Psaume 130 : Depuis les profondeurs je t'invoque, SEIGNEUR ! Seigneur, entends-moi ! Que tes oreilles soient attentives à mes supplications ! Si tu prenais garde aux fautes, SEIGNEUR(Yah), Seigneur qui pourrait tenir debout ? Mais c'est auprès de Toi que se trouve le pardon, afin qu'on te craigne. J'attends le Seigneur. j'attends de toute mon âme, et j'espère en sa parole. Mon âme désire le Seigneur, plus que la garde ne désire le matin, plus que la garde le matin. Israël, mets ton espoir dans le SEIGNEUR, car le SEIGNEUR dispose de la grâce, et avec largesse, du rachat. C'est lui qui rachète Israël de toutes ses fautes.

 

Un jour, un parent me partagea la réflexion suivante : « Si je souhaite que mon enfant soit baptisé, c’est parce que j’ai envie qu’il sache qu’il y a quelqu’un vers qui on peut se tourner quand on est dans les profondeurs de la vie. »

Et par « profondeur de la vie », cette personne entendait bien sûr le malheur, la détresse… mais sa manière de dire les choses permettait aussi d’entendre « profondeur » dans un autre sens,  plus positif  profondeur pouvait aussi dire ici tous ces évènements heureux qu’il nous est donné de vivre comme la naissance d’un enfant, le ravissement éprouvé à l’écoute d’une belle musique ou lors de la contemplation d’un coucher de soleil, des évènements heureux donc qui nous font quitter la surface des choses, l’écume, pour nous emmener au-delà de la superficialité et des apparences.

Ainsi dans sa manière d’exprimer les choses, cette personne, sans le savoir, était très proche de cette vieille prière biblique du psaume 130.

Car dans ce psaume également, les profondeurs quand elles sont nommées ne sont pas de suite qualifiées. Il est écrit au verset 1 : « Depuis les profondeurs, je t’invoque Seigneur. » sans qu’aucun autre mot ne soit ajouté à « profondeur » pour préciser ce qu’on entend par là.

Une longue tradition d’interprétation a voulu voir ici dans profondeur : l’abîme, la fosse, le gouffre, ces profondeurs sombres et obscures de la vie. Du coup, ce psaume serait la prière qu’adresse un être humain lorsqu’il broie du noir, lorsqu’il est dans la détresse et découragé.

C’est vrai qu’il nous arrive de vivre de telles situations. Quand un être aimé nous quitte, - et là je pense tout particulièrement ce matin aux 2 familles endeuillées qu’il m’a été donné d’accompagner cette semaine et qui toutes deux ont vu leur proche disparaître brutalement, sans qu’elles aient pu se préparer à ce départ soudain-, quand un être aimé nous quitte, quand nous perdons notre boulot, quand un diagnostique tombe, nous ne pouvons plus continuer la vie comme avant. Des points de repères que nous pensions évidents et sûrs sont bousculés et nous vacillons. Nous ne pouvons plus voir les choses comme avant, sans que nous sachions de suite comment les regarder autrement.

Ici l’épreuve nous oblige à quitter l’évidence que nous tenions pour partir à la recherche d’autre chose et approfondir le sens que nous donnons aux choses. L’épreuve nous fait quitter les endroits où nous avons pied pour nous faire nager en eau profonde.

Mais cette découverte des profondeurs, il nous est aussi possible de l’expérimenter lorsque un événement positif survient. Cela peut être la découverte vécue grâce à une joie qui approfondit notre être. Et là, on pourrait entendre cette expression «  depuis les profondeurs » comme celle venant d’une personne qui s’est autorisé à vivre dans toute son épaisseur un événement heureux de l’existence.

Quand une joie l’a saisit, elle ne l’a pas réfrénée. En se laissant guider par elle, elle a accepté de rompre certaines habitudes, de cesser de fonctionner pour découvrir une autre dimension de la vie.

