Luc 12, 22-34 : Jésus dit ensuite à ses disciples : c’est pourquoi je vous dis : Ne vous inquiétez pas pour votre vie, de ce que vous mangerez ni, pour votre corps, de ce dont vous serez vêtus.

Car la vie est plus que la nourriture, et le corps plus que le vêtement. Considérez les corbeaux : ils ne sèment pas, ils ne moissonnent pas, ils n’ont ni cellier, ni grange ; et Dieu les nourrit. Or vous valez plus que les oiseaux, combien plus ! Qui de vous peut, par ses inquiétudes, rallonger tant soit peu la durée de sa vie ? Si donc vous ne pouvez pas même la moindre chose, pourquoi vous inquiétez-vous du reste ? Considérez comment poussent les lis : ils ne travaillent pas, ils ne filent pas ; cependant je vous dis que pas même Salomon, dans toute sa gloire, n’a pas été vêtu comme l’un d’eux.

Si Dieu habille ainsi l’herbe qui est aujourd’hui dans les champs et qui demain sera jetée au four, à combien plus forte raison le fera-t-il pour vous, gens de peu de foi ! Et vous, ne cherchez pas ce que vous allez manger ou ce que vous allez boire, et ne vous tourmentez pas. Tout cela, en effet, c’est ce que les gens de toutes les nations du monde recherchent sans relâche ; votre Père sait que vous en avez besoin. Cherchez plutôt son règne, et cela vous sera donné par surcroît. N’aie pas peur petit troupeau ; car il a plu à votre Père de vous donner le Royaume.

Vendez vos biens et donnez-les par des actes de compassion. Faites-vous des bourses qui n e s’usent pas, un trésor inépuisable, dans les cieux, là où aucun voleur n’approche et où aucune mite ne ronge. Car là où est votre trésor, là aussi sera votre cœur

L’autre jour pour, j’ai eu un souci avec ma tablette. Je suis retourné au magasin et un conseiller compétent qui m’a dit : - quand l’avez-vous achetée ? En 2012 ai-je répondu. Ah, c’est un modèle ancien sur lequel vous avez mis à jour un programme récent; votre appareil n’est pas prévu pour tourner avec des programmes aussi puissants ; c’est la raison pour laquelle vous avez des soucis.

Je suis resté songeur… 2012, un modèle ancien…

Nous vivons dans un système de l’obsolescence programmée. On court après des produits dont on nous vante les bienfaits, dont on nous dit qu’ils sont le Graal, cette coupe contenant un brevage nous rendant immortel… Alors on les veut ! Et une année après, on nous dit : ah ben non, ils sont anciens, dépassés… Nous n’avons pas le temps d’exprimer notre déception que déjà notre attention est captée par les pubs annonçant la sortie d’un produit plus rapide, plus tactile, plus intuitif dans son interface ; et nous voilà reparti dans une autre quête…

Ce système fait qu’à présent, au prix du produit, on vous fait presque systématiquement ajouter le prix d’une garantie. C’est tellement évident que dans une année, vous aurez des problèmes avec votre bécane, qu’on vous dit qu’il vous faut mieux assurer vos arrières en contractant cette garantie …

Ainsi, nous sommes pris dans un système d’obsolescence programmée où pour ne plus avoir de soucis, soit on amasse les garanties, soit on jette et on achète à neuf…

Face à ce système, comme semble candides et un peu dépassées les paroles de Jésus : lui qui dit au lieu d’orienter notre regard vers le produit dernier cri nous propose d’admirer des choses que tous nous avons déjà vu ; des corbeaux – c’est pas gracieux un corbeau ! c’est noir et ça chante mal – et des lys – c’est magnifique un lys, ça délivre un parfum fin et subtil, mais ça dure pas longtemps…

Face à ce système, dépassées les paroles de Jésus ?

Je n’en suis pas du tout sûr !

Cette semaine, j’ai entendu une phrase dans les médias tout à fait intéressante. Elle a été prononcée par le lauréat du prix Goncourt, Pierre Lemaître qui disait : « je vis un éblouissement ; ce prix, cette reconnaissance, personne, sauf erreur, ne pourra me l’enlever… »

Quel contraste avec le système de l’obsolescence dans lequel nous vivons !

Cet homme parle là d’un trésor qui ne s’use pas, qui ne devient pas de suite périmé. Ou pour reprendre les mots de Jésus : D’un porte-monnaie qui ne s’use pas, d’une richesse que les voleurs ne peuvent pas lui prendre, ni les mites venir ronger.

