Psaume 127 : Si le SEIGNEUR ne bâtit la maison...

1 Chant des montées. De Salomon. Si ce n’est le SEIGNEUR qui bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent inutilement ;

si ce n’est le SEIGNEUR qui garde la ville, celui qui la garde veille inutilement.

 

2 C’est inutilement que vous vous levez tôt, que vous vous couchez tard et que vous mangez le pain de la peine : il en donne autant à son bien-aimé pendant qu’il dort.

3 Des fils sont un patrimoine du SEIGNEUR, le fruit du ventre maternel est une récompense.

4 Comme des flèches dans la main d’un vaillant guerrier, ainsi sont les fils de la jeunesse.

5 Heureux l’homme qui en a rempli son carquois ! Ils n’auront pas honte, quand ils parleront avec des ennemis à la porte de la ville.

 

Le titre de cette matinée Déclic s’inspire d’un texte de Khalil GIBRAN :

Et une femme qui portait un enfant dans les bras dit: Parlez-nous des Enfants. Et il dit : Vos enfants ne sont pas vos enfants. Ils sont les fils et les filles de l'appel de la Vie à elle-même, ils viennent à travers vous mais non de vous. Et bien qu'ils soient avec vous, ils ne vous appartiennent pas. Vous pouvez leur donner votre amour mais non point vos pensées, car ils ont leurs propres pensées. Vous pouvez accueillir leurs corps mais pas leurs âmes, car leurs âmes habitent la maison de demain, que vous ne pouvez visiter, pas même dans vos rêves. Vous pouvez vous efforcer d'être comme eux, mais ne tentez pas de les faire comme vous. Car la vie ne va pas en arrière, ni ne s'attarde avec hier.Vous êtes les arcs par qui vos enfants, comme des flèches vivantes, sont projetés. L'Archer voit le but sur le chemin de l'infini, et Il vous tend de Sa puissance pour que Ses flèches puissent voler vite et loin. Que votre tension par la main de l'Archer soit pour la joie; Car de même qu'Il aime la flèche qui vole, Il aime l'arc qui est stable.

In Khalil Gibran, le Prophète

PREDICATION : Non faire pour, mais faire avec…

Quel arc sommes-nous dans les mains de l’archer ?

Une des caractéristiques du métier de parent n’est-ce pas être une personne qui pense à l’avenir de ses enfants ? Une personne qui aura bien anticipé afin de pouvoir léguer à ses enfants un patrimoine permettant à ces derniers d’avoir un tremplin leur permettant d’aller au bout de leurs projets.

Et c’est ainsi que le parent se met en piste en travaillant dur, en économisant afin que peu à peu se constitue un patrimoine. C’est une entreprise de longue haleine. Il faut parfois toute une vie pour rembourser la totalité du prêt. Mais ce qui donne du sens à tous ces efforts, c’est de se dire que le bien ne sera pas perdu, qu’il perdurera… Qu’après nous avoir servit, il pourra aussi être utile à ceux qui resteront.

Pour en arriver là, il faut se lever tôt. Au sens de se mettre en piste tôt. On ne peut pas se réveiller à 60 ans et se lancer dans une telle entreprise. L’autre jour, j’ai rencontré un ami me disant le souci qu’il se faisait, car étant dans la quarantaine et ayant un travail avec un salaire inférieur à ce qu’il avait imaginé, il n’arrivait pas à rembourser la banque à la hauteur de ce qu’il avait prévu. Du coup, cela prolongeait la durée du prêt et cela l’inquiétait. Car dans 10 ans, au moment où ses enfants voudront entamer des études, aura-t-il assez de moyens pour assumer tout de front ?

Et c’est ainsi que d’avoir le souci de l’avenir peut aussi parfois faire que nous nous couchons tard. Oui, nous passons des soirées à élaborer des plans que des circonstances viennent malmener et qu’il nous faut refaire autrement, avec toujours une question qui reste en suspens : est-ce là ça va passer ? A-t-on pensé à tout ? Pour que les projets ne soient pas aussi illusoires que ceux d’acquérir des châteaux en Espagne, avons-nous réussi à intégrer tous les paramètres ?