Ainsi, avec ce psaume 130, dès les premiers mots, une route nous est donnée. Ce psaume est un psaume des montées, précise-t-on. Mais pour qu’il y ait montée, il y a lieu d’abord d’accepter d’être emmené dans les profondeurs.

Les profondeurs de la vie qu’elles soient positives ou négatives, je n’ai pas à les craindre. Oui, c’est vrai : parfois, il me les faut vivre à un moment que je n’ai pas choisis ; et cela peut être profondément angoissant. Mais, il y a là une expérience qui fait partie du métier d’homme. On ne peut pas traverser l’existence en restant toujours à la surface.

Ainsi ce psaume par t’invite à oser nager au fond de ta vie, à laisser le passage des événements te travailler, te creuser, te labourer ; à laisser cette épreuve ou cette joie t’approfondir. Car en quittant la surface, tu lâches quelques chose, tu perds quelque chose aussi, mais aie confiance, ce geste d’abandon va te faire découvrir autre chose, parfois même quelque chose de meilleur que ce tu connais déjà.

Ceci étant dit, allons plus loin.

Le parent disait : « quand mon enfant sera dans les profondeurs de la vie, je souhaite qu’il sache qu’il y a quelqu’un vers qui on peut se tourner. »

C’est ce que fait le psalmiste. Depuis les profondeurs, il se tourne vers son Dieu.

« Depuis les profondeurs, je crie vers toi Seigneur. »

Là, nous abordons une question tout à fait fondamentale de notre vie de foi.

Quand nous sommes au milieu des profondeurs, qu’est-ce que cela veut dire : se tourner vers Dieu ?

Une personne me confiait un jour qu’elle n’avait plus envie de prier. La situation difficile qu’elle traversait l’avait fait quitter la surface des choses. Or là dans les profondeurs sombres et inconnues où elle évoluait, elle n’arrêtait pas de se tourner vers Dieu, de prier pour lui demander de l’aide, mais rien ne se passait. Lasse et découragée, elle avait envie de baisser les bras.

Si tel est aussi ton cas aujourd’hui, permets que nous passions encore quelques minutes à méditer ce même premier verset du psaume 130.

A ma grande surprise, j’ai réalisé la chose suivante en étudiant ces quelques mots. Il n’est pas dit : depuis les profondeurs, je te demande Seigneur ; non, il est écrit : depuis les profondeurs, je crie vers toi.

Quand nous avons l’impression de tourner en rond, il me semble que ce détail peut ouvrir devant nous une route intéressante. Car au lieu d’encourager les priants à s’adresser à Dieu en demandant, demandant, demandant et ainsi entretenir une attente qui peut souvent se muer en déception quand il apparaît qu’elle n’est pas honorée comme on l’espérait, eh bien au lieu de cela, ce verset du psaume 130 encourage simplement le priant àcrier.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

Depuis les profondeurs, crier, ce n’est pas demander à Dieu de faire ceci ou cela, c’est avant tout Lui exprimer tout ce que je ressens. Lui dire, et s’il le faut en criant, tout ce qui m’habite, porter devant lui en toute sincérité le fond de ma pensée. Ne rien lui cacher. Ne rien refouler de mes émotions. Oser lui dire en vérité et sans crainte le flot des pensées.

La force de la prière est là. Prier, ce n’est pas avoir une télécommande entre les mains et presser sur un bouton en attendant que cela fasse son effet. Prier, c’est accepter de se mettre en présence de quelqu’un qui peut tout entendre de ce que j’ai à dire. Quelqu’un qui ne me chassera pas, qui ne se vexera pas si j’exprime les choses avec maladresse. Quelqu’un devant qui, je n’ai pas à calculer pour dire ce que j’ai à dire afin d’être sûr de lui faire plaisir ou que je sois bien entendu.

Non, quand on est au milieu des profondeurs, la prière est une force, car elle est un état où je peux balbutier maladroitement ce que j’ai besoin de dire, et tant pis si je le dis maladroitement… Crier mes angoisses face à l’inconnu, crier ma tristesse d’avoir dû quitter une sécurité et de me retrouver ainsi à devoir ramer sur un océan d’incertitude ; crier ma colère aussi peut-être. Car ce n’est qu’en les exprimant que je vais pouvoir faire un chemin.