En apprenant à écrire, à mettre par écrit ses idées, en rédigeant des romans, cet homme a été mis en contact avec quelque chose qui l’a profondément enrichi. Ce bien inoxydable qui l’a enrichi, il ne l’a pas acheté comme on achète un produit fini. Non, c’est un bonheur –un éblouissement comme il dit- qui s’est peu à peu formé en lui.

Au départ, peut-être que pour lui, comme souvent pour nous, le fait d’être devant une page blanche, c’était une corvée. Essayer de la remplir, une souffrance.

Mais peu à peu, en apprenant à jouer avec les mots, en cherchant les phrases  qui touchent ou qui claquent, il a été mis en contact avec une nourriture délicieuse tonifiant son âme. En écrivant et en mangeant des livres et en mâchant les histoires qu’ils contiennent, son palais s’est ainsi formé.  Et c’est ainsi que cette occupation au lieu de lui vider la tête lui a  donné des papilles lui permettant de sentir, de détecter le es richesses qui sont cachées dans son présent.

Du coup, d’un fait divers ou un fait historique qui pour beaucoup aurait été fade et sans épaisseur, il a appris à en extraire des histoires et des intrigues haletantes ; surtout, il a appris à ne pas déballer ces richesses n’importe comment, mais en prenant le temps de les raconter de manière à les mettre en valeur…

Le gros caillou qu’il a mis en premier dans sa vie, la lecture et l’écriture lui a permis d’apprendre à goûter et à extraire le trésor qui se trouve dans son présent. Ca, pratiquer une telle activité, c’est un trésor qui ne s’use pas.

Pourquoi est-ce que je vous raconte tout cela ce matin ?

Parce que nous cherchons tous à remplir notre vie… Depuis que nous sommes nés, nous avons du temps devant nous. Pour en faire quoi ? Cela, c’est à chacun de répondre…  C’est à chacun de trouver l’activité qui lui permette de ne pas passer sa vie à s’ennuyer…

C’est à chacun de trouver le métier qui lui permettra par la suite de passer ses jours, ses mois, ses années sans s’ennuyer.

C’est à chacun de trouver des activités de loisirs, que ce soit le sport, la musique, le théâtre, la poterie, le dessin, l’apprentissage de la langue des signes pour ensuite passer son temps sans s’ennuyer.

Et je dirai même plus, c’est à chacun de trouver  son gros cailloux et de le  mettre en premier dans son emploi du temps afin que sa vie ne soit pas remplie par de graviers, de sables, ces choses envahissantes,  mais qui au final ne  le rende pas heureux…

Car si nous ne faisons pas ce choix, la publicité viendra nous souffler la réponse que nous n’aurons pas su donner. Elle viendra de manière séduisante, alléchante nous dire avec quel gros cailloux, il nous faut remplir notre vie. Sauf que, pour que son système marche, il faut que nous payons les cailloux et que ces derniers soient rapidement remplacés par d’autres cailloux plus performant et plus chers…

Attention, je suis pas en train de dire que la publicité, c’est le diable et qu’il faut l’interdire. Non, je suis en train de dire qu’il nous faut apprendre à vivre avec elle, mais sans  la laisser prendre l’ascendant sur nous, la laisser nous dicter ses caprices et nous transformer en machine à consommer.

Pour apprendre à vivre avec elle sans nous laisser être dominé par elle, il y a lieu je crois de nous mettre à l’écoute d’autres voix.  Des voix qui nous encouragent à pratiquer durant le temps qui nous est donné sur cette terre des activités nous mettant en contact avec un trésor inoxydable, un trésor qui n’arrivera pas tout cuit dans notre bouche, un trésor que nous découvriront peu à peu, qui tranquillement se formera en nous ; mais un trésor que personne ne pourra nous enlever !

Et c’est là que la parole de Jésus, même si elle est vieille et qu’elle a dépassé tous les délais de péremption qu’on puisse imaginer, demeure d’une pertinence et d’une fraicheur incroyable.

Car elle nous invite à découvrir un de ces trésors qui ne s’oxyde pas.  C’est le trésor de la confiance.  L’activité que Jésus nous propose de pratiquer, c’est vivre en faisant confiance.

