Vérité et mensonge

Actes 5/1-11

Or un nommé Ananias, avec Saphira, sa femme, vendit aussi une propriété avec le consentement de sa femme, il détourna une partie du prix, puis il apporta le reste et le déposa aux pieds des apôtres. Pierre lui dit : Ananias, pourquoi le Satan a-t-il rempli ton cœur, que tu mentes à l’Esprit saint en détournant une partie du prix du champ ? Lorsque celui-ci était encore à toi, ne pouvais-tu pas le garder ? Et même quand il a été vendu, son prix ne restait-il pas sous ton autorité ? Comment as-tu pu envisager pareille action ? Ce n’est pas à des humains que tu as menti, mais à Dieu ! Quand Ananias entendit cela, il tomba et expira. Une grande crainte saisit tous ceux qui l’apprirent. Les jeunes gens se levèrent, l’enveloppèrent, l’emportèrent et l’ensevelirent. Environ trois heures plus tard, sa femme entra, sans savoir ce qui était arrivé. Pierre lui demanda : Dis-moi, est-ce bien à tel prix que vous avez vendu le champ ? Oui, répondit-elle, c’est bien à ce prix-là. Alors Pierre lui dit : Comment avez-vous pu vous accorder pour provoquer l’Esprit du Seigneur ? Sache-le : ceux qui ont enseveli ton mari sont à la porte ; ils t’emporteront aussi ! A l’instant même, elle tomba à ses pieds et expira. Les jeunes gens, à leur entrée, la trouvèrent morte ; ils l’emportèrent et l’ensevelirent auprès de son mari.  Une grande crainte saisit toute l’Église et tous ceux qui apprirent cela.

 

 

La France est beau pays. Un des pays les moins corrompus (22ème sur près de 180)1. Un pays dans lequel la justice est indépendante et peut mettre en examen un ancien président de la République ou lancer une procédure contre un ministre en poste. Un pays dont une certaine presse est libre et indépendante et peut, sans être inquiétée, publier des informations qui obligent le pouvoir à réagir.

Cette vérité est difficile à écrire et à voir au moment où la colère et la déception l'emportent devant les actes et le mensonge d'un ministre de la République. Difficile à dire aussi quand ces comportements révèlent l'immense chantier qu'il reste à mener pour imposer davantage de transparence, de règles, d'indépendance et de liberté, en France et dans le monde. Le Défi Michée2, avec d'autres organisations, appelle à la mobilisation à tous les niveaux.

Dans la Bible, le mensonge, c'est d'abord le fait de dissimuler, de retrancher, littéralement, de diminuer, maigrir. Se débarrasser d'une part de vérité pour tromper un autre ou se tromper soi-même. L'interdiction du faux-témoignage est inscrit dans les dix commandements (là, le mensonge interdit insiste sur la relation, le rapport à l'autre), les prophètes s'insurgent contre les menteurs qui s'écartent de la loi, le Nouveau Testament pointe le mensonge que représente l’hypocrisie de ceux qui « disent mais ne font pas » ou de ceux qui trompent les autres, Dieu et finalement eux-même en perdant la face. Et pour illustrer la venue du Christ dans le monde, l'auteur de l'Évangile de Jean écrit : « La lumière est venue dans le monde, mais les gens ont préféré la nuit à la lumière parce qu'ils font le mal […]. Mais ceux qui font la volonté de Dieu vont vers la lumière. Ainsi, on voit clairement ce qu'ils font, on voit qu'ils obéissent à Dieu. 3» Le rapport à la vérité est presque une question de vie ou de mort.