Là, j’ai parlé des parents, mais cela ne veut pas dire que dans ma prédication, je ne vais m’adresser qu’à eux.

Le fait de se lever tôt et de se coucher tard peut être aussi le quotidien de bien des personnes travaillées par l’envie de s’engager dans un projet donnant du sens à leur vie. Pas un petit projet vite fait, bien fait. Mais des personnes qui ont faim pour se lancer dans un projet ambitieux, qui leur fait peur tout autant qu’il les enthousiasme. Un projet qui, elles le savent, demandera du temps, du travail, des efforts pour se réaliser. Un projet qui les fera suer, c’est sûr, mais qui en même temps, elles le sentent, les rendra heu-reuses.

Elles aussi, ainsi se retrouvent dans la situation de devoir se lever tôt pour pousser, stimuler, veiller afin que le projet garde le cap et qu’il arrive un jour à bon port. Elles aussi se coucheront tard quand leur plan seront contrecarrés et qu’il faudra en imaginer d’autres.

Quand on s’engage dans une entreprise de longue haleine, on aimerait bien tous être des arcs, des instruments permettant au projet d’aller plus loin. Mais parfois aussi, le souci de mener à bien l’entreprise est tel que l’arc devient archi-tendu, tellement tendu qu’on peine à le bander pour pouvoir envoyer la flèche.

Et c’est là qu’il peut être intéressant de méditer le psaume 127.

Tout d’abord, que c’est un psaume des montées. Intéressante, cette indication. Au delà d’une notice pour dire que c’était une prière qui était récitée sur la route menant à Jérusalem lorsque les pèlerins montaient vers le temple, au-delà d’une notice musicale pour dire que ce chant était à interpréter selon une tonalité qui évoluait de degré en degré au passage de chaque strophe, je vois dans cette mention une indication symbolique affirmant que l’enjeu de cette prière est de permettre à celui qui la médite de vivre une montée intérieure.

Que celui qui, engagé dans l’édification d’une grande œuvre, se reconnaît dans cette image d’avoir l’impression de manger le pain de la peine, ( autre traduction : le pain des soucis ), eh bien que celui là, en méditant cette prière puisse recevoir une parole l’aidant à ne plus rester plaqué au sol, écrasé par les soucis, le nez dans le guidon, mais à vivre une détente qui l’allège, l’élève.

Il y a, d’ailleurs, un jeu de mot dans le texte hébreu que je trouve tout à fait intéressant à relever. Hatsavim = souci ; en rajoutant une toute petite lettre, cela donne iatsavim = idoles ; en latin le jeu de mot est possible également puisque souci est traduit dolorum ; si on y rajoute i, cela donne idolorum = idole.

Ainsi ici les idoles, ce serait toutes ces autorités qui nous font nous lever tôt et nous coucher tard et devant lesquelles nous nous inclinons parce que nous pensons qu’elles nous donneront du pain. Mais la nourriture qu’elles nous donnent les idoles, ne fait qu’alimenter en nous le souci. Entre leur main, l’arc au lieu de garder sa souplesse s’abîme et finit par casser.

Ainsi ce psaume nous invite à vivre un allègement qui élève, une montée intérieure pour que nous apprenions à Débusquer ces idoles pour peu à peu s’orienter vers le Seigneur, voilà ce qui permet de vivre un allègement qui élève, de vivre une montée intérieure. Car nous sommes entre les mains de l’archer véritable, l’arc est soigné, nourri par un pain, une huile qui lui permet d’accomplir ce pour quoi il a été créé sans s’abîmer.

Alors qu’est-ce qui dans ce psaume pourrait nous aider à dépasser le pain de nos soucis et vivre cette montée intérieure ?