Là où,  sans le dire, la publicité avive en nous la peur de manquer, là où sans le dire, le système dans lequel nous sommes s’organise pour vivre dans une obsolescence programmée, la parole de Jésus quand à elle  nous propose de tendre vers une activité qui nous rendra paisible et joyeux durablement : elle nous invite à sortir des soucis en faisant confiance au Père qui sait ce dont nous avons besoin.

Qu’est-ce que cela veut dire ?

«  Ne vous faites pas de souci pour votre vie et votre corps. Ne vous demandez pas «  qu’est-ce que nous allons manger ? Avec quoi est-ce que nous allons nous habiller ? » Certes, vous avez besoin de toutes ces choses, mais Dieu, le Père le sait bien. Alors faites-lui confiance. Apprenez à recevoir toute la nourriture, toute l’énergie qu’il y a dans l’instant présent.

Regardez les oiseaux du ciel, ils ne sont pas en train de chercher des frigos toujours plus grands pour être sûr de ne rien manquer et pourtant, ils ne meurent pas de faim ; dans chaque jour qu’ils vivent, ils trouvent la nourriture dont ils ont besoin pour ce jour ; et le lendemain, ils trouvent dans le lendemain la nourriture dont ils ont besoin pour ce jour-là .

Voilà la pratique à laquelle nous invite Jésus : vivre en faisant confiance que nous sommes accompagnés par une Présence bienveillante, notre Père céleste qui sait ce dont nous avons besoin. Jésus ne propose pas de se détacher du système mondain en devenant des ascètes qui ne mangent que du pain sec et ne boivent que de l’eau. Jésus ne propose pas d’éteindre nos besoins. Non, il dit : Quelqu’un veille pour que dans chaque jour te soit donné ce dont tu as besoin pour ce jour.

Quand vous venez au temple, au KT, vous rejoignez un groupe de gens s’exercent à vivre cet enseignement de Jésus.

C’est pas toujours facile de mettre en pratique cette parole. Parfois, souvent, on doute, l’angoisse de manquer, la peur face à l’avenir reprend le dessus. Dans ces cas-là, il est bon comme Jésus nous y invite de laisser notre attention être focalisée non sur nos soucis, mais sur les corbeaux et les lys.

De les observer ces corbeaux, ces lys et peu à peu de réaliser les choses suivantes :

Les corbeaux à l’époque de Jésus n’étaient pas des animaux particulièrement appréciés parce que c’était, tout comme aujourd’hui, des animaux disgracieux, et charognards sur les  bords.

Eh pourtant, Dieu veille à ce qu’ils puissent trouver de quoi se nourrir chaque jour. S’ils vous arrivent de vous sentir indignes et disgracieux, ne méritant pas qu’on prenne soin de vous, rappelez-vous que Dieu ne s’arrête pas au regard que vous vous portez sur vous-mêmes. Il prend soin de vous chaque jour comme il prend soin des corbeaux. Cela ne dépend pas de vos mérites, ni de vos bonnes notes.

De même en observant les lys, on apprend une autre facette de la confiance.

Son élégance ne fabrique pas en s’adjoignant une multitude de béquilles extérieures, il ne cherche pas de manière artificielle à changer de nature, à devenir élégant en devenant quelqu’un d’autres ; non, son élégance, il la laisse advenir du fond de lui-même.  Le lys ne se compare pas à Salomon. Il est lui-même. Et c’est en suivant  sa nature profonde et la laissant se déployer et dévoiler tous ses talents, même si au départ, tout cela semble n’être que peu de choses, qu’une graine de rien du tout,   que le lys devient aussi élégant, voir plus que le roi Salomon.

Ainsi c’est en cultivant cette confiance en Dieu et en la créature de je suis que peu à peu je  deviendrai réceptif à toute la nourriture, à toute l’énergie qu’il y a dans le moment présent.

Les biens de consommation s’abîment quand nous les utilisons. Il n’en va pas de même avec  cette confiance que nous plaçons en Dieu.

Plus on la met en pratique, moins elle s’use. Elle est comme un bout de roche. Plus on le taille, plus il nous révèle ses diamants, ses trésors inoxydables.

Exercer cette pratique à laquelle Jésus nous encourage, c’est peu à peu trouver un trésor qui nous permet de vivre notre métier et toute  nos activités non pas en  devenant des machines qui consomment ou des robots qui passent du métro, boulot, dodo comme s’ils étaient sur un tapis roulant, mais en devenant des êtres aussi fragiles et élégants que peuvent être les lys des champs.

Amen