La fin du Monde ?

Deuxième épître de Pierre, chapitre 3

2012, c'est la fin du monde, parait-il ? La vraie ? Celle annoncée ici avec le feu et tout et tout ? Et l'avènement des cieux nouveaux et d'une nouvelle terre où la justice habite ? Ca vaut peut-être le coup ?

Au moment où partout sur la terre, les peuples doutent de l'avenir du monde et de la planète, vivre l'avènement d'une terre nouvelle, c'est plutôt enthousiasmant. Le problème, c'est le feu qui précède. Ça fait peur cette histoire. Quelle sera ma place là-dedans ?

En fait, il faut que je vous dise la vérité. En travaillant ce texte, je me suis aperçu que cette question de la fin a très peu de place dans ma foi. Comme la question de l'au-delà d'ailleurs. J'ai l'impression que dans la foi chrétienne, ces questions ne sont pas centrales. En prenant conscience de l'amour de Dieu qui nous anime, elles deviennent même marginales.

Et c'est peut-être là le problème. Ne disons nous plus rien en tant que chrétien sur l'avenir ? Qu'attendons-nous ? Notre conception de l'avenir a-t-elle une influence sur nos vies aujourd'hui ? Et lorsque la Bible parle de Parousie, met-elle finalement l'accent sur l'avenir ou sur autre chose. (De la même manière que les textes de création qui ne nous disent pas l'origine, mais le sens de l'histoire des hommes sur la terre devant Dieu). Surtout que le Parousie signifie « présence » ou venue. C'est le moment où ce qu'on attendait est déjà là. Une présence est déjà vécue.

Dans la Bible, pour le peuple Hébreu, le Jour du Seigneur est un terme courant pour dire un événement qui se passe dans l'histoire. Le jour du Seigneur, c'est le jour où Dieu interviendra dans l'Histoire. Cette attente d'un jour nouveau se trouve tôt au sein d'Israël. Les prophètes ne parlent aussi. Amos évoque un jour de lumière. Et c'est vrai que l'Ancien testament présente souvent ce jour comme une intervention de Dieu à travers des catastrophes, des actions qui font peur et font du dégât ! Jugement, fin…

Après l'Exil, cette expression s'applique essentiellement pour des événements de l'histoire. Une libération par exemple. L'histoire n'est donc pas cyclique. Elle avance, et si elle avance alors il faut penser la fin. Même en annonçant l'avenir, les auteurs semblent immédiatement vouloir nous mettre en garde : les textes disent que le temps de Dieu n'est pas le temps de l'histoire. Mille ans sont comme un jour ! Pour les chrétiens, la venue de Jésus, c'est donc Dieu qui vient rejoindre l'histoire et le temps des hommes.

Ainsi, dans le NT, on parle du jour du Seigneur JC. La parousie dit la présence ou la venue, et c'est d'ailleurs un mot utilisé pour dire aussi la visite des empereurs.

Alors, le jour du Seigneur n'est-il pas pas simplement le jour de la naissance du Christ ?

Jésus dit qu'à travers lui, à travers sa parole et son action, le Royaume des Cieux est déjà là. Il est présent. (Jean-Baptiste disait : Préparez les chemins du Seigneur)

Se dire chrétien, avoir la foi, reconnaître le Dieu de JC, c'est déjà dire cette présence. Et ça, c'est déjà compliqué à partager !

Pourtant, après la résurrection, les chrétiens attendent toujours son retour. Alors qu'à Pentecôte, ils se disent en présence du Christ, ils se rappelle tout de même cette parole du Christ après la résurrection, une promesse : « je suis avec vous tous les jours ». Ils attendent tout de même son retour.

L'auteur de la lettre de Pierre est donc dans cette attente d'un retour imminent, mais il pointe les remarques et questions des premiers chrétiens qui sont aussi les nôtres parfois, pour l'histoire du monde mais aussi pour nos propres vies :

  • Dieu s'est retiré, on se débrouille, à nous de gérer.

  • Dieu est déjà venu. On ne peut pas dire plus que ce que nous connaissons ou reconnaissons en Jésus.

  • on verra bien ! Profitons de ce qu'on a reçu. Après moi le déluge ! Dans la foi cette question n'a pas de sens.

  • Dieu a-t-il du retard !

C'est cette dernière question qui animent ici les croyants. Ils pensaient que Jésus allait revenir tout de suite. Paul développe aussi le thème de la veille. Mais l'imminence n'équivaut pas strictement à une proximité chronologique.

La parousie est moins la venue du Christ à la fin des temps que la prise de conscience de sa présence. Et c'est ce que nous vivons en Eglise. Eglise comme témoin de la présence du Christ. Le jour du Seigneur, nous le vivons chaque dimanche et à chaque fois que nous ressentons la présence de Dieu en nous et dans le monde.

Et prendre conscience de cette présence du Christ dans nos vies a des effets. On pense que Pierre réagit ici à ceux qui vivent comme si il n'était pas sous la grâce. Que cette attente enthousiaste leur faisait oublier leur présent et les conséquences de la foi au quotidien. Pour lui, la foi a des conséquences. A l'inverse, ceux qui n'attendent plus rien sont dans la même impasse. Puisque rien n'est attendu, ils ont tendance à vivre une foi sans conséquences.

Pourtant, dans la foi, le croyant est celui qui refuse le fatalisme, l'indifférence ou la peur. Aujourd'hui, ce sont d'ailleurs les trois dangers face à la crise.

Le fatalisme entraîne la désespérance. Beaucoup aujourd'hui n'arrivent pas à voir la porte de sortie, en économie, dans leur travail, pour l'avenir de leurs enfants, pour l'environnement.

