Je me souviens des jours où, potache en classe prépa, je passais mon temps dans mathématiques pures. C'était, pour moi, « la logique avant toute chose. » pour paraphraser Verlaine. Je n'avais que condescendance pour mes camarades qui faisaient des mathématiques « appliquées » que je considérais comme impures.

 

Longtemps, pour moi, pureté équivalut à logique. Ce bas monde était donc impur. Mais le regrettais -je vraiment ?

A l'âge de raison je compris enfin que « la chose la plus incompréhensible était que l'univers était compréhensible » (Albert Einstein dixit). La plupart y arrivaient par le bas. J'y étais arrivé par le haut.

Plus tard encore, je découvris que ce que j’appelais « le Dieu du Big Bang »  ( dont les équations avaient été découvertes par un Jésuite…). Il avait envoyé son alter ego parmi les hommes pour leur montrer, par sa vie,comment dépasser leurs instincts, par sa mort, la mesure de leur impureté et par sa résurrection, la voie de la pureté. Je commençais à comprendre que la pureté pouvait avoir d'autres acceptions que celle d'une logique universelle mais inhumaine. La science pure existait, certes, mais la pureté d’un métal ? la pureté du ciel ? Et, un cran plus loin : la pureté d'un sentiment ?La pureté d'un amour?

Il me fallut donc explorer l’impur. La lecture des souvenirs de Colette, « Le pur et l'impur », me montrait que l'on pouvait faire du pur avec le l'impur mais aussi de l’impur avec du pur. Il ne dépendait que de moi d'arbitrer entre les deux.C'était même un des principaux enjeux de ma vie. Moins mondain, mais plus édifiant, le Sermon sur la Montagne me donnait des pistes pour distinguer le pur de l'impur et des exemples pour agir selon l'enseignement de Jésus. Je pris ainsi la mesure de mon impureté et en creux,de ce que pouvait apporter à ma vie l’élan vers la pureté, même si cet idéal restait inaccessible. Je me méfiais de ces religions où il suffit de multiplier les gestes « légaux » pour se purifier sans douleur. Je me persuadais que les impératifs de pureté étaient profondément personnels, liés à ma conscience et que seul un « repentir », c'est à dire une conversion profonde pouvait me permettre de suivre l'enseignement de Jésus. La géométrie pure m'avait familiarisé avec la notion d'asymptote, c'est à dire au fait que l'on peut s'approcher d'une droite sans jamais l'atteindre. L 'obéissance à Jésus, le Sermon sur la Montagne, me donnaient l’ impression que je pouvais sans cesse devenir meilleur même si je devais désespérer jamais atteindre la pureté de Jésus.

Comment faire?

Chacun de mes actes peut m'éloigner ou me rapprocher de Jésus. Chacune de mes pensées porte en elle la pureté et l'impureté. Ma foi exige que le souci de distinguer le bien du mal soit au centre de moi-même. Si la lucidité me contraint à reconnaître que j'en suis incapable, la foi me persuade que l'appui de Jésus ne me manquera jamais, et qu'il est auprès de moi dans mes pires forfaitures. La plupart du temps cet appui prendra la forme d’ une rencontre plus que d’une lecture. Une parole,à un moment clé, peut tout faire basculer. Combien de fois me suis-je senti interpellé par Jésus à travers un de mes semblables ? Mes voix à moi, ce sont celles là.

Cette pureté que, jeune homme, je recherchais dans la « musique des sphères » , que j'avais cru entrevoir un jour derrière une équation compliquée dont le monde sensible me paraissait indigne, je l’ai cent fois retrouvée auprès d'un frère ou d'une sœur inconnus.

Christian Mégrelis 14 mai 2013