A propos vie ou de mort ! Le livre des Actes des apôtres rapporte l'histoire d'Ananias et Saphira, ce couple qui retient et cache un partie de la vente de ses biens alors que selon les règles de l'Église primitive, ils auraient dû donner la totalité du prix de la vente, pour que chacun reçoive ensuite ce dont il a besoin pour vivre. Pierre condamna alors ce geste : « Ne pouvais-tu pas le garder sans le vendre ou si tu le vendais disposer du prix à ton gré. Comment ce projet a-t-il pu te venir au cœur. Ce n'est pas aux hommes que tu as menti, mais à Dieu ? 4» Fin de citation et fin de la vie de ce couple qui meurt immédiatement après. La violence de ce texte nous met mal à l'aise et résonne fortement au moment on assiste à la mise à mort symbolique, politique ou sociale des menteurs.

Vous aurez remarqué dans ce texte que le couple avait la liberté de ne pas vendre ou de vendre différemment pour garder la somme qu'il désirait.

La communauté primitive ne remet en pas en question la propriété privée. Même si ils mettaient tout en commun, chacun semblait aussi faire librement le geste du don de ses biens. Pas de devoir, mais la recherche d'une unité corps et âme, entre les membres de la communauté.

Il est intéressant de noter qu'à la Réforme, Calvin évoque le rapport aux biens rappelant les dérives possibles : « les richesses sont bonnes créatures de Dieu, permises et même destinées à l’usage des hommes, et n’est en aucun lieu défendu de rire, de se délecter de musique ou de boire du vin. Mais quand quelqu’un est en abondance de biens, s’il s’ensevelit en délices, s’il enivre son âme et son coeur aux voluptés présentes et en cherche toujours de nouvelles, il recule bien loin de l’usage saint et légitime des dons de Dieu » (chap.14 Institution).

Or, l'Église primitive met en place un système, une fiscalité redoutablement efficace proposée aux membres dont le but est que chacun puisse recevoir ce dont il a besoin pour vivre. Ni survivre, ni amasser, mais vivre. Éviter la trop grande abondance dont parle Calvin.

C'est une règle à laquelle se soumettent dans la liberté les membres des Églises. Aujourd'hui encore certaines Églises imposent la dîme. Notre Église préfère vivre le don gratuit et responsable. C'est aux membres eux-mêmes de se donner une discipline et des règles sur ce qui pourra être mis en commun. Le chrétien, dans la foi, est appelé à l'autonomie, pas au sens où ils se donne lui même une règle, mais où il passe de l'obéissance à la célébration, au sens de Calvin. Mes œuvres, mes actes, mes dons sont une célébration au même niveau que le culte, la prière. Et c'est par ces deux célébrations, que je rend un témoignage, que d'autres verront.

Témoignage de l'effet de la parole vivante de Dieu dans le monde et nos vies.

Or ici c'est moins la question des faits, le détournement d'argent, que la question morale qui est posée : Le mensonge. Et on a tendance à mélanger les deux. La règle et la morale, même si elles sont liées.

Le non-respect de la règle est géré par la communauté : sanction, exclusion… question de justice.

Le mensonge est ici une question de foi personnelle. Tu as menti devant Dieu. Question de conscience.

Mais c'est aussi dans ce texte une question communautaire :

La théologienne Corinna Combet-Galland écrit sur ce texte (en rappelant que l'on est dans un contexte de croissance de l’Église, de succès : « Au lieu de se focaliser sur le châtiment du couple, il (le récit) prend pour sujet principal le groupe et son accès au statut d’Église. Celle-ci ne semble pouvoir tracer sa fondation, comme territoire symbolique, sans l’expulsion violente de ce qui la divise, du mensonge en son sein qui risquerait de la ronger. »

« De ce point de vue, s’il y a intervention de la puissance divine, c’est moins comme punition que comme exorcisme, guérison. Par miracle, la mort de ce qui est mortel pour la vie communautaire ouvre à l’Église son avenir. »

Qu'est-ce qui est mortel pour la vie communautaire ? Mais aussi pour la vie commune.

On a d'ailleurs plusieurs interprétations de ce texte, qui peuvent être dangereuses :

  • une lecture catéchétique pour impressionner les convertis !

