Luc 8, 16-17 :

Personne, après avoir allumé une lampe, ne la couvre d'un vase, ou ne la met sous un lit;

mais il la met sur un chandelier, afin que ceux qui entrent voient la lumière.  Car il n'est rien de caché qui ne doive être découvert, rien de secret qui ne doive être connu et mis au jour. Mettre la lampe sur le porte-lampe, voilà une leçon qu’a enseignée Jésus. En affirmant cela, il n’a rien dit d’extraordinaire !

A son époque, quand on parlait de lampe, nécessairement on pensait à ces objets qu’on remplissait d’huile et dans lesquelles on laissait tremper une mèche. La lumière était diffusée grâce à la flamme. Et donc, à cause de la flamme, il était évident qu’on allait pas mettre une lampe sous une cloche à fromage – cela l’éteindrait ; tout comme il était évident qu’on allait pas mettre une lampe sous un lit, - car cela mettrait le feu partout.

Donc Jésus en parlant comme il le fait ne fait que rappeler quelque chose que tout le monde connaissait déjà. Et pourtant, cette évidence banale a traversé les siècles pour venir jusqu’à nous. Au moyen-âge, il fallait une vie entière à un moine pour recopier une bible. Vu le temps que cela nécessitait et le coût que cela occasionnait, on aurait pu penser que certains auraient cherché à se simplifier la vie. A ne garder dans toutes ces Ecritures que ce qui paraissait essentiel, nouveau, percutant. Si cela avait été le cas, à tous les coups, une telle parole de Jésus aurait passé aux oubliettes. Car elle semble si banale.

Mais voilà, au Moyen-Age et déjà bien avant, des moines et des générations de scribes ont passé leur vie à recopier patiemment, fidèlement, amoureusement toutes les paroles contenues dans la Bible. Car leur conviction était que tous ces mots étaient porteurs d’un message qui les dépasse. Au prime abord, ils peuvent paraitre simples et banals. Mais à un moment donné de notre vie, il se peut qu’ils deviennent des fenêtres ouvrant notre existence à une autre dimension. Tout à coup en lisant, quelque chose se passe en nous. Nous sommes comme rejoints, touchés. L’impression que cela laisse n’est pas désagréable. Au contraire, on sent que cela apaise et donne de voir autrement les êtres qu’on côtoie, les situations qu’on traverse.

Eh bien, cet enseignement de Jésus sur le bon placement de la lampe, je crois qu’il peut nous rejoindre aujourd’hui, nous qui redémarrons un nouveau cycle. En ce moment, après la pause estivale, c’est le temps des forums des associations. Souvent, l’été est propice pour clarifier son désir. En repensant à l’année passée, on écoute les échos, les traces qu’elle a laissé en soi. Et en se projetant dans l’année qui vient, on se demande quel projet, quel engagement pourrait permettre d’alimenter ce désir et lui permettre de briller.

Même si aujourd’hui, on utilise plus quotidiennement des lampes à huile, il n’en demeure pas moins qu’une dimension fondamentale de notre tâche d’être humain est d’avancer dans l’existence, en veillant à ce que la flamme de notre lampe intérieure trouve un lieu qui lui permettre de briller.

Dans l’église, nous sommes tous des bénévoles. Le moteur de notre engagement n’est pas un quelconque salaire, mais notre bonne volonté, notre désir sincère de servir et de nous rendre utiles.

Lorsque ce désir est attisé par notre engagement, c’est bon signe. Cela veut dire que la tâche a du sens et qu’elle nous correspond. Ce désir vivant, je l’ai rencontré dans le regard pétillant et joyeux d’un serviteur disant après avoir bien mouillé sa chemise : « ça m’a pris beaucoup de temps, cependant cela a aussi donné une autre dimension à ma vie… » .

Parfois, pris par la routine et la lourdeur de la tâche, ce désir s’éteint. Ou parce qu’on est en divergence avec les attentes et les visions du groupe, on ne se sent pas être au bon endroit. Quand la divergence devient clivage, il se peut que notre flamme intérieure en s’exprimant franchement, carrément mette le feu autour d’elle. Quand l’incompréhension règne, il se peut que notre flamme se transforme en colérique dévorante. Du coup, on a envie de rendre son tablier, voir même de claquer la porte…

Ainsi cette parabole au prime abord banale est une invitation à prendre soin de notre désir, de cette bonne volonté qui nous anime.

En effet, à l’époque, c’était une évidence : pour que la lampe à huile puisse remplir sa fonction sans s’éteindre, ni mettre le feu autour d’elle, il faut qu’elle soit à sa juste place.

Aujourd’hui, dans tes divers engagements, as-tu trouvé ton porte-lampe ? As-tu trouvé ce lieu porteur qui permet à ta flamme de s’épanouir et briller sans s’éteindre, ni mettre le feu autour d’elle ?

En parlant comme il le fait, je crois que Jésus nous invite à chercher, car le discernement n’est parfois par évident. Vu qu’on a toujours occupé une telle place dans l’association, il semble évident et les autres souvent nous le rappelle qu’on peut continuer dans la lignée. Mais pour Jésus, ce qui est évident, ce n’est pas la place, mais que la lampe trouve un lieu qui lui permette de briller. Si ce lieu devient avec le temps une cloche à fromage étouffant la flamme, il y a lieu d’oser bouger et chercher en tâtonnant le nouveau lieu porteur.

