« Je veux la miséricorde et non le sacrifice »

 

Matthieu 9 v 9 à 13

De là étant allé plus loin, Jésus vit un homme assis au lieu des péages, et qui s'appelait Matthieu. Il lui dit: Suis-moi. Cet homme se leva, et le suivit. Comme Jésus était à table dans la maison, voici, beaucoup de publicains et de gens de mauvaise vie vinrent se mettre à table avec lui et avec ses disciples. Les pharisiens virent cela, et ils dirent à ses disciples: Pourquoi votre maître mange-t-il avec les publicains et les gens de mauvaise vie? Ce que Jésus ayant entendu, il dit: Ce ne sont pas ceux qui se portent bien qui ont besoin de médecin, mais les malades. Allez, et apprenez ce que signifie: Je prends plaisir à la miséricorde, et non aux sacrifices. Car je ne suis pas venu appeler des justes, mais des pécheurs.

 

Frères et sœurs en Christ,

Nous vivons un siècle à la fois extraordinaire et déconcertant. L’humanité dépasse chaque jour davantage les limites que la nature nous impose et pourtant nous avons le sentiment de vivre dans un monde désenchanté. Le Dieu biblique en qui nous croyons n’est qu’une mythologie parmi tant d’autres.

Force est de constater que notre siècle est indifférent à ce Dieu biblique, que l’Evangile est une histoire ancienne pour beaucoup de nos proches. Mais pour autant nous remarquons en même temps que les comportements « religieux » ont la peau dure. Même si ces comportements ne sont plus répertoriés comme « religieux » par nos sociologues et nos philosophes, ils n’en demeurent pas moins là. Et c’est là où l’Evangile est très intéressant à entendre. Donc, ce matin je vais m’attarder tout d’abord brièvement sur ces comportements religieux au temps des évangiles, puis secondement tout aussi brièvement au temps de la réforme. Dans un troisième temps nous découvrirons certains comportements religieux « laïcs », ce qui nous permettra dans une dernière partie d’observer que l’Evangile garde toute sa pertinence face aux comportements religieux que notre société dite post moderne et sécularisée véhicule.

Les comportements religieux au temps de Jésus

« Je veux la miséricorde et non le sacrifice » disent Jésus et le prophète Osée.

Replaçons la religiosité dans son contexte historique lorsque la bonne nouvelle a été annoncée pour la première fois.

Certains croyants lorsqu’ils accomplissaient les sacrifices du temple étaient tombés dans une pratique religieuse qui les éloignaient et de Dieu et du prochain. En effet, les sacrifices d’animaux étaient devenus pour eux une sorte de dette dont ils devaient s’acquitter auprès de Dieu et de ses représentants pour être en paix avec leur conscience.

Les sacrifices d’animaux ont été donc détournés de leur premier sens ; une action de grâce avant toute chose que l’on adresse à Dieu. Une action qui loin de nous éloigner de notre prochain nous encourage à être attentif à tous ceux qui nous entourent. Les sacrifices d’animaux sont devenus pour certain un comportement de marchand de tapis  « je te fais trois sacrifices d’animaux, tu continues à me bénir et nous sommes quitte et ce n’est pas grave si j’oublie le prochain qui reste sur le bord de la route. J’exagère à peine.

Jésus vient briser ce comportement en disant : « je veux la miséricorde et non le sacrifice. » Car en s’acquittant des sacrifices du temple on avait tendance à oublier l’amour du prochain, tout simplement.

 

Les comportements religieux au XVI siècle

Au XVI siècle le christianisme est tombé dans la même folie puisqu’il fallait donner de l’argent pour recevoir le Salut (être sauvé) et ainsi être en paix envers les autorités religieuses de l’époque et avec Dieu. Le sacrifice ici s’est transformé en indulgence, en argent que l’on donnait à l’Eglise. Dans les têtes des individus à grandi petit à petit cette idée tout simple : « si je fais une bonne action j’irais au ciel et cela comptera dans la balance au jugement dernier. » Alors que dans les évangiles, il y avait une autre idée toute simple mais ô combien pertinente : « Si tu fais une bonne action ou une bonne œuvre ne te glorifie en rien de cela puisque c’est normal de faire du bien autour de soi lorsque l’on s’affiche comme chrétien». La Réforme protestante est donc venue rappeler la gratuité du Salut en s’appuyant sur cette parole de l’Apôtre Paul : « vous êtes sauvés par grâce par le moyen de la foi ». Cette parole redonnait à l’individu sa liberté première et elle remettait à sa juste place l’église catholique d’alors qui tenait captive les consciences des individus en les obligeant, pour être sauvé, à être dans une logique absurde du donnant donnant avec Dieu.

Notre contexte culturel

Puis le temps passé, les sociétés ont changées et nous sommes aujourd’hui dans un contexte culturel tout autre. Nous ne sommes plus comme au temps de la Réforme dans un souci sociétal premier d’être sauvé ou pas, d’aller au paradis ou de finir en enfer.