Si je dois garder tout cela pour moi parce que l’autre en face n’est pas capable de les entendre… Si je ne me donne pas l’autorisation de les dire et que je les mets sous le tapis, que je les refoule au fond de moi parce que je veux absolument garder intact l’image que je me fais de moi-même et que je veux surtout que les autres gardent de moi l’image d’une personne forte qui sait gérer toutes les situations… Eh bien, loin de me libérer, ces attitudes vont entretenir au fond de moi la peur et l’angoisse.

A l’inverse : pouvoir exprimer le fond de ma pensée, c’est le meilleur moyen de ne plus être gouverné par la colère ou la peur.

Ainsi, quand tu es dans le noir, dans la fosse, l’abîme, cette parole du psaume t’encourage à porter devant Dieu toute la houle de ton cœur. Cette parole du psaume t’invite à cette confiance fondamentale que Dieu est cette oreille attentive pouvant tout comprendre et tout entendre de ce que tu as à dire.

Qu’est-ce que cela change de pouvoir déposer en Lui tes sentiments les plus intimes et profonds ?

Dieu n’est pas n’importe qui ! Il est ton Créateur. Comme il a su, à partir de la glaise, façonner l’humain et en faire une créature vivante, de même, Il peut en soufflant sur tes sentiments les transformer et les rendre porteurs de vie.

Car tout sentiment profond peut un jour ou l’autre devenir porteur de mort.

Cela est évident pour une tristesse, une colère. Mais cela peut aussi l’être, même si c’est moins évident pour une joie profonde. Car quand cette joie, on a peur de la perdre, quand elle nous conduit à vouloir l’assurer en ne la gardant que pour soi, quand on n’autorise plus les autres à être ce qu’ils sont pour que soi, on puisse garder la joie, alors la joie, bonne en soi, devient un tremplin nous emmenant sur un chemin de rétrécissement et de repli sur soi.

Ainsi porter devant Dieu tous nos sentiments, positifs et négatifs, c’est Lui donner l’occasion d’accomplir à nouveau son œuvre créatrice. Quelles que soient les profondeurs dans lesquelles je me trouve, il n’y a rien à craindre en me tournant vers Lui, mais tout à espérer.

Or ceci étant dit, allons encore un peu plus loin. Et ce sera mon dernier point.

Oui, allons un peu plus loin, puisque justement dans ce psaume, il est question de crainte.

« Si tu prenais garde aux fautes, Seigneur, qui pourrait tenir debout ? Mais c’est auprès de Toi que se trouve le pardon afin qu’on te craigne. »

Après avoir exhorté le priant à crier à Dieu pour tout lui dire, le psalmiste semble dire qu’il nous faut aussi craindre Dieu. N’est-ce pas un peu contradictoire ? Quand nous nageons dans la profondeur de la vie, que devons-nous craindre ?

Permettez-moi ici de faire le développement suivant.

Il est des relations que nous investissons beaucoup, car elles sont très précieuses à nos yeux.

Le contact tissé avec le conjoint, l’ami est précieux à nos yeux car il nous permet de vivre de belles choses. Grâce à ce lien où nous nous sentons en sécurité, nous trouvons les ressources pour explorer le vaste monde. Cela ne vous est-il pas déjà arrivé de vous dire : Ah, si cet ami n’avait pas été là, jamais, je n’aurais eu le courage d’entreprendre ce voyage qui m’a fait aller à l’autre bout du monde ! Ou bien : Ah, si mon conjoint n’avait pas été là, jamais, je n’aurais osé aller seul à cette réunion ou m’engager dans cette association.

Or voilà qu’un jour, des orages interviennent dans cette précieuse relation. Une explication commencée fraternellement dérape et des paroles blessantes jaillissent ; sans que nous l’avions mesuré, cette précieuse relation charriait non seulement une grande complicité, mais aussi des attentes déçues, des agacements, du ressentiment. Et voilà que tout cela éclate au grand jour. Et nous réalisons tout à coup que la complicité était une surface sous laquelle sommeillait bien des choses.

