Première Épître aux Corinthiens, chapitre 9, versets 16 à 23

1. Que veut dire vocation ?

Mot un peu compliqué, voire désuet. « Ah le pasteur X…, celui-là, il avait vraiment la vocation ! » « Tiens j’ai appris que le pasteur Y… avait quitté le ministère, c’est vrai qu’il n’avait pas vraiment la vocation » !

La vocation serait alors une sorte d’objet, quelque chose que l’on possède ou pas, qu’on a toujours sur soi, comme son porte-monnaie ou son téléphone portable. Bref, quelque chose de l’ordre de l’avoir. Et bien non, la vocation n’a rien à voir avec l’avoir !

En effet si l’on regarde le dictionnaire, on découvre que vocation vient d’un mot latin qui veut dire « appeler ». La vocation est donc un appel, et un appel, soit je le fais, soit je le reçois de quelqu’un. Dans le premier cas, je suis actif : j’appelle quelqu’un pour avoir de ses nouvelles, ou j’appelle au secours ; dans le second je suis passif, quelqu’un m’appelle et attend quelque chose de moi. La vocation, c’est ça = c’est être appelé par Dieu. La vocation relève donc de l’être et non de l’avoir !

Tout cela est bien beau, on est appelé, d’accord, mais pour quoi faire ? Quelle est notre mission ? Là-dessus, j’ai une petite théorie personnelle qui me vient de l’expérience de tous les jours : je suis persuadé qu’il y a sur terre, des gens qui ont une mission - même s’ils ne le savent peut-être pas toujours eux-mêmes. Exemple : vous êtes en voiture, vous avez un rendez-vous important, vous êtes partis en retard, vous essayez de combler ce retard, et devant vous se trouve une autre voiture qui roule à 20 à l’heure, un escargot qui vous fait prendre tous les feux rouges, s‘arrête à tous les passages piétons, etc. Et vous vous dites : « mais c’est pas vrai ! Ce type - ou cette femme, il n’y a pas d’exclusive - n’est pas là par hasard, il a une mission : me faire rater mon rendez-vous ! Regardez, faites le test, observez autour de vous : il y a plein de gens qui ont une mission : au supermarché, la personne devant vous à la caisse qui a pris un article où il n’y a pas le prix et qui bloque tout le monde ! A l’école, au collège ou à la fac (!), le professeur qui vous interroge et qui sent, que dis-je, qui sait que vous n’allez pas bien répondre sur tel point du programme que vous n’avez pas bien révisé ! Et à la maison, les parents, avec leur obsession de « tu as rangé ta chambre ? Tu as fait tes devoirs ? Qui est-ce qu'il y aura à cette fête où tu vas ce WE ? A quelle heure ça finit, qui est-ce qui te ramène ? », c’est pas une mission qu’ils ont eux aussi ? Je vous le dis, le monde est peuplé de missionnaires ! Voilà ma théorie.

Mais attention, nous chrétiens, nous avons une mission un peu différente. Disons qu’elle est toujours positive : nous sommes appelés à une mission bonne, agréable, notre vocation est de témoigner de quelque chose qui nous dépasse, qui nous fait du bien et que l’on veut partager avec les autres. Alors de quoi s’agit-il ? C’est ici que la Bible peut nous aider, et Paul en particulier, car il parle de sa vocation et de sa mission, et ce qu’il en dit peut tout à fait nous concerner encore aujourd’hui.

2. Annoncer l’Évangile

Dans la lettre qu’il écrit aux habitants de la ville de Corinthe, on devine qu’il y a beaucoup de tension entre eux et Paul. Il se dit « apôtre de Jésus-Christ » mais il ne fait pas partie des 12 disciples qui ont connu Jésus, et ni lui, ni son secrétaire Barnabée ne veulent être payés par les gens de l’Église, alors que justement, dans n’importe quelle religion, les prêtres reçoivent un salaire de la part des fidèles. Mais Paul ne voit pas les choses comme ça : « Si j’annonce l’Évangile, dit-il, ce n’est pas pour recevoir un salaire ou une récompense, et ce n’est pas non plus moi qui l’ait décidé, mais cela s’impose à moi, je ne peux pas faire autrement : « malheur à moi si je n’évangélise pas » !