Je trouve très intéressant de noter que ce psaume est mis en relation avec Salomon, avec une figure royale.

Dans l’imaginaire, le roi est celui qui peut tout. Quand il ordonne de bâtir un édifice, cela se fait. Quand il ordonne de garder la ville, cela se fait également. Il a l’autorité pour décider cela. Si lui ne l’a pas, qui l’aura ?

Et du coup, on s’imagine que pour mener à bien tous nos projets, il nous faudrait être des rois.

Or voilà que ce psaume vient déconstruire cet imaginaire. Celui qui te fait croire qu’il faut être roi et que le roi peut tout, c’est une idole. Si tu suis ses insinuations, tu vas t’épuiser.

Car la figure royale n’est pas tout. Si son autorité n’est pas au service d’une dynamique plus vaste que son ambition personnelle, alors elle devient vaine.

Étonnant ce psaume qui nous dit que la figure royale n’est pas celle que l’on croit. Le roi véritable, celui qui tient le gouvernail permettant au projet d’arriver à bon port, ce n’est pas celui qui pense qu’il ordonne, contrôle et maîtrise tout. Le roi véritable est celui qui sait s’inscrire dans une dynamique plus vaste que sa propre couronne. Est roi non pas celui qui fait faire, qui fait pour ; est roi, celui qui a appris à se mettre au service d’un projet plus vaste que lui, qui a appris à faire avec…

« Si le Seigneur ne bâtit la maison, en vain peinent les bâtisseurs ; si le Seigneur ne garde la ville, en vain guette le veilleur. »

Derrière cette phrase, il y a toute une critique. Non pas faire faire ou faire pour, mais apprendre à faire avec.

Dans la symbolique biblique, Salomon est justement celui qui a construit le temple. Or voilà que ce psaume, au lieu de le statufier, vient justement relativiser son œuvre. Pourquoi ?

Parce que la Bible est très méfiante vis-à-vis des bâtisseurs. D'après elle, le premier à bâtir une ville est Caïn, le frère assassin, et c'est peut-être pour se protéger. Ensuite il y a les constructeurs de la tour de Babel, ceux qui veulent monter jusqu'à Dieu et construire une civilisation unique et uniforme sur toute la terre ; Dieu est contre cette globalisation. Puis il y a le roi David qui veut construire un temple pour Dieu à Jérusalem, et Dieu lui répond qu'il n'a rien demandé de tel.

Pourquoi une telle méfiance ? Parce que les gens religieux désirent souvent faire quelque chose pour leur dieu, quelque chose de grand, d'imposant, de beau, que ce soit en bâtiments et en œuvres. Les gens religieux veulent montrer et imposer la grandeur de leur Dieu, et le rendre plus grand encore.

Et en même temps, plus ou moins consciemment, ils veulent avoir leur part de cette grandeur et de cette gloire. La grandeur de Dieu, c’est celle de leur religion. Il faut que cela se voie, et que cela soit éternel. Et il faut que la gloire de leur Dieu serve leur propre gloire. Et c'est ainsi que David veut construire un temple qui serait comme une annexe du palais royal. En voulant faire quelque chose pour son Dieu, pour la grandeur de son Dieu, il annexe, enferme et domestique Dieu.

Faire quelque chose pour Dieu, construire quelque chose pour Dieu, voilà la tentation religieuse par excellence. Elle est à l'origine de remarquables œuvres d'art, mais aussi de toutes les violences et de toutes les tyrannies religieuses de l'histoire.

Car ce que l'homme fait de bon ou de mauvais est toujours provisoire. Les empires les plus puissants disparaissent, les monuments les plus prestigieux sont sujets à l'érosion et à la ruine, et le vent du désert souffle sur les débris de Ninive et de Babylone.

Bâtir quelque chose pour Dieu, c'est une prétention dérisoire. Et comment pourrions-nous rendre Dieu plus grand ?

Désolé : notre foi, notre ferveur, nos louanges, nos cérémonies, nos bâtiments, notre obéissance ne peuvent pas rendre Dieu plus grand.