Il y a dans cet enseignement, une invitation à oser revisiter tous ses propres engagements, oser remettre en question des fidélités parfois décennales, car la vraie fidélité est celle qui fait, ici et maintenant, trouver le lieu juste permettant de briller.

Cela étant dit, allons plus loin.

Car s’il est évident que la place de la lampe soit sur le porte-lampe, est-il par contre évident que le disciple devienne une lampe ? Est-il évident pour un disciple d’être ainsi placé sur un porte-lampe visible de tous ? Se retrouver ainsi exposé n’est pas forcément le désir de tous. Tout le monde n’est pas à l’aise avec cela.

Si aujourd’hui, cet enseignement de Jésus peut sembler tout à fait normal pour presque un milliard de personnes utilisant librement, volontairement Facebook comme un porte-lampe pour rendre visible leur quotidien, leur engagement, leur conviction, il n’en demeure pas moins que pour beaucoup d’autres personnes, ayant la pudeur chevillée au corps, ce même enseignement de Jésus est dérangeant.

Et là, j’entends avec raison leurs remarques :

« Pourquoi aujourd’hui faudrait-il absolument être sur un porte-lampe ? Quand on voit ces émissions TV où l’on se bouscule pour être sur le devant de la scène et où l’on accepte que des pans importants de sa vie privée soient étalés au grand jour pour avoir une minute de visibilité, il y a un tel excès, qu’un jour il y aura un retour de balancier. Face à ces excès, la légendaire pudeur protestante ne va pas tarder à redevenir une valeur ayant le vent en poupe… »

J’entends bien et signe ces réflexions. Ce faisant, ne neutralisons pas cependant l’enseignement de Jésus.

Car le Christ ne nous demande pas tout le temps d’être pudique. Certes, il le fait : ailleurs dans l’évangile, le Christ a appelé ses disciples à la retenue et à la discrétion, au nom du fameux secret messianique.

Mais là, il enseigne autre chose. Comme il est dans la nature de la lampe de se retrouver sur un porte-lampe, il y a à accepter que parfois, au nom de la flamme qui brille en nous, d’être visibles et exposés. La lampe n’est pas prosélyte dans l’âme. Non, elle fait simplement, naturellement ce qu’elle a à faire : diffuser la lumière.

Si je comprends bien l’enseignement de Jésus, l’enjeu n’est pas tant de vouloir rayonner à tout prix que d’accepter, au nom de la flamme qui nous a été confiée, de tenir humblement une place qui nous expose à la visibilité. Même si cela suscite ricanement et jalousie…

En circulant dans la société de son temps, Jésus rayonnait. C’est la raison pour laquelle on en parle encore aujourd’hui. Mais ce rayonnement a suscité également un profond malaise autour de lui. Tout le monde ne s’est pas réjouit en le voyant aussi rayonnant. Au contraire, cet éclat était perçu comme profondément désagréable car elle mettait en lumière bien des zones d’ombres chez certains. Elle leur rappelait qu’ils n’étaient pas aussi lumineux qu’ils le pensaient.

Et dans ces cas-là, au lieu de se laisser être attirés par cette lumière et de se remettre en question pour pouvoir mieux la recevoir et devenir vitrail, certains se sont dits : il vaut mieux dire qu’il n’y a pas de sommets et que personne n’y est jamais parvenu et ainsi on sera plus tranquille, même si on reste dans l’obscurité, on sera plus à l’aise. Arrive un moment où l’on préfère continuer comme on a toujours fait plutôt que de s’ouvrir à de la nouveauté. Car cela remet trop de choses en questions. Ainsi de telles attitudes peuvent déboucher sur une tendance non seulement à vouloir cacher la lampe qui brille, mais aussi à l’éteindre. Car elle dérange trop.

Face à de telles situations, Jésus invite à résister. Dans un tel contexte, oser être visible, ce n’est pas être prétentieux, ni vouloir être prosélytes, c’est simplement tenir sa place de lampe. Ne pas se contenter de l’obscurité ambiante et d’hurler avec les loups, mais opiniâtrement, simplement de soigner sa lumière.

Comme la lampe devient un peu inatteignable quand elle est sur le porte-lampe, de même le disciple a à prendre distance avec les attaques et les pressions dont il peut être sujet. Etre sur le porte-lampe, c’est trouver ce lieu qui me permet d’être à distance et de continuer, sans bruit, humblement de briller.

Car la fonction de la lumière n’est pas de se perdre dans des luttes sans fin avec les ténèbres, ce n’est pas d’essayer de convaincre les ténèbres de ne plus être ténèbres. Non, la fonction de la lampe, c’est d’être au service de ceux qui entrent. D’être au service de ceux qui sont attirés par la lumière.

Ainsi à partir de cette parabole de Jésus, je dirais que la fonction d’une église comme la nôtre, c’est d’abord, en écoutant au fond de soi et en se laissant guider par le Saint Esprit, de trouver le lieu porteur qui permet à notre flamme, à notre bonne volonté de s’épanouir et de briller.

Puis, ensuite simplement de briller et d’être au service de ceux qui, attirés par la lumière, poussent la porte et entrent. Il n’y a pas lieu ni de chercher à tous prix à briller pour qu’il n’existe plus de ténèbres, ni de s’agiter afin de montrer à tous que nous avons de la lumière. Non, il y a lieu là où nous sommes placés, de simplement être, de briller et de faire confiance et d’accueillir tous ceux qui viennent comme des cadeaux envoyés par le Père, car dans le partage avec eux, il y a du combustible permettant à la flamme de continuer de danser.

 

Amen