Que veut dire Paul, lorsqu’il dit « annoncer l’Évangile » ou « évangéliser » ? On peut dire, en résumant grossièrement sa pensée, qu’il veut faire découvrir aux gens une autre manière de vivre leur relation à Dieu, et une autre manière de considérer Dieu :

- Dieu n’est pas une superpuissance qu’il faudrait apaiser en faisant des sacrifices d’animaux ou en respectant une Loi pleine d’interdits,

- Dieu n’est pas non plus une idée, une sagesse à laquelle l’homme, par son intelligence pourrait accéder,

- Le seul moyen de rencontrer vraiment Dieu, c’est de croire en Jésus-Christ, envoyé par Lui dans le monde. Ainsi, l’homme n’a plus besoin de sacrifices ou de Loi, car la grande nouveauté apportée par le Christ, c’est que chacun et chacune est aimé de Dieu, gratuitement, sans l’avoir mérité d’aucune manière…

Voilà la Bonne Nouvelle que Paul veut proclamer aux autres : « quelles que soient tes qualités ou tes défauts, Dieu s’approche de toi en Jésus-Christ, il ne tient qu’à toi de répondre à son appel et de vivre comme il le demande, en aimant Dieu est les autres ».

3. Facile à dire, mais comment faire ?

Paul nous donne son exemple : « avec les Juifs, j’ai été comme un juif ; avec ceux qui n’ont pas de loi - c'est-à-dire à son époque pour des gens d’autres religions - j’ai été sans loi ; avec les faibles, j’ai partagé les faiblesses… je me suis fait tout à tous. »

Drôle d’expression « se faire tout à tous ». Pour la comprendre, on peut penser à ce que me racontait un ami aumônier militaire. Quand je lui ai demandé quel grade il avait, il m’a répondu précisément cette phrase : « oh moi, c’est simple, je me fais tout à tous. Autrement dit, j’ai le même grade que la personne à qui je parle : si je suis avec un simple soldat, je suis comme un simple soldat ; si je suis avec un général, je suis comme un général (enfin en théorie…) ». Se faire tout à tous, ce serait peut-être alors se mettre au même niveau que l’autre, être son vis-à-vis, son alter ego. Voilà qui devrait nous rappeler à un peu de modestie : nous, chrétiens, ne valons pas plus, mais moins non plus que les autres !

Un petite remarque supplémentaire ici, mais qui a son importance à l’occasion de ce dimanche des vocations. Paul parle ici de son attitude vis-à-vis des non-chrétiens. Or, la plupart du temps, ce texte est précisément invoqué, pour ne pas dire convoqué, lorsqu’il s’agit du pasteur et de la relation idéale qu’il doit entretenir vis-à-vis de sa communauté : le pasteur, du moins est-ce l’opinion commune, doit se faire tout à tous, autrement dit, ne jamais exprimer son opinion personnelle, être toujours modéré dans ses propos et ses attitudes, ne jamais se plaindre de peur de déplaire à quiconque, s’habiller de façon à ne choquer personne… bref on attend le plus souvent d’un pasteur qu’il soit lisse, onctueux et si possible agréable au goût mais pas trop. Un fromage blanc en quelque sorte. Or ce n’est pas du tout ce que dit Paul et d’ailleurs, il n’y a qu’à lire sa correspondance pour s’apercevoir que lui-même, en tant que pasteur vis-à-vis de ses communautés, n’était pas très lisse mais plutôt rugueux, du genre volcanique et éruptif, n’hésitant pas à invectiver ses paroissiens!

4. La liberté du chrétien

Alors est-ce à dire qu’il y aurait alors une sorte duplicité, d’hypocrisie dans nos relations humaines : le chrétien peut, voire doit tout dire à son frère chrétien (et d’ailleurs ne parle-t-on pas « d’admonestations fraternelles ») tandis que vis-à-vis du non-chrétien, il serait totalement libre, adaptable, compatible au risque de se taire pour ne pas choquer ?

Non dit Paul, la liberté du chrétien contient sa propre limite : « libre à l’égard de tous, je me suis fais l’esclave de tous, afin d’en gagner le plus grand nombre ». C’est justement parce que je suis libre - Luther dira parce que j’ai été libéré intérieurement - que je peux mettre une limite à cette liberté et me faire esclave extérieurement, c'est-à-dire me donner entièrement, à tous.