Le Dieu biblique n’a plus beaucoup d’espace pour être entendu aujourd’hui si ce n’est dans les temples et dans les églises. Médiatiquement parlant on parle plus de Mahomet que de Jésus Christ ces temps ci. Et les autorités qui nous gouvernent encouragent, à justes titre, les responsables des églises musulmanes à faire preuve de plus de cohérence et d’unité entre elles.

Si le Dieu biblique n’a plus beaucoup d’espace c’est aussi que notre laïcité à la française l’a cantonnée dans le domaine du privé. A cela s’ajoute un affaiblissement spirituel et théologique du christianisme en France. En effet, combien de fois ai-je entendu des gens me dire : « Dieu est bon et tout puissant pourquoi permet-il l’injustice, les malheurs ? » Bref, ce qui domine dans la tête de beaucoup de nos proches, c’est l’image d’un Dieu qui correspond à celle que l’on a de la petite enfance et de l’adolescence, celle d’une école biblique et d’un catéchisme souvent mal compris. Une catéchèse qui s’est arrêtée à la confirmation et qui n’a pas pris le temps de méditer, à l’âge adulte, la signification profonde de la passion du Christ (crucifixion, mort et résurrection)

Donc nous ne sommes plus au temps de Jésus, ni au temps de la Réforme nous sommes en l’an de grâce 2012.

Pour beaucoup de générations aujourd’hui la première des préoccupations est celle d’avoir un travail et de gagner suffisamment d’argent pour soi et sa famille. L’idéal français est de posséder un appartement ou une maison. Notre visée n’est plus d’accéder, du mieux possible, à un au-delà agréable comme au XVI siècle mais plutôt à un ici et maintenant le plus intéressant possible et à un futur proche économiquement viable.

Pour arriver à nos fins nous sommes encouragés à faire toutes sortes de sacrifices…Et j’emploie le terme à dessein. Les sacrifices aujourd’hui se déclinent avec des mots clefs : Mobilité, horaires souples, chômage partiel, changement de métier plusieurs fois durant sa carrière, accepté d’avoir plusieurs emplois dans une journée… Si nous sommes encouragés à faire des sacrifices c’est pour nous même, c’est la logique individualiste de notre époque.

Et au cœur de tout cela nous sommes tenus d’obéir à une loi économique que je qualifierai de religieuse, tellement celle-ci est toute puissante dans nos démocraties, dans l’univers médiatique et dans nos consciences. Cette loi économique « religieuse », je la résume par cette formule lapidaire: « Je veux la performance, la compétitivité, la rentabilité, la mobilité de chaque individu. Et pour correspondre à cette réalité tu vas devoir sacrifier ta vie de couple, ta famille, ta santé » Voila ce que nous dit le pharaon moderne. Et le bras armé de cette loi religieuse, de ce pharaon se nomme la pression, toujours plus de pression sur les individus, sur les entreprises, sur les démocraties…Et si cette pression se met en place, c’est nous dit-on ; « pour faire face à la concurrence et ne pas être dévoré tout cru par les chinois… ».

Parfois il est bon de prendre un peu de recul, de distance et de se poser cette simple question : où va-t-elle nous mener  cette logique sacrificielle qui s’est emparée de l’économie de marché, et qui envahit toutes les sphères de la société y compris celle du privé,?

Nous avons déjà un début de réponse. Tous, autour de nous, nous faisons le constat de personnes, quelque soit leur âge, qui sont victimes de dépression, d’épuisement au travail, de « burn out » et parfois même de suicide. Tous nous constatons que l’être humain est mis à rude épreuve et que nous lui demandons d’être aussi performant et rapide qu’un ordinateur, qu’un iPhone. Notre société technicienne semble faire peu de cas de nos réelles limites humaines…

Ce pharaon moderne a imprimé dans nos mémoires ce credo de la performance et de la rentabilité. Cela commence à l’école, avec la pression des contrôles pour être déjà le meilleur ; cela continu en entreprise où il faut non seulement accomplir les taches qui nous incombent mais en plus prouver que nous sommes indispensables car vraiment performant ; cela s’insinue dans nos relations amoureuses, et dans le souci de soi : « suis-je toujours au top de la séduction ? Suis-je toujours aussi efficace dans la relation sexuelle ? » ; Cela se développe dans nos engagements sportifs au risque de se doper pour ne pas être « largué », par d’autres qui eux, bien entendu, n’ont pas de scrupules ; cela existe aussi en Eglise où l’on demande au pasteur parfois d’avoir tous les dons et aux bénévoles d’être des professionnels 

« Je veux la performance et la rentabilité dans quelque domaine que ce soit ! » dit notre pharaon moderne, et ajoute t-il « ayez les comportements adéquats pour faire partie de mon monde » non sans ironie pour ne pas dire avec cynisme. Conséquence logique, notre société place chaque individu dans une logique comparative, qui un jour ou l’autre va entrainer encore plus d’exclusion pour tous ceux qui n’auront pas, soit disant, le niveau, les compétences, les réseaux appropriés.