Désolé encore : notre incroyance, notre indifférence, nos blasphèmes, notre désobéissance ne peuvent pas le rapetisser, quoi que nous pensions.

Aussi bien, le Psaume dit : "Si ce n'est pas le Seigneur qui bâtit la maison, ceux qui la bâtissent travaillent inutilement…"

Là où nous sommes tentés de bâtir quelque chose pour Dieu, la Bible renverse la vapeur et dit : "C'est Dieu qui bâtit la maison, sinon il n'y a que du vent." Ce n'est pas l'homme qui doit agir pour Dieu, c'est Dieu qui agit pour l'homme.

Ce renversement de perspective peut être une prise de conscience salutaire lorsque nous sommes engagé dans de longs et audacieux projets.

Ainsi la fécondité d’un projet n’est pas dans la somme d’effort fourni pour atteindre le but, mais dans l’écoute patiente : comment là, le Seigneur est-il à l’œuvre ? Comment faire corps avec son projet à lui et non poursuivre le mien ? Il ne s’agit pas de faire pour, mais de faire avec…

Ceci étant dit, ce psaume ne vire pas dans une invitation à la paresse. Il n’invite pas à sortir du rôle de bâtisseur. Il n’ y a pas lieu de sortir de tout projet pour vivre au fil de l’eau. Non, il y a lieu, au cœur du projet de le vivre en écoutant l’Esprit parler à notre esprit. Et ainsi de laisser le chemin s’inventer sous nos pas.

Comprendre et accepter les projets de Dieu n’est pas une mince affaire. Cependant le psaume nous dit que l’étincelle venant illuminer l’esprit et éclairer l’intelligence ne viendra pas forcément si on se lève tôt ou si on veille tard, il arrive bien souvent qu’elle survienne au creux du sommeille, lorsqu’on lâche prise et qu’on s’établit dans la confiance…

Cette critique destinée à tous les bâtisseurs vise simplement à rappeler que Salomon n’a pas à s’inquiéter de l’avenir de son royaume et de sa dynastie. Cela ne lui appartient pas. Tout cela est dans la main de Dieu, car c’est Lui qui conduit et fait perdurer les projets.

Son bonheur viendrait du fait qu’il accueille l’œuvre que le Seigneur bâtit au travers de lui.

Et là, en jouant sur les différentes expression de « bâtir une maison », le psaume déplace les regards.

Nous pensions que la maison à bâtir était un édifice à réaliser. Voilà qu’il nous dit que la maison à bâtir est un fruit à recevoir, le fruit des entrailles, des enfants, une famille.

Nous pensions que ce qui allait donner de la valeur et du sens à notre vie, c’était de pouvoir aligner des réalisations qui seraient comme tout autant de trophées stables et pérennes que l’on pourrait garder près de nous. Or, au lieu de cela, le psaume nous dit que le bonheur qui comble, c’est d’avoir des enfants qui sont comme tout autant de flèches dans notre carquois.

Or la flèche est destinée à être perdue. Rien ne sert de la garder pour soi, avec soi. Sa fonction est de partir. Ainsi, ce qui comble le désir, c’est de remplir son carquois de quelque chose qui va partir. Derrière cette image, il n’y a aucune idée d’accumulation, mais plutôt d’abandon, de confiance.

Voilà comment ce psaume nous aide à vivre une montée intérieure.

Le pain des soucis, c’est de vouloir encore et toujours faire des projets pour… Des projets pour Dieu, mais cela peut être aussi faire des projets pour nos enfants, pour les autres…

Il n’y a pas lieu de faire des projets pour… Il y a simplement à accueillir le fruit que Dieu fait advenir au milieu de nous ; un don qui n’est pas un trophée à conserver ; mais une flèche dont la destinée est d’aller au loin…

Amen

Luc-Olivier Bosset

Message en partie inspiré d’une prédication d’Alain Arnoux