Dans son dialogue avec les non-chrétiens, Paul est réaliste : il parle de « n’en gagner que quelques-uns », pas de convertir des foules, mais d’être présent aux autres, comme eux, en tant que partenaire égal. Il faut toutefois mentionner trois points essentiels qui, pour lui, ne sont pas négociables dans ce dialogue :

- Cette liberté chrétienne, précisément : l’Évangile, la Bonne Nouvelle, est une parole qui libère et qui n’enferme pas,

- L’amour de Dieu pour les hommes est entièrement gratuit et immérité, quelque soit l’âge, l’ethnie, le genre, la classe sociale,

- La résurrection du Christ est une réalité, Dieu s’est fait homme, y compris en passant par la mort, Dieu n’est pas une idée mais il s’est fait chair.

On voit par là que ce que Paul annonce n’est pas une partie de l’Évangile, mais c’est bien le message dans sa totalité, il n’y a pas d’hypocrisie ou de double jeu dans ses relations avec des non-chrétiens : c’est « tout l’Évangile à tout l’homme » qu’il est appelé à proclamer et à partager, voilà sa mission d’apôtre, sa vocation. Est-ce la nôtre ?

5. Notre vocation

Oui, car même si notre monde d’aujourd’hui n’est plus celui de Paul où tous les hommes avaient une religion et croyaient en un ou plusieurs dieux, la Bonne Nouvelle de Jésus-Christ, et la libération qu’elle opère en nous et autour de nous, reste actuelle.

Cependant il n’est pas facile de témoigner de sa foi aujourd’hui dans une société où la religion est plutôt réservée au domaine privé et où la question de Dieu n’est pas la plus importante. Nous chrétiens, nous sommes un peu des aliens ou les derniers des Mohicans, et nous, protestants à l’intérieur des chrétiens, sommes-nous peut-être encore davantage les Mohicans des Mohicans1.

Mais est-ce une raison pour nous taire, pour faire profil bas ? Rappelez-vous ma théorie : chacun a une mission sur terre, et parfois même ce sont les circonstances et les événements qui nous placent là où nous sommes : après tout, Paul se rendait là où il était susceptible d’être accueilli,.avec plus ou moins de bonheur. Commençons-donc par là : témoigner là où nous sommes, là où nous en sommes, chacun à notre petit niveau, allons à la rencontre de l’autre. Il suffit parfois de bien peu de chose, une remarque au cours d’une conversation, une croix huguenote portée autour du cou, un livre ouvert dans un espace public pour susciter chez son voisin un étonnement, une question, une discussion et pourquoi pas, de notre part, une invitation ? Encore une fois, il ne s’agit pas de prendre un porte-voix, de s’installer au milieu du carrefour et de distribuer des Bibles, mais d’être présents au milieu des autres.

Bien souvent, notre timidité, ou notre passé de protestants longtemps condamnés à la clandestinité, constituent un bon prétexte pour fuir notre vocation. Et pourtant, encore une fois, le message que nous avons reçu est valable : dans notre société marquée par l’avoir, notre mission est plus que jamais est de mettre en avant l’être. Si je n’ai pas de travail, si je n’ai pas d’i-phone ou d’i-pad, si je n’ai pas de montre suisse avant 50 ans : aux yeux des autres, je ne suis rien. Et pourtant aux yeux de Dieu, je suis tout, puisque je suis accepté et aimé pour moi et que je suis libre de répondre oui ou non à cet amour... Notre mission, notre vocation, celle de tous les chrétiens, elle est de faire entendre cette Parole-là, parce qu’elle vient contester tout le flot des autres paroles. Voilà notre mission et notre vocation.

Un mot sur les pasteurs, pour finir (après tout un dimanche des vocations, c’est l’occasion ou jamais de parler un peu de nous). Non les pasteurs ne sont pas des fromages blancs ! Non, leur vocation n’est pas différente de celle de tout chrétien : « malheur à moi si je n’évangélise pas » !

Mais eux, ou elles, ils ont une chance extraordinaire - même s’ils se plaignent de temps en temps -ils ont un grand privilège : ils ont fait le choix de faire de leur passion leur principale activité, un peu comme des artistes. Passionnés par la Parole de Dieu, par la Bible, par la relation à Dieu et aux autres, ils ou elles sont des chercheurs de Dieu… toujours appelés et toujours répondants… Être pasteur : c’est vivre sa passion tous les jours. Pour en savoir plus : Faculté de théologie protestante, 13 rue du Dr Louis Perrier, Montpellier.

Amen.

 

Gilles Vidal, Professeur Institut Protestant de Théologie.

11 Première communauté indienne, protestante d’ailleurs, évangélisée par les Frères Moraves vers 1740