Cette société économico-religieuse c’est la nôtre et nous en sommes aussi les artisans, les bénéficiaires et les victimes.

Et Jésus dans tout cela que nous dit-il ?

Heureusement que l’Evangile est là pour nous marteler une autre phrase et nous annoncer par la même occasion qu’il est possible de ne plus être l’esclave de pharaon. Et Jésus nous dit ce matin : « Je veux la miséricorde et non le sacrifice. » Les sacrifices que l’on nous demande aujourd’hui sont facilement repérables. Le pharaon moderne, pour construire ses pyramides et ses tours de Babel, nous dit : « sacrifie tes proches, ta famille, ton couple, tes valeurs et tu pourras plus facilement t’affirmer au dépend des autres et gagner beaucoup d’argent. C’est à ce prix que tu seras reconnu, que tu existeras ! »

Frères et sœurs en Christ ! Heureusement que nous avons l’Evangile, heureusement que Jésus-Christ est ressuscité d’entre les morts, heureusement que l’esprit Saint nous a été donné.

Ainsi nous pouvons plus aisément résister à cette fameuse pression qui nous fait croire que nous pouvons être aussi performants qu’un objet technologique. Certes notre résistance ne se situe pas dans la tour de constance comme Marie Durant, mais elle est tout aussi importante, tout aussi vitale. Et notre résistance peut s’appuyer sur la Bible pour se nourrir, et ainsi, elle peut observer sereinement le comportement de Jésus-Christ dans les Evangiles pour discerner les pistes qui vont nous aider à cheminer dans notre monde. Observons donc à travers les Evangiles le comportement de Jésus avec ses disciples, avec toutes ces foules qui le suivent et qui, pour certaines, le combattent.

La pédagogie de Jésus Christ

Que découvrons- nous avec Jésus ? Une chose toute simple, jamais il ne met en concurrence ses disciples. Jamais, il ne se place en compétition face à d’autres guérisseurs. Par contre, il accompagne ses disciples, il les bouscule, il les encourage à dépasser les schémas de pensées pré établis. Il ne cherche pas non plus la publicité sur ces exploits, les multiples guérisons qu’il entreprend. Au contraire il se fait discret, il encourage les foules à ne pas communiquer la réalité des guérisons et des délivrances qu’il réalise. Il ne cherche pas la performance, ni la rentabilité pour être crédible aux yeux de ses semblables. Il n’est pas là pour leur prouver sa puissance mais pour leur signifier que Dieu par lui change la donne et offre une nouvelle manière de vivre en société. « Je veux la miséricorde et non le sacrifice ». Il est avec celui qui souffre, il est avec celui qui a péché, il est avec celui qui a subi le mal. Il est avec tous pour donner à chacun une parole appropriée. A la personne qui souffre, il apporte la guérison. A la personne qui est lié par un démon et que la société exclue, il la libère et lui permet d’être réintégré. A la personne qui a péché et que les honnêtes gens excluent de leur monde, il donne sa grâce, et offre une nouvelle chance pour repartir.

Lorsque Jésus dit : «  Je veux la miséricorde et non les sacrifices », il est la miséricorde, une miséricorde active qui libère et redresse un individu. La miséricorde pour le Christ c’est d’être avec le prochain que Dieu place sur notre route. Aujourd’hui nous sommes face à la volonté farouche d’un pharaon économique. Qui nous dit : « je veux la performance et la rentabilité et pour obtenir cela je mets en place la loi de la pression ». Alors Jésus se met à côté de nous et nous dit : « Sois sans crainte, je suis avec toi pour te libérer, ne cours pas après ces chimères qui vont te couper de tes semblables, Tu n’as pas été créé par Dieu pour te différencier des autres à tout prix. Tu es déjà unique et différent et tu as été créé pour vivre en bonne harmonie avec tout homme. Tes compétences n’ont pas pour finalité de dominer, d’écraser les soi-disant concurrents mais d’éveiller chez eux d’autres compétences pour un mieux vivre ensemble. » Et c’est peut être ce discours là que la nouvelle Eglise protestante Unie de France va pouvoir colporter dans notre monde. Une parole libre qui dénonce toute idéologie qui emprisonne l’individu. Une parole osée qui met en garde contre tout communautarisme et repli identitaire. Une parole joyeuse qui rappelle qu’en Jésus Christ chaque individu peut trouver sa juste place en église et dans la société. Une parole ferme qui ne craint pas de dire non lorsqu’une loi économique n’est plus au service de l’humanité.

« Je veux la miséricorde et non le sacrifice » nous dit le Seigneur Jésus en l’an de grâce 2012 lors de ce culte de la réformation.

Amen.