  • une lecture réaliste. Dire les ombres et lumières de la vie communautaire

  • dire un pouvoir ecclésial sur le péché

  • dire le jugement de Dieu.

 

Mais il reste la question communautaire. Ici deux êtres se rendent complices contre la communauté. Une unité contre une autre unité, celle de l'Église.

Et le scandale de cette mort ne doit pas être atténuée.

Même si la communauté ne peut survivre au mensonge en son sein, ce texte doit nous rendre vigilant aux dérives possibles des individus, mais aussi de la communauté qui peut juger, exclure, mettre à mort (même symboliquement), sans laisser place à la repentance, au pardon, à la justice.

D'ailleurs, on peut se demander pourquoi la demande de pardon ne passe pas. Ce sont d'ailleurs les premiers mots du ministre : je demande pardon…

Pour conclure, aujourd'hui, ces situations de mensonges au sein d'une collectivité qui se donnent les moyens d'un partage, cachent deux autres mensonges :

  • Le mensonge des populistes et des extrémistes, ou des prophètes de malheurs qui sévissent dans certaines Églises ou partis et font leur succès sur le terreau des peurs et des déceptions de nos contemporains. 77% des français considèrent que les élus sont corrompus et 1% des Français ont du respect pour les élus5.Ainsi, certains se servent du travail courageux de ceux qui révèlent la faute, et qui pointent les défaillances du système et le cynisme des puissants. Ils se servent de ceux qui cherchent la vérité et qui obligent l'Etat à réformer dans le bon sens. Il est plus facile d'hurler avec les foules, que montrer le chemin d'espérance qui s'ouvre au sein de la crise, et de soutenir l'engagement des milliers d'élus qui oeuvrent au quotidien pour le bien commun.

  • Enfin, l'autre mensonge est celui illustré par la paille et la poutre, dont parle Jésus. Un mensonge qui concerne le regard de chaque citoyen sur les autres et sur sa propre vie ? Combien sommes-nous à accepter des petits arrangements avec la loi au sujet des impôts, des défraiements, du travail non-déclaré, les règles d'urbanisme, des déclarations de successions… Sans parler des mensonges qui concernent les silences de l'Histoire, les secrets de famille…

A ces deux mensonges, collectif et individuel, l’Évangile annonce la vérité de Dieu :

  • un geste de guérison de la communauté. enlever ce qui est mortel pour la communauté.

  • un regard d'amour qui vient libérer et réunifier celui qui vit tiraillé, écartelé, enfermé dans un mensonge qui, malgré son succès apparent, le ronge.

Il ne s'agit pas de morale : avez vous remarqué qu'on accuse souvent de moralisme le discours de celui qui atteint nos propres contradictions. Lorsqu'on se sent concerné.

Donc, il s'agit moins de moralisation, de punition, de culpabilité ici que d'une invitation à entrer dans un processus de vérité et de réconciliation avec sa communauté de vie, avec soi-même et avec les autres, ici et partout dans le monde.

Les membres des Églises ont la responsabilité de le vivre à leur niveau et de le rappeler au puissants, en continuant après Pâques à annoncer la vie, malgré tout ce qui peut paraître perdu. Et c'est l'Évangile de Jean qui rapporte un dialogue vif avec les pharisiens à qui Jésus reproche de ne pas pouvoir écouter : « moi je dis la Vérité, c'est pourquoi vous ne me croyez pas ». Il leur dit cette phrase pour leur expliquer que suivre les commandements ne suffit pas, mais que c'est bien une relation renouvelée avec Dieu et avec les autres (la communauté, la famille, la République…) que nous serons vraiment libres. La Vérité vous rendra libres ! 6

 

Amen

 

 

Joël Dahan, Avril 2013

 

Cf : Article Réforme, Bible et Actualité, Avril 2013, Dahan.

1http://www.transparency-france.org

2http://www.defimichee.fr

3Jean 3

4Actes 5

5Selon un sondage Opinionway du 8 avril

6Jean 8.32