui sont là dans la foule et qui se sont un peu approché.  Ce faisant, c’est comme si le Christ nous disait aujourd’hui encore : 

Vous  qui êtes ici ce matin, simplement parce que, curieux, vous vous êtes approché,  oui vous, dit Jésus, vous êtes, tel je vous ai trouvé, vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde.

3. En m’entendant prêcher ainsi, certains parmi vous pourraient froncer les sourcils et se dire : hm, avons-nous bien entendu ?  Nous serions ainsi, tel que nous sommes le sel de la terre, la lumière du monde ? 

L’intention est belle, mais est-ce qu’elle correspond à ce que nous vivons ? Car nous, au lieu de nous sentir être une épice indispensable, nous avons plutôt l’impression d’être un vulgaire fétu de paille, balloté dans tous les sens par les vicissitudes de l’existence. 

Au milieu des turbulences de la vie, nous luttons tant bien que mal pour garder le cap. Parfois, nous avons la lourde impression d’être tout seul à ramer, ramer, ramer. Les autres nous paraissent être des poids qu’il nous faut tirer, ou bien parfois nous avons l’impression que c’est nous qui sommes des charges pour eux.  

Ainsi, au lieu de nous sentir être une lumière qui mettrait en valeur les couleurs de l’existence, nous nous sentons incertains, fatigués, angoissés, déçus. 

Au lieu d’être une épice indispensable qui donne du goût à la vie, nous nous sentons à la limite de nos forces, comme si nous étions dos au mur. Nous ne pouvons rien faire de plus. Nous sommes proches du burn-out.

Dans ces moments-là, ce dont nous avons besoin, c’est de calme et de repos ; nous avons besoin d’une rive où nous pourrions nous retirer pour respirer à l’aise, loin des tracas, des sollicitations et loin de toute pression. 

Or quand dans cette situation, la parole du Christ nous rencontre et nous dit : vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde, nous nous sentons gênés. 

4. Oui cette parole nous met dans l’embarras. Car nous l’entendons comme une insistance à ne pas nous laisser submerger par notre sentiment d’épuisement. Nous avons l’impression que le Christ nous dit : Allez, vous êtes plus fort que ce que vous croyez. Ne vous laissez pas aller à ce sentiment de fatigue, mais prenez plutôt conscience de la tâche importante que vous devez encore accomplir. Vous devez être le sel de la terre, la lumière du monde. Alors ressaisissez-vous  pour être à la hauteur de la situation ! 

 

Si nous sommes dans l’embarras, c’est parce que nous avons l’impression que le Christ nous demanderait de nier ce que nous ressentons intérieurement et de déployer une immense énergie pour envers et contre tout faire bonne figure. 

Fig1c5. Si certains parmi vous éprouvait cela, je tiens à leur dire que je les comprends et partage leur embarras. Je crois que cette compréhension là des propos du Christ ne peut que nous emmener dans une impasse, car personne ne peut faire plus que ses forces lui permettent.

C’est pourquoi pour sortir de cette impasse, écoutons l’évangile jusqu’au bout. Car ce dernier ne nous demande pas de nier ce que nous ressentons pour devenir ce que nous ne sommes pas.  Au contraire, la parole du Christ nous rejoint dans ce nous vivons pour éclairer ce vécu d’une nouvelle manière. 

Du coup, la question à méditer est la suivante : comment serait-il possible que nous les épuisés, les ballotés, les angoissés nous soyons sel et lumière ? 

6. Oui, comment se fait-il que nous, qui ne sommes pas des disciples hors pair et des saints, nous puissions être sel et lumière ? 

Pour répondre à cette question, il nous faut pour commencer  réaliser comment le sel et la lumière agissent : le sel et la lumière ne font rien d’extraordinaire à proprement parlé, ils laissent simplement leur nature s’exprimer. Or, ils ne peuvent le faire que lorsqu’ils sont dans leur élément :  c’est lorsqu’il est jeté dans la soupe et qu’il se dissout, que le sel est pleinement sel ; c’est lorsque la lampe à huile est posée sur son porte-lampe et qu’elle est allumée qu’elle devient lumière pour le monde. 

C’est lorsque le sel se laisse être dissout, c’est lorsque la lampe se laisse être consumée qu’ils apportent l’un et l’autre ce qu’il faut pour que la saveur et la beauté de la vie soient révélées. 

Ainsi comme le sel et la lumière agissent, ainsi vous aussi vous agissez,  nous dit Jésus. 

Vous êtes sel lorsque vous vivez votre vie, c’est à dire lorsque vous acceptez d’être plongé dans la soupe de votre quotidien, lorsque vous laissez ce quotidien vous dissoudre et que vous acceptez aussi de vous donner à lui, de laisser ce qui vous rend unique, ce que vous êtes profondément, votre personnalité, votre caractère, votre énergie se déployer et enrichir la saveur entière du plat.   

Vous êtes lumière lorsque vous vivez votre vie, lorsque à la place où vous avez été appelé dans votre boulot ou dans vos engagements, vous n’accomplissez pas vos responsabilités en étant éteints, mais lorsque vous prenez le soin d’alimenter vos engagements par vos convictions, vos efforts, vos désirs, vos rêves et vos envies. Ce faisant, ces engagements vous consument, mais dans le même temps ils vous font rayonner. 