Dans ces moments-là, nous sommes aux prises avec une décision difficile à prendre : que faut-il faire ? Faut-il veiller à assurer le lien coûte que coûte   au point de vite effacer l’offense vécue ou provoquée ? Faut-il assurer coûte que coûte cette relation au point de cacher sous le tapis tous les sentiments ne sentant pas bon et qui pourraient si on leur accordait trop d’importance tuer le lien ?

Quand nous sommes offenseurs dans une telle relation, offenseur sans vraiment l’avoir cherché, ni prémédité, mais offenseur quand même, la tentation est grande de nier. Car reconnaître que nous avons fait du mal à celui ou celle que nous aimons n’est pas facile. Il faut que nous acceptions que nous avons failli dans le rôle que nous voulions tenir et accepter de nous voir imparfait, maladroit ou méchant.

Quand nous sommes offensés dans une telle relations, la tentation est grande également de refouler les émotions que nous ressentons. Accepter d’avoir été blessé par celui ou celle que nous aimons paraît parfois insurmontable. Une profonde peur nous habite qu’en exprimant vraiment ce que nous ressentons nous risquons de perdre la relation.

Si tout cela devait vous arriver, sachez qu’il y a dans le psaume 130 une parole libératrice :

« Seigneur, si tu gardes les fautes dans ta mémoire, qui pourra tenir debout ? Mais toi, tu peux pardonner et ainsi, on te craindra dans le sens de : on te respectera. »

Pourquoi une telle parole est-elle libératrice ?

Parce qu’elle réoriente notre crainte. Nous avions peur que nos limites et nos fautes tuent le lien précieux. Ce psaume nous dit : les fautes font partie de l’aventure humaine. Ne leur donne pas trop d’importance. Si tu dois craindre au sens de respecter quelque chose, eh bien que ce soit la capacité divine de pardonner.

Accepte, même si c’est désagréable que l’estime que tu as de toi-même soit écornée. Reconnais que tu es parfois capable, même si tu ne le voulais pas, d’être un offenseur ; reconnais également que d’autres fois, tu es aussi capable d’être trop gentil au point de te faire avoir.

Ainsi, au lieu d’avancer dans la vie en étant fier de toi, tu avanceras en ayant une vive conscience de tes limites et celles des autres. Mais cela ne veut pas dire que les relations précieuses ne perdureront pas. Car ce psaume t’invite en te tournant vers Dieu à ne pas en rester là.

« Seigneur, si tu gardes les fautes dans ta mémoire, qui pourra tenir debout ? Mais toi, tu peux pardonner et ainsi, on te respectera. »

N’aie pas peur de tes fautes. Apprends plutôt à craindre, au sens de respecter Celui qui peut te donner l’élan pour les dépasser.

Là aussi, se placer devant Dieu, c’est se situer devant un visage qui n’exige pas de nous que nous soyons superficiels, lisses et parfaits. Lui connaît bien notre profondeur, Il sait bien de quelle pâte nous sommes faits et Il nous pardonne de n’être que ce nous sommes ; car Il sait que ce « que » n’est pas rien ; si notre fond est limité, il n’en est pas moins rempli de ressources.

Ainsi, grâce à cette acceptation inconditionnelle de la part de Dieu, je peux tenir debout, je peux regarder en vérité mes failles, mes fautes, mes blessures sans être écrasé par elles.

Parce que Dieu me dit, tu vaux mieux que tes actes, je peux ainsi oser m’engager dans les différentes relations qui me sont chères sans avoir crainte qu’elles meurent à cause de mes fautes, mais en acceptant mes limites, mes erreurs et tout le reste qui nous est donné par surcroit.

Amen

 

Prédication en partie inspirée par un message de Louis Pernot : http://www.eretoile.org/Predications/de-profundis-le-psaume-130.html