L'indifférence entraine le cynisme. On passe à côté de l'histoire dans un individualisme assumé.

La peur entraine le repli sur soi et parfois le rejet de l'autre.

Certains pensent qu'une révolution, une bonne guerre, une catastrophe permettrait de remettre les compteurs à zéro. D'autres baissent les bras ou ne trouvent plus les forces pour vivre et penser un avenir.

Mais ici, il ne s'agit pas de remettre les compteurs à zéro, mais bien de vivre tourné vers l'avenir comme le suggère déjà Esaïe : Référence à Esaïe 65/17 (texte aussi sur le loup et l'agneau…). Ce dernier insiste sur le fait que le passé ne sera plus rappelé (au sens, où cela ne sert à rien de se lamenter sur ses errements) et ne remontera plus jusqu'au secret du cœur. Au contraire, c'est l'exultation et l'enthousiasme qui sera créé. Puis il continue : plus de cris, plus de pleurs…

Le passé n'est donc pas effacé, mais il ne remontera pas pour accuser ou juger. Le croyant est invité non seulement à se tourner vers l'avenir, mais recevoir un enthousiasme. L'aumônier du Synode régional disait aux synodaux et aux pasteurs de ne pas perdre leur joie.

Car se tourner vers l'avenir, c'est transformer son présent, donner du sens à son présent.

Philippiens invite aussi à « s'élancer » vers l'avenir.

Ceux qui désespèrent dans un attente passive, ont souvent une vision de la fin comme un mur dans lequel ils foncent. Et le pieds au plancher, ils espèrent une intervention de Dieu ou ils renoncent.

Ceux qui sont dans l'espérance, dans une attente active, avancent aussi mais font tout pour ne pas s'exploser dans le mur de la fin. Le mur existe, mais Dieu aime la vie. En Jésus-Christ, il montre qu'il abat le mur du fatalisme.

Ainsi, on ne s'explosera pas dans le mur, car par la foi, Dieu nous donnera les forces, les paroles, les gestes pour le traverser, comme on traversera le mur de la rancune, le mur de l'exclusion, le mur de l'injustice.

Esaïe dans l'attente, prend une autre image. Il parle d'une épouse qui se prépare à la venue de son époux. Elle se fait belle. Ça change l'image de l'attente !

Pierre dit la même chose en des termes plus durs en appelant à vivre une éthique fondée dans la foi.

Retenons donc ces trois pistes :

  • Celui qui choisit de vivre une vie fondée dans la foi n'a pas plus peur, car cette vie lui apporte de la joie !

  • Si je change mon regard sur le ciel, alors je n'habiterai plus sur la terre de la même manière.

  • Si je change mon regard sur l'avenir, alors je ne vivrai plus de la même manière le présent.

Et c'est dans les temps les plus noirs que Dieu nous aide à regarder l'étape suivante. Dans les épreuves de nos vies, mais aussi face à cette crise : Regarder ce qui a été construit en Europe, la paix que nous avons… et ce que les tensions d'aujourd'hui peuvent permettre de construire à nouveau de beau, de bon, de juste. Certains disent aujourd'hui que la crise apporte une remise en question qui nous sauvera. Au niveau économique et écologique.

Les chrétiens peuvent être ceux qui proclament que la remise en question, la repentance n'est pas une haine de soi, mais devant Dieu, un geste de libération paisible et fécond. Un geste qui nous fait rejoindre les autres, solidaires des autres et pas ennemis.

Cette épître est un testament et on comprend donc que la question de temps soit traitée ainsi, dans une urgence.

Et c'est vrai qu'il y a des moments où il faut bouger pour éviter une catastrophe, dans l'urgence.

Mais en face, Pierre parle de la Patience de Dieu. Une patience aimante. « La longue patience du Seigneur, c'est votre salut » écrit-il. Dieu attend que les hommes prennent conscience par eux-même de la situation.

Il nous demande alors que notre temps soit occupé à faire fructifier les talents, secourir les hommes fragiles.

Paul : Galates 6 : pendant que nous avons le temps, pratiquons le bien.

Et dans 1 Thessaloniciens 5. Vous êtes déjà dans la lumière…C'est dès maintenant que tout est accompli.

La foi permet d'habiter le temps donné sans connaître rien sur l'avenir, mais sans angoisse, dans la paix.

Le théologien J.Moltmann, visionnaire, écrivait : « la foi chrétienne ne regarde pas à partir du présent connu vers l’avenir obscur et inconnu ; elle regarde à partir de l’avenir de Dieu qu’elle espère vers le présent qu’elle rencontre, et c’est son espérance qui donne forme à son expérience. »1 Il n’est donc plus question d’optimisme ou de pessimisme pour aborder l’avenir, de peur ou de spéculation. L’espérance chrétienne prend en compte la réalité, mais cherche à comprendre et transformer le présent à la lumière du mouvement que Dieu a fait et promet de faire dans le monde : à travers le Christ, sa parole et les témoins d’hier et d’aujourd’hui.

Face à ceux qui s'affolent, ceux qui spéculent, qui annoncent des fins, qui font du commerce ou des campagnes avec ces peurs, l'Évangile que nous annonçons, donne la paix et l'enthousiasme, aujourd'hui et demain, dans la crise ou dans la paix.

L’Évangile est une promesse qui transforme ton présent.

Amen

 

Joël Dahan

1 Jürgen Moltmann, l’Espérance en action, Paris, Editions du seuil,1973, pp.89-92.