Quand Jésus nous rappelle : vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde, je crois qu’il ne nous demande pas d’être ce que nous ne sommes pas. Bien plus, il nous rappelle cette vérité : quand nous laissons la soupe du quotidien nous dissoudre, quand nous laissons nos engagements nous consumer, nous ne nous perdons pas : nous sommes sel et lumière. 

7. Quand des parents ne ménagent aucun effort afin que leurs enfants aient toutes les cartes en main pour pouvoir faire de bons choix, ces parents en se donnant ainsi, ne consument-ils pas leur énergie ? mais ce faisant n’apportent-il pas une lumière qui éclaire la route d’une façon qui donne envie et confiance pour s’y engager ? 

Quand des personnes qui se sont beaucoup engagées sur leur lieux de travail ou dans leur engagement associatif, quittent leur poste, qui d’entre-nous n’a pas senti combien il manquait une saveur particulière alors dans la vie du groupe ? 

Quand le Christ dit : « vous êtes sel et lumière », je crois qu’il nous invite à réaliser tout ce que nous avons pu apporter, ou que d’autres ont pu nous apporter par le simple fait de répondre aux appels de la vie commune en se laissant être consumé par eux.  

Car oui, il se pourrait que nous ayons étés les uns les autres, les uns pour les autres,  sel et lumière. Oui, il se pourrait que nous ayons amplifié par notre présence le goût de la vie d’autres personnes. Il se pourrait que nous ayons été un repère pour eux. 

Il se pourrait… 

Fig1d8. Cependant, cela, est-ce que nous le vivons ? Est-ce que nous le réalisons ? Est-ce que nous voyons que notre manière d’être dissouts dans la soupe de la vie commune a servi à ce que cette vie commune devienne savoureuse pour d’autres  ? 

Certes, cela nous le souhaitons, nous l’espérons. Mais souvent, nous avons peine à le discerner.

Ce que nous voyons, c’est que l’enseignant en donnant le meilleur de lui-même est finalement oublié de la plupart de ses étudiants, voir parfois même jalousé par ses collègues à cause de son application. 

Ce que nous voyons, ce sont des personnes qui ont donné à leur travail le meilleur d’elles-mêmes, sans que cela empêche l’entreprise de fermer

Ce que nous voyons, c’est que nous nous sommes investis dans des nobles causes qui nous ont mobilisés tout entier, pour finalement nous entendre dire par l’un de nos proches que nous n’avions de temps pour personne, trop dévorés que nous étions par notre militance. 

Ainsi là, l’enjeu de la parole de Jésus n’est plus de savoir si nous sommes du sel. Car en assumant nos engagements en donnant le meilleur de nous-mêmes, nous avons été ce sel qui se laisse dissoudre. 

Non, l’enjeu est de savoir si aujourd’hui nous sommes encore habités par une joie intérieure ? L’enjeu est de savoir si en ayant été sel, nous sommes encore aujourd’hui lumière ? 

Car souvent, après avoir accompli ce qui nous semblait être juste, nous nous sentons, face au peu de retours encourageants que nous recevons, vidés et creux. Nous sentons que la flamme de notre joie vacille et est prête de s’éteindre. 

9. Si tel était le cas, cette parole de l’évangile a traversé les siècles pour pouvoir aujourd’hui nous être adressée. 

Car que dit cette parole  ?  Si tu ne vois pas en quoi tu es sel et lumière, eh bien Dieu le voit. Ce qui demeure d’habitude oublié, discret, caché, Dieu le voit et le met en valeur. Quand l’évangile affirme : « Vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde », c’est là une parole de Dieu pour révéler le sens profond, caché et oublié de chacune de nos existences.

Quand les jugements que nous nous prononçons sur nous-mêmes ou bien quand les jugements que d’autres prononcent sur nous, affirment :  « tu es peu de choses, tu n’as pas servi à  réaliser grand chose », la parole de Dieu, elle affirme : «  je n’oublie pas en quoi ta pauvre vie limitée est  sel et lumière. »  

10. Ainsi à l’écoute de cette parole de Dieu qui exprime la vérité de notre vie, l’enjeu n’est pas de nier ce que nous ressentons ou de réaliser quelque chose de plus pour pouvoir  enfin être sel et lumière. 

Non l’enjeu, c’est de simplement reconnaître que nous le sommes. Nous n’avons rien à prouver à quiconque. Nous avons simplement à témoigner que nous sommes des humains qui ont été vivifiés par une parole de Dieu. 

Une parole de Dieu qui nous dit : vous êtes le sel de la terre, vous êtes la lumière du monde. vous l’êtes comme le sont tous les autres. Donc, l’enjeu est simplement de témoigner de cette réalité afin que les autres puissent eux aussi être rencontrés par cette parole et qu’en réalisant qu’ils le sont, ils soient eux aussi vivifiés.

Et cela pour votre plus grand bonheur et pour  la plus grande gloire de Dieu 

Amen 

Luc-Olivier Bosset (17 juillet 2022, Temple de Maguelone, Montpellier) 
(prédication inspirée de Eilert Herms, ‘Salz der Erde, Licht der Welt’ in Gottes Gegenwart, Evangelische Verlagsanstalt Gmbh, Leipzig, 2015) 
Images: faire de la lumière avec du sel.(adapté de https://wcponline.com/2009/10/14/basics-water-chemistry-chemical-bonds-water/)